La Chronique Agora

Est-ce que tout est de la faute de la BCE ?

Votre correspondante est perplexe.

Le pétrole est à 145 $, un petit goût de panique commençait à s’étendre sur les marchés cette semaine, et les consommateurs, quant à eux, font une figure longue comme un jour sans pain.

Ce n’est pas étonnant : les chiffres de la croissance sont eux aussi en berne, le pouvoir d’achat — on ne se lasse pas de nous le répéter — recule, et ainsi de suite. Jusque là, tout va bien, je suis à peu près.

Puis, jeudi, la Banque centrale européenne a annoncé une hausse de 25 points de base de son taux directeur. Et c’est là que je commence à me perdre. L’attitude de la BCE, comme l’entend-on souvent dire, est-elle responsable de la flambée du pétrole ? J.C. Trichet est-il voué à rôtir dans les enfers monétaires pour sa lutte contre l’inflation ? Son destin est-il — comme Paul Volcker — de voir des effigies de sa personne brûlées sur les marches du Parlement européen par la foule en colère ?

Philippe Béchade répond oui à quelques-unes de ces questions, comme il l’écrivait dans ses chroniques de jeudi et vendredi. En ce qui me concerne, j’ai envie de donner une réponse de Normand : p’têt’ ben qu’oui… mais p’têt’ ben qu’non, aussi.

La BCE est à l’origine de nombreux maux (demandez aux entreprises européennes exportatrices, par exemple), mais la hausse du pétrole ? Elle y contribue, certes — mais il ne faut pas oublier les spéculateurs, l’OPEP, la situation géopolitique, la baisse du dollar ainsi que les facteurs fondamentaux de l’offre et de la demande.

Simone Wapler nous donnait quelques éléments de réflexion supplémentaires dans La Quotidienne de MoneyWeek mercredi dernier.

"Au début de cette crise, durant l’été dernier, le pétrole était à un niveau raisonnable : 70 $ le baril", déclare Simone. "En juillet 2006, il était à 80 $ le baril. Le dollar ‘effondré’ n’est que la conséquence de l’endettement de la première puissance mondiale, émettrice de la monnaie fiduciaire dans laquelle se négocient les échanges mondiaux. Enfin, l’inflation actuelle n’est pas la résultante du pétrole, elle est le fruit d’une émission monétaire sans précédent historique. Cette émission monétaire inconsidérée a été faite par les Etats-Unis".

"Ce constat est encore insuffisant. En remontant le temps, cette émission a été justifiée par le fait que personne ne voulait payer la folie de la bulle internet. Rappelez-vous : tout le monde allait devenir riche parce que des 0 et des 1 circulaient librement dans des ordinateurs mis en réseau".

"Pour ménager un atterrissage en douceur, la Fed a adouci les conditions de crédit. Les autres banques centrales de la planète ont suivi. La relance par la consommation, un vieux mythe français, a été appliquée par la première puissance mondiale. Le gaz frelaté qui gonflait la bulle internet a servi à regonfler une bulle de l’immobilier. Tout le monde (américain) allait pouvoir devenir propriétaire de son toit".

"Mais un taux d’intérêt bas entraîne la monnaie à baisser. Lorsque la Fed a voulu remonter ses taux pour réanimer son dollar, la bulle immobilière s’est dégonflée à son tour. Le système bancaire mondial a été mis à genoux".

Et voilà où en est la BCE aujourd’hui : avec une masse monétaire galopante, en contradiction directe avec sa mission d’origine (maintenir la stabilité des prix), et par conséquent obligée de remonter ses taux au pire moment possible. Sauf que… tout ça n’est sans doute que cataplasme sur jambe de bois — c’est en tout cas ce que pense Adrian Ash, de BullionVault.

Il s’interrogeait en début d’année, alors que le Financial Times désignait J.C. Trichet comme "Homme de l’année 2007" :

"La politique de Trichet à la tête de la BCE va-t-elle mettre fin à l’inflation en 2008 et éteindre la hausse fulgurante de l’or ? Nous donnerions plus de chances de réussir à un pompier essayant d’éteindre un incendie en l’arrosant de kérosène".

"[…] ‘Il n’y a pas de place pour la complaisance [sur l’inflation]’, comme le déclarait M. Trichet. Mais quelle autre explication que la complaisance pour expliquer l’augmentation en flèche du M3… qui n’accélère cependant pas assez rapidement pour suivre le rythme de l’expansion monétaire aux Etats-Unis ou l’inflation indécente de la Grande-Bretagne et de la Chine ?"

"Trichet peut sembler être un choix étrange pour ‘l’Homme de l’Année 2007’. Cependant, il semble être un choix idéal pour "l’Homme du Moment". Il incarne l’air du temps actuel en termes de banque centrale — un moment où l’on utilise de grands mots… et de petites actions.

"En disant une chose tout en faisant une autre… en aidant les forces de l’inflation à se rassembler, alors qu’il affirmait s’y opposer fermement… Trichet a résumé l’esprit de notre ère financière mieux encore que Ben Bernanke à la Réserve fédérale américaine".

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