La Chronique Agora

Encore une bourde… mais à 1 000 milliards de dollars, cette fois-ci !

** Nouvelle journée catastrophique à Wall Street : les marchés américains alignent tout simplement une dixième séance de baisse sur une série de onze.

Les opérateurs avaient le moral dans les chaussettes à la mi-séance mais il subsistait un espoir de rebond. En effet, Ben Bernanke aurait pu prononcer des propos rassurants devant le club économique de New York au sujet d’un futur redressement de la conjoncture en 2009 et de la volonté de la Fed de soutenir l’économie.
 
Au lieu de cela, il a littéralement torpillé le fragile retour de la confiance qui se dessinait depuis ce week-end : il a déclaré mercredi soir que la stabilisation du système financier était un élément positif mais que la crise économique mettrait du temps à se résorber.
 
Il s’est contenté d’écarter la survenance d’un nouveau 1929… mais le krach de 2008 se suffit à lui-même ! Surtout, dans le climat psychologique actuel, les opérateurs n’entendent pas les négations ; ils ne retiennent que le mot "krach".
 
Voilà donc une petite phrase à 1 000 milliards de dollars… car c’est globalement ce que les marchés vont perdre suite à l’effondrement de Wall Street ce mercredi soir.
 
** Le Dow Jones a dévissé de plus de 750 points — soit -8%, tout comme vendredi dernier aux pires heures de la capitulation qui précipitait les indices américains 25% plus bas que le vendredi précédent. Hier, aucun rachat de découvert n’est venu réduire les pertes considérables accumulées au cours de la dernière heure de cotations. Bien au contraire les écarts à la baisse ont doublé dans l’intervalle, le S&P 500 chutant de plus 9% en séance pour la première fois depuis le 19 octobre 1987.
 
Le Nasdaq a plongé de 150 points (-8,5%) alors que les technologiques résistaient initialement (-1,5% à -2%) dans le sillage d’Intel. Ce dernier a gagné 4% au cours des premiers échanges grâce à des profits trimestriels très honorables… mais au final, le titre chutait de 5,6%, démontrant que l’environnement conjoncturel occultait complètement les bonnes performances trimestrielles des entreprises.
 
Des géants de Wall Street comme Chevron ont dévissé de 14%, Exxon Mobil de 12,5%… En dehors de Coca-Cola (+1,1%), pas une seule valeur du Dow Jones n’a perdu moins de 4,6%. Plus de la moitié des blue chips chutaient de 8% et plus, avec un tir groupé des bancaires entre -10,2% pour Bank of America et -13,5% pour American Express, très exposé à une panne de la consommation.
 
** Quelques heures auparavant, le marché parisien avait replongé de 6,82%. C’est un écart qui équivaut très précisément à celui encaissé le 21 janvier dernier en pleine tourmente Kerviel…

Avec un repli qui a dépassé les 7,2% à quelques minutes de la clôture, le CAC 40 a manqué rééditer sa chute de 7,7% du 10 octobre dernier… mais en transactions hors séance, c’est un plongeon de 11% qui se matérialisait ; cela a bien failli être la seconde chute la plus dure du marché parisien de l’histoire, après celle du 19 octobre 1987.
 
Après la rafale de rachats à bon compte qui avait permis au CAC 40 de reprendre 700 points (les valorisations apparaissant aberrantes), les investisseurs se sont soudain souvenu — bien aidés par une cascade de mauvais chiffres conjoncturels publiés ce mercredi aux Etats-Unis — que la crise financière avait également un impact négatif sur l’économie réelle.
 
Le risque de récession préexistait au récent krach boursier. La question consiste maintenant à déterminer si avec un CAC 40 sous les 3 400 points, un Eurotop 100 sous les 2 000 et un S&P 500 sous les 1 000 points, les cours de bourse ont suffisamment reculé pour intégrer les scénarios économiques les plus sombres.
 
A 4 000 points à Paris, 10 000 points sur le Dow Jones et un Euro-Stoxx 50 à 3 000 points, il apparaît évident que ce n’était pas le cas… Cependant, après un trou d’air de -20% à -25% en une dizaine de séances, les analystes se demandent si les marchés ne sont pas allés trop loin dans le registre du pessimisme.
 
** A voir le baril de pétrole replonger sous les 75 $ (encore 1 $ de baisse et il aura perdu la moitié de sa valeur en trois mois jour pour jour) ou le cuivre perdre 10% sur un net recul de la demande chinoise, c’est pratiquement un scénario de dépression économique qui se lit dans le cours des matières premières.
 
A Wall Street, les principales victimes du jour furent les parapétrolières, certaines chutant à des niveaux inconnus depuis le début du 21ème siècle. Les replis avoisinaient 20% en moyenne, à l’image de Valero, Peabody, Nal Oilwell, Chesapeake, XTO… C’était comme si leur activité allait cesser brutalement et qu’un sort comparable à celui des banques plombées par les subprime les attendait.
 
Au début de l’été, l’extrême proximité des quantités de pétrole extraites chaque jour par rapport à celle exportées (l’Arabie était prétendument "au taquet") justifiait des projections spectaculaires (200 $ avant la fin de l’année).

Aujourd’hui, à 75 $, plus personne n’en veut ; l’OPEP ne saurait que faire de ses surplus alors même que les pays consommateurs de l’hémisphère nord sont en train de reconstituer leurs stocks pour la saison hivernale.
 
Les marchés semblent donc parier sur le gel partiel de la production industrielle au sein des pays du G20… sur l’abaissement du régime des chaudières dans les contrées les plus froides de l’hémisphère nord… et sur une spectaculaire réduction du trafic routier, les automobilistes optant pour le vélo ou les transports en commun, les camions n’ayant plus grand’chose à transporter vers des centres commerciaux devenus quasi-déserts.
 
** Avec ce genre d’extrapolations, il ne faudra pas attendre longtemps avant que les "mains fragiles" lâchent le papier qu’elles avaient ramassé dans l’euphorie du sauvetage du système bancaire international : la fin de séance de mercredi avait des relents de fuite vers les issues de secours.
 
Cela nous a rappelé ce bon vieux dicton qui retrouve son actualité à chaque fois qu’une crise boursière majeure se dessine : "ne paniquez pas… mais si tel est le cas, soyez le premier" !

Les raisons d’agir de la sorte n’ont pas manqué ce mercredi. De nombreux signes de faiblesse se matérialisent sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis : les 12 antennes régionales de la Fed constatent un ralentissement d’activité aussi bien dans l’industrie que dans les services et le secteur immobilier.
 
La présidente de la banque centrale de Californie, Janet Yellen, indiquait par ailleurs que "l’économie américaine apparaît comme entrée en récession". Elle table sur une absence de croissance au troisième trimestre aux Etats-Unis et sur une baisse de l’activité au quatrième trimestre.
 
Pas besoin de polir sa boule de cristal pour formuler un tel diagnostic : la situation apparaît déjà "tragique" aux yeux des citoyens américains qui vivent dans les bassins industriels frappés de plein fouet par la crise. Les statistiques publiées aux Etats-Unis mercredi après-midi ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà… mais elles ont fait l’effet d’une douche glacée !

L’activité dans le secteur industriel s’est ainsi nettement dégradée dans l’état de New York au mois d’octobre, selon la Réserve fédérale de New York. Son indice Empire State a reculé à -24,6 ce mois-ci, touchant un plus bas historique après avoir atteint -7,4 en septembre.

Les ventes au détail ont baissé de 1,2% en septembre par rapport à août, soit un recul plus prononcé que celui attendu en moyenne par les économistes. En excluant le secteur de l’automobile, elles s’inscrivent encore en baisse de 0,6%.

Les prix à la production ont diminué de 0,4% en septembre, conformément aux pronostics des économistes. Mais en excluant les prix de l’énergie et de l’alimentation, le département du Travail fait état d’une hausse de 0,4% des prix producteurs, un chiffre deux fois supérieur aux attentes du marché.

Les stocks des entreprises américaines ont augmenté de 0,3% en août par rapport à août 2007 ; ils se sont accrus de 6,4% — il va falloir faire de la place dans les entrepôts et optimiser l’espace disponible pour les invendus.
 
** Comment en effet les épargnants/consommateurs vont-ils se remettre du coup de massue que le patron de la Fed a administré à Wall Street mercredi?

Après ce que beaucoup d’experts qualifient aujourd’hui de "terrible erreur" au sujet du lâchage de Lehman par Henry Paulson, c’est au tour de Ben Bernanke de semer la consternation en confirmant que l’économie américaine est au bord du gouffre.
 
Rétrospectivement, la "bourde" de Paulson (chiffrée à 300 milliards de dollars de dommages collatéraux) peut s’expliquer comme une concession maladroite à l’idéologie ultralibérale, qui exige que des têtes roulent dans la sciure dans le genre de circonstances que nous connaissons… Cependant, avec la référence au krach de 29 et la confirmation des pires craintes des investisseurs au sujet de la conjoncture aux Etats-Unis, nous nous demandons s’il n’a pas cherché à ruiner délibérément les efforts des pays occidentaux pour éviter que la crise systémique provoquée par les Etats-Unis ne contamine l’économie réelle.

Philippe Béchade,
Paris

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