La Chronique Agora

Elections de la peur…

** Puisque la période des vœux s’étend jusqu’à la véritable reprise de l’activité économique qui interviendra lundi prochain avec la fin des congés scolaires, nous profitons de cette occasion pour compléter la liste de nos espoirs et résolutions pour l’année 2008.

Notre Chronique du 21 décembre 2007 s’était achevée par cette formule un peu utopique : « moins de biens et plus de liens »… Nous persistons dans la même voie en espérant que 2008 verra également reculer tous les types de pollution, qu’ils soient environnementaux — avec la flambée des carburants… mais heureusement, par la grâce des Vélibs, les grandes métropoles hexagonales devraient être un peu moins asphyxiées aux heures de pointe cette année — ou politico-économiques : de combien de mensonges nous a-t-on abreuvés l’an passé, qu’il s’agisse de la prétendue innocuité de la crise du subprime ou du niveau réel de l’inflation ?… Bref, autant de sujets qui tétanisent sporadiquement les marchés depuis le milieu de l’automne dernier et de façon particulièrement aiguë depuis 48 heures.

** L’année 2008 sera celle des Jeux olympiques de Pékin — un formidable tremplin économique pour la Chine, qui continue en outre de bénéficier de son accession de plein droit à l’OMC début 2002 — mais aussi celle des élections présidentielles aux Etats-Unis. Ces dernières sont placées une nouvelle fois sous le signe de la peur, une thématique récurrente depuis septembre 2001.

L’exploitation à outrance de ce ressort psychologique par l’administration républicaine — peur du terrorisme, de la dissolution des mœurs, de l’invasion du pays par des immigrants latinos ou asiatiques, le thème de campagne favori de Rudolph Giuliani et du sénateur Mc Cain — reste un intéressant paradoxe pour la nation qui se revendique comme la plus puissante du monde depuis la chute du Rideau de fer fin 1989… et l’entrée en récession du Japon au cours des quelques semaines qui ont suivi.

La campagne électorale américaine, dont le premier tournant décisif se joue en ce moment même au cœur des plaines enneigées de l’Iowa, s’annonce déjà comme la plus coûteuse de l’histoire des Etats-Unis (et des démocraties en général). Cette campagne présente d’un côté des démocrates accusés de vouloir restaurer une imposition des plus riches — de vieilles lunes socialistes qui devraient être bannies du territoire américain pour l’éternité — et de l’autre côté, des républicains plus conservateurs que jamais, et dont les trois champions (un pasteur baptiste, un milliardaire mormon, un pro-évangéliste revendiqué), presque à égalité dans les derniers sondages, font campagne la Bible à la main…

Les électeurs de la droite religieuse — tant choyés par le « regretté » Karl Rove, l’âme damnée de la Maison-Blanche, spécialiste émérite en coups tordus et en diffamation des adversaires politiques de la droite — qui avaient assuré la réélection de George Bush en 2004, bénéficient cette année d’une palette de candidats qui frôle… le divin !

Les uns assurent que les Etats-Unis resteront placés sous la protection morale, physique et matérielle du « Très-Haut », les autres affirment qu’avec ou sans l’aide de Dieu, un peu plus de justice sociale et de recettes fiscales ne peuvent que faire du bien au pays.

L’électeur lui, semble beaucoup se préoccuper de l’inflation, des délocalisations de pans entiers de l’économie américaine vers l’Asie du Sud-Est et même de la santé financière de sa banque ou de l’organisme qui gère sa future retraite. Le fiasco irakien passe presque au second plan et l’impopularité des Etats-Unis dans le monde ne préoccupe guère que les « intellectuels défaitistes » de la côte Est (selon John Mc Cain).

** En ce qui concerne la crise du subprime, elle ne commencera à faire réellement peur que lorsque le crédit à la consommation se fera plus rare et lorsque les municipalités — à court d’argent — devront recourir à la bienveillance de rehausseurs de crédit tels que ceux rachetés récemment par Warren Buffett pour absorber de nouvelles émissions liées au sauvetage d’emprunteurs menacés d’expulsion (autant d’électeurs potentiels en moins).

Les ultra-libéraux savent bien que taxer les plus riches pour aider les plus pauvres, cela ne fonctionnera jamais auprès des électeurs américains… à moins que la presse ne s’interroge sur l’origine du train de vie pharaonique des actionnaires — non-imposés sur les dividendes depuis 2004 — des grandes firmes pétrolières ou d’armement qui prospèrent comme jamais dans l’histoire des Etats-Unis depuis la première élection de G.W. Bush.

En ce qui concerne l’abolition des libertés publiques par le Patriot Act — un épais document dont la rédaction fut achevée puis votée en moins de deux mois… alors que la Constitution européenne n’a pu voir le jour en l’espace de 20 ans –, aucun candidat n’ose revendiquer son intention de l’amender, de peur d’être immédiatement accusé de vouloir livrer le pays aux mains des terroristes.

** La tradition veut que Wall Street se comporte de manière satisfaisante au cours du premier semestre de l’année des élections, le troisième trimestre pouvant inciter les marchés à la prudence en cas d’anticipation d’une alternance politique. Une autre croyance très répandue concerne l’aspect prémonitoire (pour l’année à venir) de l’orientation des indices boursiers à l’issue de la première semaine de transactions.

Il va donc falloir cravacher d’ici ce vendredi soir pour éviter un score négatif aux marchés américains, le rebond de Wall Street étant plutôt du genre timide et fragile au lendemain du gros coup de froid de la séance du 2 janvier (1,6% de repli en moyenne pour le Dow Jones et le Nasdaq). Jeudi, à la mi-séance, le S&P — considéré comme le plus fiable des indices — n’affichait encore qu’un gain voisin de 0,35%, peinant à refranchir les 1 450 points.

A Paris, les valeurs françaises ont aligné une seconde séance de baisse consécutive. Les derniers espoirs de voir le CAC 40 terminer dans le vert se sont évanouis au cours du dernier quart d’heure de cotations, alors que le baril de pétrole franchissait la barre technique et psychologique des 100 $ le baril sur le NYMEX.

Les vendeurs ont gardé la main, comme en témoignent des volumes d’échanges supérieurs d’un bon tiers par rapport à la veille, à 5,18 milliards d’euros.

La hausse collective des pétrolières et des utilities a permis au CAC 40 de se maintenir proche de l’équilibre après avoir dérapé jusque vers 5 515 points en début de matinée. Après une chute de 150 points en moins de 24 heures, l’indice s’est en effet redressé, mais laborieusement, parvenant seulement à en terminer au contact des 5 545 points.

** Le rebond des places européennes au cours de l’après-midi a été contrarié à cause de trois facteurs : les faibles chiffres de créations mensuelles d’emplois dans le secteur privé au mois de décembre (40 000 au lieu des 50 000 anticipées), l’ouverture hésitante de Wall Street — le Dow Jones ou le S&P n’ont repris que 0,4% à mi-séance et le Nasdaq a stagné autour de 2 610 points — puis la forte contraction des stocks de pétrole brut (moins quatre millions de barils), qui a propulsé le WTI au-delà de 100,5 $ à New York sur le contrat février.

L’inflation liée à la flambée des matières premières et de l’énergie devient une des thématiques majeures de ce début d’année 2008. La BCE a fait savoir ce jeudi qu’elle jugeait qu’une nouvelle hausse de taux pourrait se justifier alors que la dérive des prix atteignait 4,3% en rythme annuel fin décembre, en Espagne.

Nous attendons avec une certaine impatience la mesure officielle de l’inflation dans l’ensemble de la zone euro. Et nous faisons d’ores et déjà le pari que le maintien du pouvoir d’achat deviendra rapidement le vœu le plus largement partagé par les citoyens/consommateurs (électeurs ou non) de part et d’autre de l’Atlantique en 2008.

Philippe Béchade,
Paris

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