La Chronique Agora

Empires d’illusions

Sam Bankman-Fried, FTX, cryptomonnaie

L’univers cryptographique de SBF s’effondre. Certains investisseurs se réveillent avec de nouveaux trous dans leurs comptes.

Les chacals du gouvernement…. et les chiens de chasse de la presse… rongent les os du pauvre Sam Bankman-Fried (SBF).

C’est une belle carcasse, bien sûr ; son histoire a tout ce qu’il faut pour faire un film à succès. D’ailleurs, Michael Lewis, qui fait ce genre de choses (The Big Short, Moneyball…) est déjà sur le coup.

L’accident de parcours des marchés attire aussi les vautours. Les journalistes politiques pensent que Sam Bankman-Fried apporte une preuve supplémentaire que le capitalisme dérégulé ne fonctionne pas. Au lieu de cela, disent-ils, il faut tout réglementer pour protéger les petits acteurs.

Voici ce qu’en dit Benzinga :

« Elizabeth Warren appelle à ‘des mesures agressives’ contre l’industrie des cryptomonnaies, suite au fiasco de FTX.

Selon Warren, le problème ‘montre un besoin urgent de réglementations strictes, pour protéger les consommateurs’.

[…] Warren a cité un article du Wall Street Journal sur la Security Exchange Commission, qui a lancé une nouvelle enquête sur FTX. ‘L’effondrement de l’une des plus grandes plateformes de crypto montre à quel point l’industrie semble être un véritable écran de fumée’, a-t-elle déclaré dans un tweet.

Selon Warren, l’industrie des cryptomonnaies a besoin de ‘mesures plus agressives’, annonçant qu’elle va continuer à pousser la SEC ‘à appliquer la loi pour protéger les consommateurs et la stabilité financière’. »

La SEC avait précédemment souligné que FTX se trouvait aux Bahamas, et non aux Etats-Unis. Nous ne savons pas si des lois américaines ont été violées ou non. Mais, à notre avis, les investisseurs américains ont une dette envers M. Bankman-Fried. Il nous a donné à tous de précieuses leçons sur le fonctionnement réel de l’argent et des marchés.

De jeunes prodiges

Nous savons tous que le fou et son argent sont vite séparés. Aujourd’hui, nous examinons comment ils se sont retrouvés ensemble en premier lieu.

D’ailleurs, dans cette affaire, les fous étaient nombreux ! La liste des investisseurs de FTX est exceptionnellement longue… et inhabituellement illustre. C’est une leçon en soi. Bloomberg en cite certains parmi les plus prestigieux :

« La liste des investisseurs de FTX comprend des sociétés d’investissement puissantes et connues : NEA, IVP, Iconiq Capital, Third Point Ventures, Tiger Global, Altimeter Capital Management, Lux Capital, Mayfield, Insight Partners, Sequoia Capital, SoftBank, Lightspeed Venture Partners, Ribbit Capital, Temasek Holdings, BlackRock et Thoma Bravo. »

Ce sont les acteurs les plus intelligents du secteur. Ils ont des avocats. Ils ont des analystes. Ils ont un personnel de haut niveau, dont de jeunes prodiges recrutés dans les meilleures universités, qui étudie soigneusement chacun de leurs investissements. Et, maintenant que la marée s’est retirée, nous voyons que ces nageurs olympiques étaient tous nus.

Pour vous donner une idée de la profondeur de leurs examens, voici l’analyse de Sequoia capital expliquant le choix d’investir 150 M$ dans FTX :

« Après mon entretien avec SBF, j’étais convaincu : je parlais à un futur mille-milliardaire. Le mojo qu’il a exercé sur les partenaires de Sequoia – qui sont tombés sous son charme après un appel Zoom – a également agi sur moi.

Pour moi, c’était simplement une intuition. Cela fait des dizaines d’années que je parle à des fondateurs et que j’étudie en profondeur les entreprises technologiques. C’est toute ma vie professionnelle. Et, grâce à cette expérience, il doit y avoir quelque chose qui tourne quelque part dans mon subconscient. Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sais. SBF est un gagnant. »

Un examen en profondeur ? Peut-être pas assez profondément. Pourtant, il est difficile d’imaginer comment tous ces analystes ont pu passer à côté de cet élément du bilan rapporté par le Financial Times : un « compte « fiat@ » caché et mal catégorisé en interne ».

L’Edison des cryptos

De quoi il s’agissait ? Selon le FT, il y avait 8 Mds$ dans ce compte. Et si nous étions concernés par cette affaire, nous poserions la question suivante : 8 Mds$ de quoi ? Mais tout ce qui entoure FTX a l’air d’être si obscur et profond, qu’il faudra beaucoup de temps aux enquêteurs pour aller au fond des choses.

Mais, pour les lecteurs qui souhaitent arnaquer les investisseurs, ou simplement en savoir plus sur le fonctionnement des marchés, voici l’essentiel du programme :

Quand la crypto était très populaire, l’argent affluait sur FTX, comme la lave en fusion sur Pompéi. Les escrocs pouvaient inventer une nouvelle « pièce ». Ils pouvaient, disons, en créer 10 millions. Puis, ils en mettaient quelques-unes en vente… et peut-être même en achetaient-ils quelques-unes pour leur propre fonds. S’ils achetaient une seule pièce pour 1 $, la valeur marchande présumée de l’ensemble des pièces serait de 10 M$.

Bien sûr, la valeur réelle était toujours nulle, mais vous ne pouviez pas le savoir avant d’essayer de vendre les pièces sur un marché libre. Alors, le prix s’effondrerait rapidement jusqu’à zéro.

Mais, avec une capitalisation boursière de 10 M$ pour votre pièce, vous pouviez commencer à faire des transactions, en échangeant vos pièces (à 1 $ l’unité) contre d’autres pièces… et en construisant un portefeuille de pièces. C’était comme avoir une action avec un très petit capital flottant. Quelques petites transactions pourraient faire bouger le prix de façon spectaculaire, même si la valeur réelle de la société n’avait pas changé. Et, si vous étiez vraiment méfiant, vous pouviez faire les transactions vous-même.

Chacun de ces « Edison des cryptos » jouait plus ou moins le même jeu. L’idée était d’en lancer une, puis d’essayer de réaliser quelques ventes, et de prétendre que toutes les autres avaient la même valeur.

Poussière dans le vent

Les marchés nous enseignent ainsi quelque chose qui peut être utile : la loi de l’utilité marginale décroissante de l’argent. Lorsque vous disposez de quelques dollars, ils peuvent valoir X chacun. Inondez-en le monde, et le prix tombera à X moins Y. Continuez à imprimer et vous serez bientôt à court d’alphabet ; le prix tombera à zéro. Le monde en aura alors « trop ».

Dans le cas de SBF, il a inventé une pièce – FTT – et a investi dans de nombreuses autres, dont l’une appelée Serum. Il en a gardé d’énormes quantités en réserve, tout en permettant à quelques-unes dans le monde semi-réel d’établir un prix de marché. Sur le papier, jeudi dernier, le Serum, présenté comme « un protocole pour les échanges décentralisés qui apporte une vitesse sans précédent et de faibles coûts de transaction à la finance décentralisée », valait 2,2 Mds$. Le week-end dernier, cette valeur avait disparu.

L’autre pièce, FTT, valait auparavant – du moins selon les normes de comptabilité du monde cryptographique – 5,7 Mds$. De même, en fin de semaine dernière, les investisseurs à la recherche de leur argent n’en ont trouvé qu’une trace chimique.

Ces deux pièces étaient parmi les principaux « actifs » du bilan des sociétés de SBF… et pouvaient être utilisées comme crédit pour acheter d’autres actifs de valeur douteuse similaire.

C’est ainsi que s’est construit l’empire éblouissant de Bankman-Fried, une illusion pétillante après l’autre.  Les investisseurs, y compris les gros bonnets des fonds spéculatifs susmentionnés, étaient convaincus que SBF et d’autres de son espèce « avaient compris ». Et ils voulaient la même chose.

Et donc, ils ont investi de l’argent. Et maintenant, la grande question est : où cet argent est-il allé ?

Il y a une autre leçon d’argent à retenir, pour nous. Ça va, ça vient. En deux jours, la fortune de SBF, qui s’élevait auparavant à environ 15 Mds$, a été réduite à zéro.

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