La Chronique Agora

L’eau, source de la discorde ?

▪ La guerre de l’eau va-t-elle enfin allumer la mèche ? Le concept est apparu en 1993, quand Christian Chesnot publie La Bataille de l’eau au Proche-Orient. La thèse selon laquelle l’eau et sa possession est une des sources de conflit majeur pour le 20ème siècle mais surtout pour le 21ème siècle a depuis fait florès. Il suffit de taper l’expression "guerre de l’eau" dans votre moteur de recherche préféré pour prendre conscience du nombre d’articles s’intitulant : "la guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?"

L’inquiétude est d’autant plus justifiée que les ressources en eau douce (2% de l’eau contenue sur la planète) s’amenuisent et que, surtout, la demande flambe. D’ici à 2030, les ressources d’eau douce disponibles seront de 40% inférieures à la demande.

Selon l’ONU, 263 réserves d’eau (fleuves, lacs, rivières ou nappes phréatiques…), représentant 60% des réserves d’eau douce de la planète, sont partagées entre au moins deux pays. Des "bassins internationaux" qui peuvent très vite cristalliser les crispations dès que l’approvisionnement en eau ne coule plus de source.

Les exemples sont nombreux… et ne datent pas d’hier. Est cité comme premier exemple d’une guerre de l’eau le conflit qui a opposé les deux cités mésopotamiennes, Lagash et Umma, pour le contrôle de canaux d’irrigation dérivés du Tigre. Et depuis ?

L’eau est un élément indispensable non seulement à la consommation humaine mais aussi à l’agriculture (qui représente 70% de la consommation d’eau douce mondiale) mais aussi à l’industrie (pour la production d’énergie mais aussi pour l’industrie minière, chimique, textile, etc.). Les besoins, et tout particulièrement des pays émergents, vont donc très fortement augmenter dans les années qui viennent pour accompagner leur croissance économique. De quoi faire craindre une explosion de la violence liée à la possession d’eau ?

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L’eau est rarement la cause réelle d’un conflit entre pays mais facteur aggravant. C’est le cas par exemple entre Israël et ses voisins qui, outre leurs sources de conflit bien connues, s’affrontent aussi sur le partage des eaux du Jourdain ou encore sur certaines nappes phréatiques. Un des déclencheurs de la guerre des Six Jours est le projet de détournement du Jourdain.

Autre conflit, latent cette fois, celui qui oppose la Turquie à la Syrie ou l’Irak. La Turquie a en effet entrepris la construction d’une vingtaine de barrages sur le Tigre et l’Euphrate. Or, selon la Syrie et l’Irak, qui se trouvent en amont de la Turquie, ces projets menacent leur approvisionnement en eau. La guerre diplomatique et politique a failli en passer plusieurs fois par les armes depuis les années 70. En 1990, la Turquie a bloqué par exemple l’Euphrate pendant un mois pour remplir le lac du barrage Atatürk. Les tensions entre ces pays sont toujours d’actualité sans que de solutions durables soient trouvées.

La possession de ressources d’eau explique aussi en partie certains choix géostratégiques fait des par des Etats. Le Tibet est ainsi la quatrième réserve d’eau douce au monde et est la source des cinq principaux fleuves d’Asie, le Brahmapoutre, le Mékong, l’Indus, le Fleuve Jaune et le Yangtsé (Fleuve bleu). Les nombreux projets de barrages qui naissent régulièrement dans les arcanes du pouvoir chinois font ainsi trembler toute la région.

Même chose pour les différents barrages construits par l’Inde, comme l’explique Le Monde : "l’Inde reproche à la Chine un égoïsme de l’eau qu’elle inflige elle-même à ses voisins situés en aval. Car le Bangladesh aussi se plaint amèrement des projets indiens de barrages ou de retenues d’eau sur le Brahmapoutre comme sur le Gange. Dans cette affaire, la tâche de New Delhi est compliquée par les intérêts particuliers de ses propres Etats fédérés, comme l’a illustré l’attitude récalcitrante du Bengale-Occidental qui a fait capoter en 2011 un projet d’accord indo-bangladais sur la rivière Teesta. Cette question du partage de l’eau alimente également au Népal des sentiments hostiles à New Delhi".

▪ La coopération, outil essentiel de la politique de l’eau
Cependant, le caractère indispensable de l’eau incite à la coopération. La plupart des conflits liés à l’eau se concluent de manière pacifique, comme le rappelle Alternatives économiques : "depuis 50 ans, 1 228 des 1 831 litiges entre Etats concernant le partage des eaux ont été réglés de manière coopérative. Et que, dans les cas conflictuels, seuls 35 se sont accompagnés de violences, la violence militaire n’intervenant qu’à 21 reprises… dont 18 entre Israël et ses voisins".

"Le Comité du Mékong, par exemple, créé en 1957 comme agence intergouvernementale entre le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Viet Nam, n’a pas cessé d’échanger des données et des informations sur la mise en valeur des ressources en eau durant toute la guerre du Viet Nam (1955-1975). Israël et la Jordanie ont tenu des pourparlers secrets ‘de table de pique-nique’ sur la gestion du Jourdain à la suite des négociations infructueuses de Johnston en 1953-1955, alors même qu’ils ont été en guerre de l’indépendance d’Israël en 1948 jusqu’au traité de paix de 1994″, explique d’ailleurs un article publié en janvier dans Planète Science.

Le traité dit de l’Indus, signé en 1960, réglemente le partage des eaux entre l’Inde et le Pakistan et a résisté aux trois guerres qui ont opposé les deux pays depuis. L’Unesco, qui a lancé en février dernier une Année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau, souligne que la coopération reste pour le moment le moyen privilégié de résolutions des conflits liés à l’eau.

▪ L’eau, révélateur de tensions sociales
Le même article de Planète Science cité plus haut souligne que plutôt que les tensions internationales, les problèmes d’approvisionnement d’eau accroissent l’instabilité sociale et politique au sein des Etats. C’est le cas au Brésil, où le projet de barrage de Belo Monte dont la construction qui a commencé l’année dernière a soulevé une véritable opposition sur fond de lutte sociale. Ce barrage qui devrait devenir le troisième plus important au monde recouvrera 500 km2 de forêt amazonienne et entraînera le déplacement 16 000 personnes (Indiens essentiellement).

En 2000, la guerre de l’eau en Bolivie s’est traduite par de violentes manifestations après l’augmentation des tarifs de l’eau à Cochabamba, troisième plus importante ville du pays.

Dernier exemple des tensions qui peuvent naître du problème d’eau : la migration depuis le début d’année d’habitants fuyant l’Ouest de l’Inde, frappée par la pire sécheresse enregistrée depuis 40 ans pour se réfugier vers les grandes villes de la région. 3,5 à 4 millions d’Indiens seraient attendus dans ces centres urbains.

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