▪ Vous avez certainement lu certaines des dépêches relatives au « sauvetage » de Chypre. L’île avait un besoin urgent de 17,5 milliards d’euros pour éviter une banqueroute — mais Bruxelles et le FMI — sous la supervision de Berlin — n’étaient disposés à lui octroyer qu’un prêt de 10 milliards d’euros au maximum. Cela contraint Chypre à supporter environ 40% de l’effort financier. Vous rappelez-vous les représentations d’Atlas soutenant le monde ? Si Chypre flanche, c’est l’euro qui va au tapis, nous expliquait-on depuis six mois.
Vu le PIB de l’île — voisin de 20 milliards d’euros mais qui s’est contracté de 2,4% en 2012 et devrait décroître de 3,5% en 2013 –, recevoir un prêt de 17 à 18 milliards d’euros aurait fait exploser le ratio dette/PIB et l’aurait porté à un niveau insoutenable.
Cependant, trouver en interne 7,5 milliards d’euros de toute urgence relevait également de la mission impossible. Cela a forcé le gouvernement de Nicosie à opter pour une série de privatisations — et surtout pour l’instauration d’une taxe exceptionnelle de 6,75% sur tous les dépôts bancaires s’agissant de compte d’un montant inférieur ou égal à 100 000 euros et de 9,9% au-delà de ce seuil.
Cette taxe — si le Parlement finit par la voter — entrerait en vigueur mardi (lundi étant férié). Cela couperait l’herbe sous le pied des épargnants qui ont commencé à dévaliser les distributeurs automatiques de billets ce week-end.
▪ Faut-il s’attendre à un bank run ?
Aux dernières nouvelles, un amendement prévoirait une exemption de taxes pour les comptes inférieurs à 25 000 euros… Toutefois, nombre de particuliers en détiennent plusieurs, de telle sorte que le rapprochement et la consolidation de la totalité des avoirs sous un même nom laisserait peu d’épargnants indemnes.
Si le Parlement chypriote tergiversait, nous pourrions assister à un bank run historique au sein même de la Zone euro. Ce serait là un scénario catastrophe pour les finances de l’île car l’efficacité de la taxation sur les dépôts repose sur les montants estimés vendredi soir.
Si les détenteurs avaient l’occasion de siphonner leurs comptes mardi et d’expédier leur contenu vers l’étranger, le système bancaire pourrait faire faillite en moins de 24 heures, plus aucune banque chypriote ne disposant des réserves nécessaires pour faire face à leur ratio de solvabilité et honorer leurs engagements.
Il est fort probable que la banque centrale décidera de la fermeture des banques commerciales et de dépôt mardi. Cela stoppera net toute activité économique durant 24 heures (ou 48 heures, nul n’en sait rien) mais cela vaut mieux qu’un bank run.
Tout le monde redoute de voir s’évaporer dans la nature l’argent des Russes. Leurs avoirs détenus par les banques chypriote sont chiffré entre 15,4 milliards d’euros (selon l’estimation la plus basse de l’Association des banques régionales russes) et 23,8 milliards d’euros selon Moody’s (l’estimation jugée la plus crédible).
Les taxes sur le capital et les intérêts des dépôts devraient coûter entre deux milliards d’euros et 3,5 milliards d’euros aux déposants étrangers (russes majoritairement).
Afin de déjouer l’accusation de spoliation — ou de « vol pur et simple » comme le déclarent les Chypriotes interviewés ce week-end –, le gouvernement offrirait un montant d’actions (de quelle nature, adossées à quelle entité ?) correspondant au montant des taxes prélevées.
▪ Un précédent bien fâcheux…
Plus que l’incertitude concernant la valeur des actions offertes en contrepartie, la taxation des dépôts bancaires crée un fâcheux précédent. Qu’est ce qui interdirait à un quelconque gouvernement mis en difficulté par les marchés — et pour tout dire acculé délibérément à la faillite — de recourir au même procédé ?
Un procédé qui a reçu l’aval de Bruxelles et du FMI… ainsi que des banquiers créanciers de la City et de Wall Street. Concernant ces derniers, il n’est pas absurde de penser qu’ils aient suggéré une telle solution, laquelle leur évite de subir les conséquences d’une restructuration à la grecque.
Beaucoup de Chypriotes doivent méditer ce week-end cette pensée de l’économiste français Frédéric Bastiat : « quand le pillage devient un moyen d’existence pour un groupe d’hommes qui vit au sein des élites de la société, ce groupe finit par façonner pour lui-même tout un système juridique qui légitime le pillage, et un code moral qui le glorifie ».
