Le sommet de l’incertitude se transformerait-il en sommet de la manipulation des cours ?
Il ne faut pas se le cacher, les presque 3% de hausse (à 7 688 points) du CAC 40 à l’ouverture – et +2,5% après une heure de cotation – sont une surprise totale, même si les commentateurs vont tenter de vous faire croire que les marchés manifestent un « soulagement », que chacun jugera légitime ou pas à l’aune de son positionnement politique et de sa vision du « souhaitable » pour notre pays.
Il faut avoir suivi le déroulé des échanges minute par minute à partir de 00h01, la nuit dernière, pour comprendre qu’il s’est passé des choses « bizarres ». Une envolée de 50 points en quelques secondes à 2h30 du matin (rien à voir avec l’évolution des marchés asiatiques, Tokyo a d’ailleurs terminé à +0,1%), puis un spectaculaire +100 points à 8h00 précises.
Ne cherchez pas la « news », il n’y en avait pas ! Et ne cherchez pas la clé magique du côté de l’obligataire : nos OAT ont rouvert, inchangées à 3,2900%, avant de se dégrader de 2 points vers 2,3100%.
En revanche, ceux qui ont acheté avec cette brutalité totalement inattendue savent quelque chose qui relève d’un domaine qui reste à élucider.
L’analyse des carnets d’ordres pourrait permettre de déterminer à quels niveaux précis se déclenchaient des programmes de rachats informatisés ; mais pour observer deux coups de boutoir de +50 points puis +100 points, il est clair que de tels mouvements sont motivé par « autre chose » (c’est une certitude), et orchestré par des « initiés » (c’est une certitude absolue).
Pour qui conserve un regard « froid » et écarte des poncifs comme « nous sommes sauvés, le NFP n’enverra pas Mélenchon à Matignon », l’évolution du scénario politique reste des plus incertaines.
Le seul domaine dans lequel le jeu politique s’est un peu clarifié, c’est celui des alliances. En moins d’une demi-heure après les premières estimations, la déclaration de Jean-Luc Mélenchon appelant à faire barrage à l’extrême droite a reçu en écho celle de Gabriel Attal : « L’extrême droite est aux portes du pouvoir. Jamais, dans l’histoire de notre démocratie, l’Assemblée nationale n’a risqué, comme ce soir, d’être dominée par l’extrême droite. Notre objectif est clair : empêcher le Rassemblement National d’avoir une majorité absolue au second tour, de dominer l’Assemblée nationale et de gouverner le pays avec le projet funeste qui est le sien. Je le dis avec la force que l’instant appelle à chacun de nos électeurs : pas une voix ne doit aller au Rassemblement national. »
Ainsi, il apparaît que des accords de désistement ont été négociés en amont avec LFI, qualifié quelques jours auparavant par l’entourage de Macron de formation pourvoyeuse de chaos à l’Assemblée (l’une des raisons de dissolution mentionnée par le chef de l’Etat), et qui s’est placée d’elle-même en dehors de « l’arc républicain » en tolérant ou en adoptant des positions antisémites.
La recherche de tels accords avant les résultats officiels est confirmée par le président lui-même, information reportée par BFMTV : il a demandé à ses équipes lors d’une réunion à l’Elysée de « rechercher dans chaque circonscription des alliances – y compris avec des candidats LFI – afin de faire barrage au Rassemblement National ».
Lors de sa brève intervention, Raphaël Glucksmann a repris presque mot pour mot les propos de Gabriel Attal et de Jean Luc Mélenchon.
Un éléphant dans le corridor émerge des propos quasi-unanimes des intervenants soit proches du président, soit défendant la bannière du NFP, qui se sont succédés sur tous les plateaux entre 20h et minuit. A aucun moment ils n’ont défendu un « projet », mais ils ont repris presque mot pour mot les éléments de langage des présidentielles d’avril 2022, puis des législatives qui ont suivi.
Cela se résume à « constituer un front républicain pour faire barrage au péril du fascisme qui est à nos portes ».
En quelques secondes se retrouvaient balayées les anathèmes sur les prises de position de LFI au sujet de la Palestine, le programme économique de la gauche qui est le pire pour la France et qu’il faut absolument écarter, car il constitue un danger mortel pour nos finances.
Une seule « grande conscience » (c’est du second degré) ne dévie pas de sa ligne… Il s’agit de Bernard-Henri Levy qui dénonce : « L’antisémite, pro Hamas, Rima Hassan qui se tient aux côtés de Jean-Luc Mélenchon pour incarner, en ce moment historique, le Front Populaire. Quelle honte… Et quelle meilleure preuve que ce NFP, marionnettisé par LFI, n’est pas un barrage mais un tremplin pour le RN ! » Edouard Philippe, de son côté, acte sa rupture avec la ligne « Macron », en appelant ses supporters à ne voter ni pour LFI, ni pour le RN.
A part ces deux communiqués divergents, il apparaît clairement que les programmes économiques prétendument « aberrants et dangereux » des uns et des autres et les prises de position susceptibles d’engager notre pays dans d’éventuels conflits internationaux n’ont guère d’importance, et que la priorité est de conserver son siège de député, quitte à renier toutes ses professions de foi des trois dernières semaines, la main sur le coeur.
Il n’en demeure pas moins que les quatre priorités des Français demeurent, dans l’ordre :
- à 59%, le pouvoir d’achat ;
- à 38% l’immigration ;
- à 32% la sauvegarde du système de santé ;
- à 27% la sécurité.
Les candidats encore en lice au second tour (attention aux nombreuses « triangulaires ») vont devoir tenter de convaincre qu’ils entendent répondre à ces préoccupations, alors que nombre de ceux qui se représentent devant le suffrage des électeurs sont les mêmes qui ont échoué dans tous ces domaines, tandis que d’autres – qui n’ont jamais été « aux responsabilités » depuis 2017 – appellent à les soutenir ou souhaitent d’être soutenus par eux, après avoir fait connaître leur intention de les censurer à la rentrée, juste après les JO.
Et, pour le RN, il faudra convaincre les électeurs qu’un éventuel Premier ministre de 28 ans – sans expérience, ni compétence reconnue, sans programme « gravé dans le marbre et qui évolue chaque jour qui passe » – peut rassembler une majorité afin d’avoir les mains libres pour réussir là où les autres ont manifestement échoué (les Français se sont exprimés par deux fois, en ce sens).
La lecture des déclarations – ou éléments de langage – étrangement identiques à ceux qui nous sont assénés depuis le premier duel « extrême droite/coalition anti-RN » alimente le sentiment que notre vie politique ressemble au film « un jour sans fin ».
Comme le disait Einstein, on ne peut espérer un résultat différent d’une expérience en la reproduisant avec les mêmes ingrédients.
Et quelques initiés qui ont déjà vu le film semblent penser qu’un scénariste providentiel vient de réécrire la dernière scène à leur avantage…
Le « twist final » serait qu’aucune force politique en présence ne serait en mesure d’appliquer son programme et de changer quoi que ce soit aux paramètres actuels au lendemain second tour, ce qui signifie que c’est le plus rusé – Emmanuel Macron – qui garde la main, avec cet avantage décisif que ses supporters sont en capacité d’orienter les marchés à leur guise et de le faire décaler dans le sens qui leur convient.
Pour les vendeurs qui ne voyaient rien de bon pour la France émerger du scrutin, l’image qui s’impose ce matin, c’est celle du lapin pris dans les phares de la voiture qui lui fonce dessus !