▪ Entre 2007 et 2012, les prix Nobel d’économie Paul Krugman et Joseph Stiglitz — ainsi que l’économiste people Jeffrey Sachs et quasiment tous leurs collègues — ont échoué à remarquer la chose la plus importante qui se soit produite dans leur domaine. Mais ne pas remarquer les choses leur vient facilement, naturellement. En fait, on pourrait dire qu’ils ont construit leur carrière sur le fait de ne pas remarquer les choses, en particulier la chose la plus importante de l’économie.
C’était partie intégrante de leur formation professionnelle. C’est ce qui leur permet d’être économistes et de gagner des prix convoités et des postes-clés dans une profession très compétitive. S’ils avaient plus réfléchi… et mieux observé… ils seraient probablement enseignants en lycée technique.
A la fin du XXe siècle, les économistes — et en particulier les grands économistes — avaient cessé d’être utiles. Ils étaient devenus nuisibles. Ils fermaient les yeux sur ce qu’une économie est vraiment… et comment elle fonctionne… pour se concentrer sur leur propre monde — un monde fait de chiffres et de théories « pour de faux », n’ayant que peu de liens avec le monde dans lequel vivent la plupart des gens. A présent, au XXIe siècle, ils préparent un mauvais coup. Et une partie de ce mauvais coup implique de ne pas remarquer des choses se trouvant juste sous leur nez.
La caractéristique la plus importante des économies modernes, c’est la croissance. Sans elle, ni les entreprises, ni les ménages, ni les gouvernements ne peuvent payer leurs factures. Sans elle, les fonds de pensions — publics et privés — font faillite. Sans elle, le marché boursier est condamné… et les obligations sont laminées lorsque les débiteurs ne peuvent pas payer.
En fait, sans gouvernement, tous les gouvernements du monde économiquement développé sont confrontés à la catastrophe. Leurs revenus stagnent tandis que leurs coûts — largement constitués d’engagements sans limite dans les domaines de la santé et de la retraite envers des populations vieillissantes — continuent de s’étendre.
▪ Pourquoi le Japon et le Royaume-Uni sont différents
En 2012, en fait, tous les grands gouvernements du monde développé ont déjà des problèmes. Certains plus que d’autres, selon leur capacité à emprunter de l’argent… ou à en imprimer. Les Etats-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne sont encore techniquement « solvables » parce qu’ils maîtrisent la devise dans laquelle leurs dettes sont calibrées. Ils peuvent toujours imprimer de l’argent pour payer leurs dettes ; les créditeurs n’ont pas à s’inquiéter d’un défaut pur et simple. La Grèce, l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, l’Illinois et la Californie, en revanche, troublent déjà le sommeil des prêteurs, qui se demandent s’ils pourront payer — ou pas — leurs factures.
Le Japon et la Grande-Bretagne sont à part, chacun avec une dette totale de plus de 500% du PIB. Mais même cet Everest de dette a été ignoré de la plupart des économistes. Au lieu de regarder par la fenêtre, ils se sont penchés sur leurs ordinateurs, étudiant leurs formules et leurs données, apparemment inconscients de l’avalanche qui se dirigeait droit sur eux.
En fin de compte, une économie doit payer ses dettes. Elle ne peut le faire qu’en ponctionnant sa propre épargne et sa propre production. Une dette, c’est de l’argent qui a déjà été dépensé. C’est comme le péché ; c’est peut-être amusant pendant qu’on le commet, mais il y a toujours un prix à payer ensuite. Le remboursement de la dette est la partie douloureuse du cycle. Et parfois, c’est si douloureux… et si énorme… que la facture ne peut jamais être soldée.
Le Japon et la Grande-Bretagne ont eu leur fièvre dépensière. Ils ont eu leurs beaux jours. Comment vont-ils désormais payer leurs dettes ? Oubliez le fait de les rembourser entièrement ; personne n’imagine qu’une telle chose soit possible. Mais elles doivent être épongées. Un prêteur doit obtenir quelque chose en l’échange de ses services, même si c’est une bouchée de pain.
En général, les prêteurs demandent une livre de chair pour 20 livres (environ) d’argent prêté. A cet égard, la période actuelle est inhabituelle. Les taux de croissance sont si bas, les taux d’épargne si élevés et les prêteurs si craintifs qu’ils n’exigent plus grand-chose en termes de rendement. Ils se satisfont de peu. Le bon du Trésor britannique à 10 ans rapportait 1,68% à la mi-août 2012, bien au-dessous de l’augmentation des prix à la consommation. Quant à son équivalent japonais, les investisseurs se contentaient de 0,8%. S’il y avait ne serait-ce qu’un peu d’inflation des prix à la consommation, les investisseurs perdraient de l’argent.
Les taux d’inflation baissent depuis plus de 30 ans — depuis que l’IPC a atteint un sommet de 11% en 1980. Les investisseurs doivent penser qu’ils continueront éternellement à baisser. Si c’est le cas, les pays comme le Japon et la Grande-Bretagne continueront d’entretenir leur dette à des coûts de plus en plus faibles en termes d’intérêts. Mais ce serait un monde bien étrange si les marchés allaient dans une seule direction. Et il serait encore plus étrange si les investisseurs ne voyaient pas ce qui les attend.