Nous ne sommes plus en 1850, la démocratie a remplacé l’empire et les tyrannies de l’époque. C’est à présent le corpus législatif qui vote de son plein gré des lois spoliatrices ou liberticides (comme le Patriot Act en novembre 2001 aux Etats-Unis) sous la « pression amicale » de certaines élites (Pentagone, PNAC, Skulls & Bones…).
▪ Les Etats-Unis n’ont pas attendu Chypre
Les Etats-Unis sont à la pointe du progrès en matière de mise aux enchères de la démocratie. Cela depuis que le soutien illimité d’un candidat par une personne morale (une entreprise, un syndicat ou un lobby) — si elle déclare les sommes qu’elle verse — est devenu légal suite au décret de la Cour suprême des Etats-Unis du 21 janvier 2010. A l’époque, le but officiel était de rendre les campagnes électorales plus transparentes.
Comme pour démontrer que Wall Street et l’exécutif travaillent main dans la main, Alan Greenspan (ex patron de la Fed, surnommé Mister Bubbles) et Jack Lew (le nouveau secrétaire américain au Trésor) ont absolument tenu à donner leur avis — sans qu’on leur ait rien demandé — sur la série de records historiques alignés par les indices boursiers ces dernières semaines.
Ils ne font que marteler le leitmotiv que chaque intermédiaire financier se doit d’apprendre par coeur afin de le réciter devant les caméras et devant leur clientèle particulière : « nous ne voyons rien qui ressemble à une bulle spéculative, les actions sont faiblement valorisées par rapport à leurs records de 2007 et il n’y a aucun signe de l’euphorie qui marque la fin d’un marché haussier ».
Nous leur concédons qu’il n’y a en effet aucune « euphorie » sur le marché. En témoignent des volumes qui fondent comme une peau de chagrin à mesure que les indices américains enchaînent les records historiques.
En ce qui concerne leur valorisation raisonnable… elle dépend d’un accroissement régulier des bénéfices au cours des 10 prochaines années. Les actions sont jugées peu chères parce que leurs multiples sont inférieurs à ceux — totalement délirants — observés fin 2007.
Prenez France Télécom : à 8,5 euros, elle n’est encore « pas chère » par rapport aux 190 euros du 2 mars 2000… et avec un rendement de 10%, c’est véritablement « cadeau ».
Sauf que les valeurs de rendement — celles qui ridiculisent les obligations à 10 ans qui rapportent à peine 2% aux Etats-Unis et 2,2% pour les OAT –, les gérants n’en veulent pas !
Les meilleurs portefeuilles ne sont composés que des valeurs de croissance (Essilor, Gemalto, L’Oreal, LVMH, EADS) qui offrent des rendements dérisoire et des PER de 20.
Il y a pire que de choisir délibérément des actions chères mais de qualité : cela consiste à payer le marché au plus haut sans l’avoir décidé. Les épargnants américains notamment sont les témoins impuissants d’un processus qui leur échappe. Si, obéissant aux injonctions de la Fed, les institutionnels qui gèrent leur future retraite arbitrent des obligations surévaluées contre des actions surpayées, ils n’ont pas leur mot à dire et aucun moyen de prendre des bénéfices quand les actions sont au zénith.
S’ils tentent de récupérer toute ou partie de leur épargner retraite, un marteau-pilon fiscal s’abat sur eux et les prive de pratiquement tous les gains accumulé au fil des ans.
▪ Une statistique contrariante
Quelle n’a pas été la surprise de Wall Street, qui vit au régime cotillons/champagne depuis deux mois et demi, de voir replonger l’indice du sentiment des ménages compilé par l’université du Michigan !
Attendu en hausse, le baromètre de la confiance chute brusquement en mars, de 77,6 vers 71,8 alors que le consensus tablait sur un score de 78.
Les Américains résistent donc au déferlement des mensonges officiels et des statistiques de l’emploi bidouillées, en dépit d’une propagande médiatique pro-Wall Street dont nous n’avons pas le souvenir au cours des 30 dernières années.
La confiance recule alors que Bernanke, Yellen, Greenspan, Lew et consorts déploient la grosse artillerie pour susciter un sentiment de richesse via l’envol obstiné des indices boursiers.
Sauf que cela ne concerne véritablement que les 10% d’Américains déjà les plus riches et surtout les 5% qui détiennent près de 85% des actions en circulation…