Les énergies renouvelables et les véhicules électriques sont en proie au syndrome de Lesseps : un optimisme irrationnel qui mène très probablement à l’échec.
[NDLR : retrouvez un débat en vidéo entre Philippe Béchade et Charles Sannat sur le sujet des énergies renouvelables – au sein d’une plus longue discussion sur les conséquences de la guerre en Ukraine pour les Français – en cliquant ici.]
La plupart des gens connaissent le canal de Panama, mais ils ne savent souvent pas que sa construction, qui s’est étalée sur près d’une décennie, a été initiée par la France. Ferdinand de Lesseps, malgré les nombreuses critiques auxquelles il a dû faire face au départ, a eu la clairvoyance et la détermination nécessaires pour construire le canal de Suez. Après qu’il soit parvenu à surmonter de nombreux obstacles et difficultés, le succès fut au rendez-vous. Tout naturellement, la France s’est tournée vers lui pour construire un canal au Panama.
Des rapports techniques commandités afin d’évaluer la faisabilité de l’aménagement d’un canal à travers l’isthme de Panama ont conclu qu’il fallait soit créer des lacs artificiels, à l’image de ce qui existait déjà au Nicaragua, soit construire une série d’écluses. Un canal au niveau de la mer sans écluses a été jugé irréaliste en raison du fait que le terrain est rocheux, et des avalanches de boue se produisaient fréquemment à l’excavation de Culebra car la terre déposée sur les parois rocheuses perdait son adhérence en cas de précipitations importantes.
L’apport d’« hommes de génie »
La rivière Chagres, particulièrement sinueuse, représentait cependant un défi insurmontable pour un canal au niveau de la mer. Il n’était pas possible de la détourner. Des inondations qui auraient même effrayé Noé n’étaient pas rares pendant la saison des pluies. Sans même évoquer le problème de l’évacuation des crues, la création d’un barrage s’avérait complexe car aucune fondation rocheuse n’avait été trouvée.
Mais ces rapports ont été ignorés et parfois vivement critiqués, car de Lesseps était séduit par les avantages d’un canal au niveau de la mer qui permettrait de transporter marchandises et passagers de façon simple et rapide. Sa vision, alors considérée comme s’il s’agissait déjà d’un fait accompli, a été approuvée à la quasi-unanimité.
Il savait que la réalisation du canal de Panama poserait des difficultés, mais après tout il a également dû faire face à de nombreux défis pour finaliser le canal de Suez. Des « hommes de génie » avaient su proposer les solutions adéquates. De Lesseps était convaincu que le travail devait commencer immédiatement au Panama et que, si des problèmes devaient surgir, des « hommes de génie » trouveraient la bonne marche à suivre. Le succès était jugé inévitable.
Au final, la France a subi l’échec du projet le plus important jamais tenté par l’humanité en temps de paix. Les ménages modestes et la classe moyenne ont été lourdement affectés par la perte des économies qu’ils avaient investies dans la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama. Les administrateurs de la société ont finalement procédé à sa liquidation [en 1889].
Cet échec historique français soulève aujourd’hui des questions similaires concernant les énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolien. L’attrait financier de la production d’électricité solaire et éolienne repose sur des coûts d’exploitation en apparence extrêmement bas. Le talon d’Achille de ces énergies renouvelables est le coût total nécessaire pour gérer l’intermittence de la production.
Si aucune source d’énergie renouvelable n’était utilisée pour la production d’électricité, alors le coût supporté par les consommateurs comprendrait uniquement les dépenses d’investissement et d’exploitation des sources habituellement utilisées pour couvrir la demande énergétique de base (charbon et nucléaire), intermédiaire (turbines à gaz à cycle combiné) et lors des pics de consommation (turbines à combustion).
Une viabilité encore éloignée
En revanche, si des sources de production d’énergie solaire et éolienne sont intégrées au réseau, étant donné qu’il n’existe aujourd’hui aucune solution de stockage de l’énergie pendant une durée significative, lors des pics de consommation le véritable coût global pour les clients correspond aux coûts existant dans le premier scénario, plus les coûts des énergies renouvelables installées.
Cette addition est nécessaire puisque, sans solution adéquate de stockage de l’énergie, il faut un système de secours performant lorsque l’énergie solaire et l’énergie éolienne cessent de fonctionner. Bien entendu, la production d’énergie solaire est entièrement interrompue une fois la nuit tombée et peut fortement diminuer au cours de la journée en fonction de la couverture nuageuse. La production d’énergie éolienne cesse lorsque les vents sont trop forts ou trop faibles, ou lorsqu’il y a du givre en hiver.
Les énergies renouvelables ne devraient pas être considérées comme viables tant que nous n’aurons pas de solution de stockage permettant de faire face sur de longues durées à la consommation énergétique de base […]. D’après cet article :
« Le stockage de l’énergie devrait coûter entre 10 et 20 $/kWh pour qu’un mix éolien-solaire avec une solution de stockage soit compétitif par rapport à une centrale nucléaire fournissant de l’électricité de façon régulière.
Et pour concurrencer une centrale au gaz naturel fournissant de l’électricité en période de pointe de consommation, il faudrait que les coûts de stockage de l’énergie tombent à 5 $/kWh…le chemin à parcourir est donc encore long lorsqu’on sait que le cout de stockage des batteries lithium-ion s’établissait à 175 $/kWh en 2018. »
Les estimations de coût des énergies renouvelables devraient inclure les investissements dans le parc solaire et éolien, mais aussi les coûts de stockage de l’énergie, le coût des travaux sur le réseau électrique et le coût des systèmes de secours (y compris pour la régulation de la tension afin de maintenir la stabilité du réseau) qui restent nécessaires pour faire face aux pics de consommation compte tenu des problèmes d’intermittence des énergies renouvelables lorsque les capacités de stockage sont insuffisantes ou défaillantes.
« De grandes quantités d’électricité intermittente entraînent d’énormes fluctuations de l’offre auxquelles le réseau doit pouvoir faire face. »
Les centrales à combustible fossile et nucléaires ne présentent pas le même problème de régulation de la fréquence du réseau.
« Les turbines des centrales thermiques connectées au réseau créent de l’énergie cinétique appelée inertie, qui contribue à maintenir le réseau à la bonne fréquence. Cette inertie ne peut pas être créée par des éoliennes ou des panneaux solaires et les décideurs politiques doivent trouver des moyens d’encourager d’autres formes de stockage d’énergie ou de production flexible. »
Les énergies renouvelables devraient être compétitives, en termes de coût de production totale, par rapport au charbon, aux turbines à gaz, au nucléaire, à l’hydroélectricité et à la géothermie, sans subventions ni traitement préférentiel en matière d’accès au réseau.
Les véhicules électriques compliquent le problème
Les consommateurs doivent savoir que la production effective des sources d’énergie renouvelable est nettement inférieure à leurs capacités de production théorique et qu’ils devront en supporter le surcoût.
Le titre du livre de Rick Page sur les techniques de vente indique que « l’espoir n’est pas une stratégie ». Si l’on comprend ce principe, nous devrions arrêter d’engager des dépenses pharaoniques dans la production d’énergie solaire ou éolienne tant qu’une solution de stockage sur longue durée n’aura pas fait ses preuves et ne sera pas commercialisée. Aujourd’hui, nous sommes toujours à la recherche de cet « homme de génie » qui trouvera la solution. L’expérience vécue par de Lesseps nous apprend cependant qu’il est possible que nous nous n’y parvenions pas.
Il n’y aura peut-être jamais de solution technique abordable. Si tel est le cas, le pays a besoin de solutions réelles, et non imaginaires, pour fournir les quantités massives d’énergie dont il a besoin pour son indépendance et sa prospérité. La foi aveugle dans la capacité des énergies renouvelables à assurer une production d’énergie fiable et économique est un symptôme du syndrome de Lesseps.
De la même manière, il s’est répandu le fantasme de convertir toutes les voitures thermiques en véhicules électriques. Sous l’impulsion de la Californie, de nombreux Etats américains ont décidé l’interdiction à terme des moteurs à combustion interne. L’attrait des véhicules électriques réside dans le fait qu’on croit souvent (à tort) qu’ils ne rejettent pas de CO2. La voiture électrique est une bête étrange qui a de nombreux talons d’Achille, notamment en termes de performance par temps froid, de capacité de remorquage, de charge utile, de coût, de fiabilité, de limitation des ressources, de rechargement de la batterie, et de risque d’inflammation des batteries lithium-ion.
La fabrication des voitures thermiques conventionnelles nécessite 8 à 22 kg de cuivre, tandis que les véhicules électriques en utilisent 3 à 4 fois plus. Selon la taille du véhicule, le coût total sur la durée de vie d’un véhicule électrique serait au moins 44 à 60% plus élevé. La demande de cuivre devrait être démultipliée d’ici à 2030 compte tenu des nouveaux besoins dans le secteur des énergies renouvelables et des véhicules électriques, ce qui risque de nécessiter l’ouverture d’un grand nombre de nouvelles mines. Il sera difficile d’éviter des pénuries et les prix des matières premières pourraient grimper en flèche dans une telle situation.
La foi dans les véhicules électriques en tant que moyen de transport fiable et économique est un symptôme du syndrome de Lesseps, qui se manifeste par un optimisme irrationnel quant à l’apparition d’« hommes de génie » pour résoudre des problèmes insolubles. Les énergies renouvelables et les véhicules électriques sont trop bien trop couteux pour être rentables et il est peu probable que cette situation change de sitôt.
Si nous poursuivons sur cette voie, les pauvres et la classe moyenne risquent de subir de manière disproportionnée les conséquences néfastes de cette politique qui constitue une menace pour l’emploi dans l’industrie manufacturière et pour la sécurité nationale.
L’écrivain et philosophe George Santayana aurait écrit que « Ceux qui oublient les erreurs du passé sont condamnés à les répéter ». Nous ne devrions pas nous engager à nouveau les yeux fermés dans un projet bancal et ruineux en pensant que des « hommes de génie » finiront par pour trouver le moyen de résoudre des problèmes insurmontables. Cette fois-ci, les solutions doivent précéder l’exécution. Espérons que nous cesserons d’être comme hypnotisés par les énergies renouvelables et les véhicules électriques et que nous comprendrons que nous sommes victimes du syndrome de Lesseps.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici