La Chronique Agora

Eloge de l’hypocrisie

Des règles qui ne s’appliquent qu’aux autres…

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Les parents, les prêtres et les hommes politiques savent à quel point l’hypocrisie a de la valeur.

Prenez le sénateur Lindsey Graham. Il est à 100% en faveur de la protection de la vie des enfants… en particulier des enfants qui ne sont pas encore nés. « Les Etats-Unis sont la meilleure version d’eux-mêmes lorsqu’ils défendent les plus petits d’entre nous », déclare-t-il. Cette expression pleine de grâce nous a été communiquée entre deux épisodes remarquables… le premier étant la preuve que ce n’était pas vrai… et le second, la preuve que Graham ne pensait pas vraiment ce qu’il disait.

Les Etats-Unis n’ont pas défendu les « plus petits ». Elle les a piétinés. C’est le terrible aveu de l’ancienne secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, qui, confrontée à la mort de 500 000 enfants irakiens privés de médicaments essentiels par les sanctions américaines, a répondu : « Cela en valait la peine. »

La nature du « cela » n’a jamais été clarifié, puisqu’aucun bénéfice des sanctions ou de l’invasion n’a jamais été identifié. Quoi qu’il en soit, Graham a bien fait d’éviter la contradiction et de s’en tenir fièrement à une hypocrisie honorable.

Mais avec le pilonnage israélien de Gaza, qui a déjà causé la mort de plus de 4 000 enfants, l’homme a sombré dans la barbarie dans le même style qu’Albright. « On leur a appris depuis leur naissance à tuer et à haïr les juifs. » Il est peu probable que l’on ait déjà enseigné aux enfants morts, enterrés sous les décombres, à tuer des juifs sans remords. Pour ce qui est des survivants, ils reçoivent aujourd’hui un cours approfondi sur la haine.

Double hypocrisie

En matière d’hypocrisie, les politiciens des deux partis se tirent la bourre.

Voici ce que rapporte le Financial Times :

« La Chambre des représentants des Etats-Unis a voté pour la censure de Rashida Tlaib, représentante démocrate du Michigan, l’accusant de ‘promouvoir de faux récits’ sur les attaques du Hamas contre Israël et ‘d’appeler à la destruction’ de l’Etat d’Israël. »

Il s’agit de la même confédération de cancres qui a approuvé à plusieurs reprises la destruction de gouvernements dans le monde entier – Irak, Libye, Iran, Russie – et qui appelle maintenant à la destruction du gouvernement démocratiquement élu de Gaza. Il semble légitime que Mme Tlaib, élue par les bons citoyens de Détroit, décide elle-même quels récits sont vrais ou faux… et quels gouvernements étrangers doivent être détruits.

Mais c’est de l’hypocrisie. Cela revient à prendre la grande route… en ignorant la traînée marécageuse et tachée de sang que vous laissez derrière vous.

Un autre bijou nous a été communiqué suite à la condamnation de Mme Tlaib : « Israël a existé sur ses terres depuis des millénaires, et les Etats-Unis ont joué un rôle essentiel dans le retour d’Israël sur leur territoire en 1948. » Ouah ! Cela signifie-t-il que le gouvernement américain est favorable à la restitution de la Floride aux Seminoles ? Laramie aux Sioux ? Las Vegas aux Paiutes ?

Encore une fois, l’hypocrisie est à l’oeuvre. On se sent bien quand on peut rendre la terre d’autrui à ses propriétaires légitimes. Quant à la nôtre, nous l’avons volée en bonne et due forme. Aujourd’hui encore, certains habitants de Brooklyn se sentent probablement coupables de ne pas parler une langue algonquine et de squatter les terres où vivaient autrefois les tribus de Rockaway ou de Canarsie. Mais à notre connaissance, aucun effort majeur n’a été fait pour leur rendre leurs terres… s’il reste des Amérindiens à qui les rendre.

Si nous réattribuons des terres à des communautés qui y ont « existé », où est-ce que les Palestiniens ont-ils existé ? En Palestine, peut-être ? Et les Romains ? Et les Byzantins ? Les Kish… les Sassanides… les Croisés… les Séleucides… les Akkadiens… Les Sumériens… Amorites… Ahlamu… Babyloniens… ? Tous ont existé en Palestine.

« Faites ce que je dis… »

L’hypocrisie a son utilité. Pour les élites, elle est aussi essentielle que la langue d’un menteur… ou le pouce d’un boucher. Personne n’attend vraiment de nos dirigeants qu’ils abandonnent leurs habitudes de voleurs et de tricheurs. Mais le moins qu’ils puissent faire est d’agiter le doigt vers les classes inférieures et de leur dire de faire mieux.

De même, un empire hégémonique rend service au monde lorsqu’il…

… dit aux autres de bien se comporter (même s’il s’est à peine remis de sa dernière débauche)…

… prêche la prudence financière (alors qu’il continue allègrement à emprunter, à dépenser et à imprimer de l’argent)…

… met en garde contre l’imprudence en matière de guerre (alors qu’il met en danger la sécurité du monde entier en finançant des conflits sur toute la planète).

Le libre-échange devrait être sa devise, même s’il truque l’économie mondiale avec sa fausse monnaie, ses sanctions, ses droits de douane et ses préférences commerciales.

L’Etat de droit devrait être sa devise, même s’il invente ses propres lois au fur et à mesure.

« Les droits de l’homme et la liberté » devraient être son hymne, sans qu’il soit nécessaire de mentionner les millions de personnes qu’il maintient derrière les barreaux (l’Amérique a la plus grande population carcérale du monde).

Le « respect de la souveraineté nationale » devrait être presque sacré… sauf, bien sûr, lorsqu’elle souhaite envahir une autre nation.

Et un « NON » catégorique doit être opposé à quiconque voudrait se livrer à des massacres. (A moins qu’il ne s’agisse d’un allié particulier, doté d’un puissant lobby à Washington).

« … pas comme je le fais »

Eh bien, vous voyez l’idée. « L’extrémisme dans la défense de la liberté, comme l’a écrit un jour le grand Karl Hess pour Barry Goldwater, n’est pas un péché. La modération n’est pas une vertu. » Et nous pouvons ajouter que l’hypocrisie, dans la poursuite de la paix et de la justice, vaut mieux que rien.

Alors, trouvons un autre modèle… un dirigeant qui n’est pas complice de l’assassinat d’enfants en masse.

En 1982, les Israéliens étaient à nouveau sur le sentier de la guerre. Cette fois-ci, ils tiraient sur le poisson dans le baril de Beyrouth. Après deux mois et demi de bombardements, le bilan approchait les 20 000 morts, dont la moitié étaient des enfants.

Ronald Reagan s’est adressé directement au premier ministre israélien, Menachem Begin. Il était inutile de faire référence aux campagnes meurtrières des Etats-Unis… ni au Japon… ni au Vietnam… ni même au Honduras ou au Nicaragua… Au lieu de cela, il est allé droit au but : « Menachem, c’est un holocauste. »

Vingt minutes plus tard, les armes se sont tues. L’hypocrisie fonctionne.

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