Derrière l’argument égalitaire, se note une confusion persistante entre richesse, revenus et valorisation d’entreprise.
Dans notre article précédent, nous avons vu que la taxe Zucman repose sur des calculs contestés et souvent inexacts, qui exagèrent la sous-contribution fiscale des plus riches alors même que ceux-ci supportent déjà une large part des prélèvements.
Une taxe spoliatrice
En voulant prendre en compte les bénéfices non distribués au titre de leurs participations en capital dans des sociétés, la taxe Zucman veut, en réalité, imposer les plus riches sur des revenus qu’ils n’ont pas perçus.
En ce sens, elle est spoliatrice – ni plus ni moins.
Imposer un patrimoine non liquide détenu pour l’essentiel en actions dont le cours est éminemment fluctuant risque de faire fuir bien des entrepreneurs. A cet égard, l’exemple maintes fois donné de Mistral AI et de ses dirigeants est emblématique.
Mistral AI, première décacorne française, a été évaluée, lors de la dernière levée de fonds, à environ 12 Mds€. Les trois fondateurs et dirigeants détiennent encore une part importante du capital. Celle-ci est gardée secrète, mais estimons-la, pour les besoins de la démonstration, à 20 % chacun. A ce jour, chaque fondateur est donc potentiellement riche de 2,4 Mds€. Avec la taxe Zucman, il devra au minimum (nous supposons que c’est là leur seule richesse) s’acquitter de 48 M€ d’impôt – somme qu’aucun d’entre eux ne détient.
Comment feront-ils alors ? Zucman propose qu’ils paient en actions (si tant est que le pacte d’actionnaires le permette), mais alors cela ne rapportera rien à l’Etat à moins que celui-ci les vende immédiatement au risque de déstabiliser encore plus l’entreprise. Et cela revient, ni plus ni moins, à nationaliser les plus grandes entreprises françaises. Zucman propose aussi que les fondateurs empruntent la somme, qu’ils rembourseront le jour où ils auront touché le pactole !
Avouons que tout cela n’a pas grand sens et trahit une méconnaissance totale du fonctionnement d’une entreprise.
A cet égard, le témoignage de l’entrepreneur Gilles Huguenin sur Contrepoints. Il raconte qu’avec l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qu’il devait payer chaque année à hauteur de 1,8 % sur son patrimoine professionnel évalué alors à 100 M€ alors qu’il n’a rien et qu’il se rémunère 1,5 fois le Smic, il s’est expatrié en Belgique. Il s’est concentré sur le développement de l’entreprise à l’international et a délégué la gestion de la filiale française. Résultat : les effectifs de celle-ci sont passés de 120 à 90 en trois ans, alors qu’il créait 120 emplois en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Italie.
Une étude du Conseil d’analyse économique (CAE) confirme ces dires : « L’expatriation d’un actionnaire qui détient plus de 20 % des actifs d’une entreprise entraîne un choc direct : cinq ans après, on observe, en moyenne, une baisse de 15 % du chiffre d’affaires, une baisse de 31 % de la masse salariale, ainsi qu’une baisse de 24 % de la valeur ajoutée.«
Longtemps, les promoteurs de la taxe Zucman ont nié que les entrepreneurs potentiellement concernés puissent quitter la France. Mais plusieurs startuppers ayant déclaré qu’ils pourraient fuir à l’étranger et, finalement, créer de la richesse ailleurs, les spoliateurs ont changé leur fusil d’épaule.
Thomas Piketty a ainsi affirmé que ceux qui ne paieraient pas la taxe se mettaient « dans la même position que quiconque décide de ne pas payer d’impôt » et qu’ils pourraient voir leurs actifs gelés et être arrêtés à l’aéroport. François Ruffin, député ex-LFI mais toujours communiste, a renchéri en suggérant « une privation des droits civiques » car ces personnes « font le choix de faire sécession d’avec la communauté, comme l’avaient fait les aristocrates pendant la Révolution française ».
C’est ainsi que nous voyons comment ce qui ressemble fort à une haine des riches – assumée en son temps par le candidat président Hollande – aboutit inexorablement à la privation des libertés. Comme l’a dit le député Eric Ciotti, c’est l’URSS, c’est le Venezuela.
L’Europe et singulièrement la France sont déjà particulièrement pauvres en entreprises innovantes. Comme nous l’avons déjà indiqué par ailleurs, l’Europe ne compte que 14 entreprises ayant moins de 50 années d’existence et une capitalisation d’au moins 10 Mds$. Aux Etats-Unis, elles sont 243 et leur capitalisation totale est de 30 000 Md$, soit 70 fois plus que les société européennes (430 Mds$).
Avec la taxe Zucman, que ses défenseurs verraient bien imposer dans toute l’Union européenne, c’est la fin de ces entreprises actuelles et futures (car combien iront créer leur start-up ailleurs ?).
