La Chronique Agora

L’énergie du désespoir

énergie, pénurie, gaz, inflation

Les prix du gaz atteignent des records démesurés. A ce rythme, une grande partie des Britanniques n’auront plus cet hiver les moyens de se payer ni le chauffage, ni à manger.

Il est assez savoureux de constater qu’une compétition de karting au pied des miradors (de la prison de Fresnes) ou une sortie en jet-ski au pied du fort (de Brégançon) mobilisent à ce point les médias – et donc ceux qui leur consacrent une bonne partie de leur attention. Cela nous épargne l’angoisse que pourrait susciter quelques « faits divers » qui alimentent les conversations dans la sphère financière.

Prenons par exemple le prix du mégawatt-heure (MwH), exprimé en équivalent pétrole et coté à Rotterdam (peu importe le mode de production, ce qui compte c’est le prix « spot » payé à l’instant t par les entreprises européennes qui doivent acheter un surplus d’électricité quand les approvisionnements aux tarifs sécurisés s’avèrent insuffisant) : il vient d’atteindre la barre symbolique des 1 000 $ le baril !

Dans le même temps, le baril de pétrole Brent – qui a certes repris 8% depuis le 15 août – ne se négocie qu’à 100 $ à Londres. Ce prix stratosphérique de l’électricité sur les marchés à terme est donc évidemment abscons, tout comme le fut le cours négatif du pétrole fin avril 2020.

Production à l’arrêt

Il n’est qu’indicatif, puisqu’il n’y a pas de transactions à ce niveau, ou alors pour des quantités négligeables qui ne sont que le fait de spéculateurs (vendeurs à découvert pris à la gorge) n’ayant pas extrapolé le scénario du pire, celui où la Russie cesse complètement de livrer du gaz début septembre et où les Etats-Unis ou le Qatar n’honorent pas leurs engagements de livraison de GNL cet automne.

Confrontée à ce genre de tarif « idiot », une entreprise préfèrera se contenter d’utiliser la quantité de courant qu’elle a « sécurisé » et, s’il lui en manque, elle réduira simplement sa production.

S’il lui en manque beaucoup, elle mettra plusieurs unités de production à l’arrêt, et une partie de ses salariés au chômage technique, car il serait absurde de produire à perte.

C’est là que se joue le scénario « pire que la récession » évoqué par Jamie Dimon : si le gaz vient à manquer, les grossistes en énergie, comme l’allemand Uniper, ne peuvent plus délivrer les mégawatts qui ont été commandés (l’énergie pour les produire n’existant plus). Uniper – et ses alter égo comme E.ON – devraient alors tenter de se les procurer auprès d’autres fournisseurs (EDF, Total Energies ou Engie, par exemple).

Mais, si ces sources alternatives sont également en rupture de gaz, alors, il ne reste que les marchés à terme. En France, c’est l’EPEX : le prix « spot » du MwH s’y négocie vers 650 € en ce moment, contre 45 à 50 € à la même époque en 2021, et 33 € en août 2020. Le problème est que personne de sensé n’est disposé à payer 20 fois le prix moyen d’il y a deux ans.

Donc les clients se fournissant d’ordinaire auprès de l’EPEX (ce ne sont évidemment pas des particuliers) qui propose, dans 95% des cas, des tarifs pertinents se trouvent contraints de renoncer.

Les bons côtés du bouclier tarifaire

Ils pourraient devenir très nombreux, très rapidement, à moins que le gouvernement n’instaure un bouclier tarifaire, c’est-à-dire transfère au contribuable le coût de la prise en charge de la différence.

Ce qui revient à transformer la ristourne offerte aux entreprises en dizaines de milliards de déficits qui seront les futurs impôts de demain et une menace sur la croissance d’après-demain.

Mais difficile de nier l’utilité du « bouclier tarifaire » lorsque l’on se tourne du côté de l’Angleterre, où l’inflation se dirige allègrement vers les 13% et plus pour ce mois d’octobre selon la BoE, et vers 18,5% selon une étude publiée en début de semaine par Citigroup.

Des milliers de Britanniques exaspérés par la situation économique et sociale causée par l’explosion du prix de l’électricité, du gaz, puis de l’alimentation… ont déclaré ne plus vouloir payer leurs factures énergétiques à partir du 1er octobre, si rien n’est décidé pour faire baisser les prix.

Mais ce n’est qu’un épiphénomène en regard du plus grand mouvement de grèves que le pays a jamais connu depuis plus d’une trentaine d’années et qui a démarré lundi.

Trains, métros, camionneurs, postiers, éboueurs, enseignants, soignants… puis les avocats et les dockers (les principaux ports de fret qui desservent notamment les supermarchés sont à l’arrêt).

Chez les dockers, le blocage des ports a été décidé pour 8 jours tandis que, dans d’autres secteurs, le mouvement pourrait s’installer dans la durée.

Absence politique

Toutes les catégories de grévistes réclament des augmentations des salaires, de meilleures conditions de travail, la mise en œuvre de mesures pour lutter contre l’inflation… mais toutes les revendications restent lettre morte, car Boris Johnson, démissionnaire, a annoncé qu’il laissait son – ou sa – successeur se débrouiller avec le chaos social qui s’annonce.

En effet, de leur côté, les entreprises font appel à des intérimaires pour casser les grèves, encouragées par Liz Truss, la candidate conservatrice la mieux placée pour accéder au poste de Premier ministre en remplacement de Boris Johnson et qui tente d’imposer sa stature de Margaret Thatcher « 2.0 ».

Elle a promis – si elle était élue – de réprimer sévèrement la grève :

« En tant que Première ministre, je ne laisserai pas notre pays être rançonné par des syndicalistes militants. »

Il semblerait qu’elle n’ait pas pris la pleine mesure de niveau d’explosivité du contexte social outre-Manche, pour cause de déconnexion des prix avec le pouvoir d’achat des britanniques. Il n’y a donc pas que la France qui souffre de la déconnexion de certaines « élites ».

Plus réaliste, le maire de Londres, Sadiq Khan, a lancé l’alerte :

« Le problème cet hiver pour beaucoup de ménages ne sera pas de faire le choix entre se chauffer et se nourrir : ils ne pourront faire ni l’un ni l’autre ! »

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile