▪ Nous avons quitté les blizzards hivernaux de l’Ecosse pour retrouver les douces brises parcourant West Cork, en Irlande. Le seul problème, c’est que les brises apportaient plus d’eau que de douceur.
Après une journée de tourisme le long de la côte, nous nous sommes retrouvés dans une petite boutique à Kinsale. Un autre couple d’Américains s’équipait pour le mauvais temps, tout comme nous.
Nous avons acheté deux coupe-vent. Elizabeth voulait une paire de bottes en caoutchouc, mais n’a pas réussi à en trouver à sa taille. Lorsque nous sommes repartis, nous avions les pieds trempés, mais au moins nous étions au chaud et au sec à partir de la taille.
L’Irlande est en train de vivre sa cinquième année de crise financière. Bizarrement, elle ne semble pas s’être propagée jusqu’aux prix à la consommation. Nos coupe-vent ont coûté environs le double de ce que nous aurions prévu aux Etats-Unis (du moins là où nous faisons nos achats) !
Les hôtels et les restaurants n’étaient pas excessifs. Mais il n’y a pas de signe de crise. Les prix n’ont pas baissé. Les restaurants étaient pleins le samedi et le dimanche.
▪ Pas le temps de flâner au coin du feu
L’Irlande n’est pas bon marché. Et la météo peut être abominable. Mais il y a tout de même de quoi se faire plaisir. On peut dénicher une petite auberge ou un pub… et se mettre au coin du feu… pour siroter une tasse de thé bien chaud. Ou un verre de whisky.
Hélas, Elizabeth est historienne — et infatigable. Dans un musée, elle parcourra toutes les salles en lisant jusqu’à la dernière explication. Elle voudra grimper au sommet de tous les monuments, collines ou bâtiments publics pour avoir la meilleure vue.
Elle étudie les guides touristiques et explique avec force détails la signification historique de ce que nous sommes en train de regarder. Ce qui ne laisse guère de temps pour flâner au coin du feu.
Hier, elle a insisté pour que nous trouvions un pilier de pierre — particulièrement représentatif, apparemment, de la période chrétienne primitive.
« Ce devrait être dans ce champ à droite », a-t-elle dit, lisant son guide tandis que nous conduisions sous une pluie torrentielle.
« Peut-être que nous devrions attendre que la pluie se calme », ai-je suggéré.
« Pas besoin. Nous avons nos coupe-vent. En plus, c’est important. Parce que ce pilier montre le triomphe de l’influence romaine sur l’église celtique du neuvième siècle ». Voilà qui semblait incontournable !
Nous nous sommes donc garés, avons ouvert un portail et gravi une colline. Nous étions dans un pâturage. Il n’y avait pas trace de pilier. Et la pluie tombait comme si la mousson venait de commencer.
« Il doit être quelque part par là. Oui. Le voilà ».
Le « il » en question était bien un pilier de pierre, de la taille d’un homme grand et mince. Il était entouré d’une simple barrière métallique, qu’Elizabeth a franchie pour mieux regarder. Il portait des images très simples représentant un oiseau, une croix et un bateau… dont on pense qu’il s’agissait du Christ et de ses disciples en Galilée.
Elizabeth étudia le pilier de pierre pendant plusieurs minutes, pendant que la pluie tambourinait alentours. Ensuite, quand elle a été prête, nous avons slalomé entre les bouses de vaches sur l’herbe détrempée et sommes revenus à la voiture.
▪ Malheureux héritiers !
Nous sommes ensuite allés de Kinsale à Kerry, puis le long du fameux Anneau du Kerry. C’est une région d’une beauté remarquable. Nous avons notamment visité une grande demeure très ancienne — Bantry House : elle appartient encore à la famille White, qui en est propriétaire depuis le 18ème siècle.
Nous avions pitié des malheureux héritiers. Ils ont eu cette vieille baraque sur le dos toute leur vie. Ils la rénovent depuis le milieu des années 90, après un demi-siècle de négligence. Mais nous sommes repartis de cette visite avec l’idée qu’ils perdaient plus de terrain qu’ils n’en gagnaient. La maison a encore besoin de rénovations en profondeur.
On n’est pas obligé d’investir en bourse pour perdre de l’argent. Les grandes demeures se montrent parfois si férocement affamées de cash que la famille finit par ne plus pouvoir l’apaiser.
Les rénovations se fatiguent. Il faut les rénover une nouvelle fois. Il peut coûter si cher d’entretenir une propriété que cela peut appauvrir plusieurs générations de la même famille.
Comme les malheureux White de Bantry House, ils doivent parfois recourir au tourisme… et supporter des Américains trempés comme des soupes venant goutter dans leur salon… afin d’obtenir assez de revenus pour réparer le toit.
Votre correspondant a une faiblesse pour l’immobilier ancien. Il apprécie particulièrement la sorte d’immobilier qui pèse si lourdement sur la famille White — de vieilles maisons dans un pétrin innommable. Mais il a déjà eu sa part de propriétés impossibles à sauvegarder.
Désormais dans sa septième décennie, il peut regarder une vieille maison en ruines… l’apprécier pleinement… et se réjouir du fait que ce n’est pas son problème.