La Chronique Agora

En attendant que Ben Bernanke sorte un nouveau lapin de son chapeau

▪ Beaucoup d’investisseurs resteront longtemps traumatisés par la chute des marchés financiers survenue au mois d’août.

Comme au lendemain d’un séisme de magnitude exceptionnelle, la crainte des répliques entraîne une évacuation temporaire ou définitive des édifices fissurés, de peur qu’ils ne s’effondrent définitivement. Certaines ruines médiévales sont couvertes de fractures béantes qui vont des fondations jusqu’au sommet du donjon. Elles tiennent en équilibre précaire depuis six siècles et défient toutes les tempêtes.

Et que dire du cirque Maxime de Rome, qui survit à l’arrachage de toutes les agrafes en métal qui assuraient la cohésion de piliers et des traverses ? Les fissures en façade extérieure se comptent par centaines.

Mais nous évoquons des vestiges qui datent du temps où officiaient de vrais bâtisseurs… Aujourd’hui, les plus brillants esprits de notre époque bâtissent… des stratégies. Sur du vent.

En ce qui concerne la pyramide de dettes qu’ont accumulé les Etats depuis la grande crise de 2008, sa solidité s’apparenterait plutôt à celle d’un château de cartes. Un simple courant d’air menace de produire les mêmes effets destructeurs que l’ouragan Katrina qui frappa la Nouvelle-Orléans un certain 29 août 2005.

Nous ne résistons pas à l’envie de vous faire partager une des blagues qui fait actuellement le tour des salles de marché. Il n’y avait aucune raison de s’alarmer du passage d’Irene sur la ville de New York car la véritable menace pour Wall Street viendra du cyclone Odette (ô dettes !).

L’humour semble aujourd’hui le seul moyen de conjurer les grandes peurs systémiques qui ont ressurgi en force cet été de part et d’autre de l’Atlantique et propulsé l’or de 1 500 $ vers 1 900 $ en l’espace de huit semaines.

▪ Le métal précieux s’est d’ailleurs empressé de réintégrer son canal ascendant court terme (celui inauguré le 1er juillet) après un trou d’air aussi brutal que bref jusque sur 1 707 $ le 25 août. Cela fait suite à la hausse des dépôts de garantie imposée par le Chicago Mercantile Exchange (CME) afin de casser temporairement la spéculation.

Quarante-huit heures plus tard, l’or a repris plus de 135 $ à 1 842 $. Il engrangeait la bagatelle de 3% mardi soir, de même que le palladium — l’argent et le platine avançant de 2,5%.

Si quelques mains fragiles ont laissé tomber maladroitement quelques pièces d’or sur le sol du CME vendredi dernier, les mains fortes se sont empressées de les ramasser, de même que l’ensemble des métaux précieux et industriels (les platinoïdes notamment).

Nous ne savons pas si ce rebond constitue un bon signe pour l’économie. Cependant, Wall Street a inscrit mardi soir une sixième hausse sur une série de sept séances. Ce sont manifestement les valeurs cycliques qui ont soutenu les principaux indices américains — notamment le Dow Jones avec 2% de gain en moyenne sur Boeing, Caterpillar ou encore DuPont.

▪ Certains stratèges tentent depuis quelques jours de démontrer que le scénario du ralentissement économique aux Etats-Unis a été exagéré. Ils fondent en partie leur conviction sur le constat que la Fed ne croit pas au scénario du double creux et estime qu’il est urgent d’attendre avant de songer à mettre en oeuvre de nouveaux stimuli.

Ils ont probablement tort mais cela n’est devenu une évidence qu’hier soir avec la publication des minutes — le compte-rendu de la dernière réunion de politique monétaire de la Fed du 9 août qui s’était tenue en pleine tempête boursière.

Ben Bernanke et ses collègues ont réaffirmé que le maintien des taux directeurs à proximité du zéro absolu serait prolongé deux ans de plus. Les minutes révèlent qu’une majorité de membres votants étaient partisans d’une action immédiate, mais qu’aucun consensus n’a pu être trouvé concernant le choix d’un des « nombreux moyens » dont la Fed prétend disposer.

Thoma Hoenig a clairement fait savoir à la veille du discours de son patron à Jackson Hole (vendredi dernier) qu’il était opposé au lancement d’un QE3… ce qui a dû rassurer ses interlocuteurs chinois.

Le marché envisage désormais des alternatives telles que le rachat de dérivés de crédit ou de créances immobilières (MBS) directement auprès des banques. La seule hypothèse désormais exclue est que la Fed n’annoncera aucune mesure de soutien lors de sa prochaine réunion à rallonge du 20 septembre prochain.

▪ Cette anticipation s’est logiquement renforcée mardi peu après 16h00 lorsqu’ont été connus les très mauvais chiffres de la confiance des consommateurs du Conference Board au mois d’août. L’indice enregistre une chute de pratiquement 15 points, passant de 59 vers 44 points (contre 52 attendus).

Cette publication a fait l’effet d’une douche froide : les indices américains affichaient rapidement -1% (vers 16h05), tandis que Paris chutait de +0,4% à -0,7% (3 130 points au plus bas) avant de se raviser pour clôturer en hausse de 0,2% au final. Le score a été identique pour le Dow Jones et le S&P au coup de cloche final hier soir.

Wall Street aurait pu prendre prétexte d’un tel nouveau clou dans le cercueil de la croissance américaine (à 48 heures des chiffres de l’emploi qui pourraient constituer une nouvelle déception) pour consolider, mais les vendeurs se sont mis aux abonnés absents.

Ils se sont juste manifestés à un quart d’heure de la clôture, alors que le Nasdaq gagnait pratiquement 1% et affichait un rebond de 10% sur ses planchers du 19 août dernier… juste histoire de marquer le coup, sans chercher à marquer leur territoire ni faire fuir les acheteurs.

C’est cette attitude de profil bas adopté par les baissiers — à 24 heures de l’expiration du pire mois d’août boursier depuis 1998, entièrement à leur avantage faut-il le rappeler — qui nous incite à penser qu’ils laissent les indices remonter afin que se reconstitue un potentiel de baisse proportionnel aux périls qui menacent la croissance des nations occidentales surendettées.

▪ Mais d’ici le 20 septembre, les tractations entre la Fed, la Maison Blanche et le Congrès US (dans le cadre d’un projet de réforme budgétaire orienté vers plus de rigueur) vont entretenir l’espoir que Ben Bernanke sorte un nouveau lapin du chapeau.

Ils risquent de l’attendre longtemps ; le Tea Party n’autorisera pas ses alliés républicains à laisser la moindre chance au président Obama de se prévaloir d’un redressement ponctuel des finances américaines d’ici les élections de novembre 2012.

Contrairement à une célèbre formule du général de Gaulle, le destin des Etats-Unis se joue bel et bien à la corbeille. Et quand le Tea Party entend le mot « corbeille », il pense surtout « poubelle » : celle dans laquelle l’actuel système politico-économique « socialiste » qu’il exècre mérite selon lui d’être jeté.

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