La taxe Zucman est inconstitutionnelle
Le fiscaliste Victor Fouquet a rappelé sur Contrepoints que « l’exigence constitutionnelle de prise en compte des facultés contributives prohibe l’imposition de revenus ou de biens non disponibles, comme le sont par exemple les titres de sociétés cotées en Bourse ». Il poursuit :
« Dans le cadre de son contrôle de proportionnalité, le Conseil constitutionnel ne prend en compte dans la définition du patrimoine des contribuables que les revenus existants, et il ne tient autrement dit pas compte des revenus ‘latents’ ou ‘fictifs’ (les revenus présumés que les contribuables auraient dû percevoir). Dans une décision du 29 décembre 2012 (n° 2012-662) à propos de l’ancien ISF, le juge constitutionnel avait fort légitimement relevé, d’une part, que les bénéfices ‘distribuables’ des sociétés ne dépendaient pas de la décision des seuls contribuables, mais de la majorité aux assemblées qui décide de distribuer ou non ces revenus ; et, d’autre part, que les participations des contribuables dans des sociétés pouvaient servir à des investissements ou à l’amortissement de dettes contractées pour financer ces investissements. »
Bref, conclut Fouquet :
« Contrairement à ce que laisse accroire Gabriel Zucman, on ne peut, pour d’évidentes raisons constitutionnelles tirées du principe d’égalité, définir une assiette fiscale ‘sans lien avec les facultés contributives’ en y incorporant des revenus qui n’ont pas été effectivement perçus et qui, dans certains cas, pourront ne jamais l’être. Jurisprudence constitutionnelle maintes fois confirmée depuis… »
Une grande confusion dans la tête des promoteurs de la taxe
Si l’on revient à la proposition de loi des deux députés écologistes, on se rend rapidement compte qu’ils sont d’une grande confusion.
D’abord, il est question des 0,1 % les plus riches qui paieraient peu d’impôt et on en conclut qu’il faut surtaxer les 0,01 % les plus riches. Où sont passés les 0,09 % manquants ? Mystère ! Pourquoi ces personnes ne sont pas soumises à l’IPF ? Peut-on supposer qu’elles en soient exclues au départ – pour éviter de créer une panique – et qu’elles seront concernées par la suite quand on constatera que la taxe ne rapporte pas les milliards d’euros promis ?
Ensuite, il semble qu’il y ait une confusion entre les revenus et la richesse. Il suffit pour s’en rendre compte de visionner l’interview d’Eric Coquerel sur BFM Business, pourtant président de la commission des Finances de l’Assemblée de nationale, pour comprendre de quoi je parle. Le « pauvre » élu de Seine-Saint-Denis a le plus grand mal du monde à faire la différence entre revenu et patrimoine, d’une part et entre valorisation d’une entreprise et richesse effective de ses dirigeants, d’autre part.
Les partisans de la taxe s’appuient sur le fait que les pauvres paieraient 46 % d’impôts quand les « ultrariches » n’en paieraient que 26 % (grâce à des montages fiscaux passant par des holdings). Admettons que cela soit vrai, mais alors pourquoi ne pas baisser les impôts pour tout le monde à 26 %, plutôt que de hausser celui des très riches à 46 % ? Nous aurions une parfaite égalité, très recherchée par les Zucmanolâtres.
Cela ferait peut-être revenir les entrepreneurs et cadres dirigeants qui ont quitté la France depuis 1982 et l’instauration de l’impôt sur la fortune (ISF). Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, a calculé qu’entre 1982 et 2015, le cumul du potentiel d’activité qui ne s’est pas créé représentait 2,1 % du PIB, soit 45 Mds€ en 2015. Combien aurait rapporté cette somme si elle avait été imposée, même modestement ?
La confusion qui atteint les gauchistes se propage à une grande partie de la population qui ne se rend pas compte que défendre la taxe Zucman revient à accréditer l’idée, comme l’explique Jean-Philippe Feldman, « selon laquelle le patrimoine des individus ne leur appartiendrait pas, mais qu’il appartiendrait à l’Etat, libre dès lors de s’en accaparer une partie et, dans sa grande bienveillance, de laisser le reste aux contribuables ».
C’est ainsi que même des entrepreneurs se déclarent favorables à la taxe. Armand Thiberge (Brevo), Marc Batty (Dataiku) et Jean-Baptiste Rudelle (Criteo) n’ont-ils pas signé un texte dans La Tribune dimanche disant qu’ils acceptent d’être si lourdement imposés ?
Même Arthur Mensch, patron de Mistral AI, pourtant incapable de payer la taxe comme il l’a dit à plusieurs reprises, affirme qu’il faut « plus de justice fiscale en France ». Le célèbre économiste Philippe Aghion, embauché par le Medef pour animer son Front économique, qui a accusé Zucman de vouloir transformer la France en « prison fiscale », plaide pour augmenter la contribution des plus riches à travers une contribution différentielle sur les hauts patrimoines hors outil de travail, une taxation des ressources non productives placées dans les holdings, un rétablissement de l’ISF ou encore une taxe Zucman à 0,5 % en exonérant les entreprises de moins de dix ans.
Sur la ligne entre les organisations patronales, les points de vue divergent. A l’ouverture des 50 ans de l’UP2, événement organisé ce jeudi 25 septembre au Trianon à Paris, le président du petit poucet patronal, Michel Picon, a bien pris soin de se démarquer du Medef. Sa solution pour remplumer les caisses de l’Etat est iconoclaste : il suggère de transférer une partie des cotisations pesant sur les salaires vers des impôts sur… les revenus du capital. Soit 116 milliards d’euros selon l’U2P. « Il faut que tout le monde fasse un petit effort pour permettre que le travail soit rémunéré à sa juste valeur », explique-t-il. Pour ce petit patron, « il faut que des symboles tombent » afin de rendre les efforts budgétaires demandés aux Français plus acceptables.
Nous verrons dans notre prochain article que, loin d’apporter justice et recettes fiscales, la taxe Zucman risque surtout d’appauvrir l’économie française, de faire fuir capitaux et entrepreneurs, et d’ouvrir la voie à une extension progressive de l’impôt qui finira par frapper bien au-delà des seuls « ultra-riches ».