La Chronique Agora

Du rayon d’action de la bombe systémique

** L’effondrement des cours mardi fut massif ; le rebond ce mercredi, par contre, fut des plus poussifs.

Si quelques rachats à bon compte n’ont pas tardé à se matérialiser après une chute de 4% de l’Euro Stoxx 50… les investisseurs saisissent le « papier » du bout des doigts et s’en défont d’une pichenette dès que l’orientation d’un titre cesse d’apparaître haussière l’espace de quelques minutes.

La morosité et la frilosité ont continué de régner à 24 heures de l’issue de la réunion de la BCE –dont les opérateurs n’attendent rien. Peut-être la Banque d’Angleterre aura-t-elle à coeur de soutenir le moral de la City ce jeudi. Cependant la stagnation des valeurs britanniques ce mercredi signifie que les investisseurs doutent que la solution à leurs tourments puisse provenir de la seule baisse des taux.

Nous avions souligné mercredi que les marchés — compte tenu d’écarts indiciels abyssaux — avaient d’une certaine manière chuté dans le vide mardi après-midi à Paris. Cette impression s’est confirmée avec des volumes d’échanges très comparables le lendemain même — 7,5 milliards d’euros négociés contre 7,8 la veille.

La contrepartie acheteuse s’est remobilisée et le support des 4 750 points a été finalement préservé après un repli initial du CAC 40 jusque sur 4 735 points — le plancher du 21 janvier. Mais ce seuil tiendra-t-il longtemps le choc alors que les marchés d’actions s’avèrent incapables d’aligner deux séances de hausse d’affilée depuis le 24 décembre dernier ?

Et si le CAC 40 s’est replié à 19 reprises, plus une quasi-stabilité, sur une série de 28 séances — depuis la culmination survenue sous 5 627,5 points le 27 décembre dernier — c’est que la pression vendeuse va même au-delà d’une simple opinion fondamentale négative. Elle n’empêche pas de jouer les rebonds sans état d’âme s’il y a un peu d’argent à gagner sans trop de risques lorsque les cours apparaissent bradés.

** Nous attribuons l’incapacité des indices à refaire surface depuis six semaines à un phénomène de contraction des liquidés, directement lié aux difficultés de trésorerie des établissements de crédit : la spéculation se retrouve à court de munitions.

Si quelques irréductibles naïfs imaginaient qu’une série de baisse de taux inonderait le marché d’argent frais puis éviterait aux Etats-Unis d’entrer en récession, les voici édifiés !

Avec une chute globale de 15% en quatre semaines, les marchés avaient déjà partiellement intégré — dès le 23 janvier dernier — une phase de contraction économique au premier semestre 2008. La brutalité de la chute de l’ISM des services au mois de janvier a stupéfait tout le monde. Mais cela changera-t-il le cours du match entre les « taureaux » et les « ours » ?

A l’issue de la séance de mardi — qui s’est soldée par le plus lourd repli du Dow Jones (370 points) depuis fin février 2007 et par la plus forte chute en 48h du S&P 500 en cinq ans (4,25%) — les vendeurs à découvert fredonnaient gaiement « happy bear’s day to you« . Et les bulls n’avaient plus qu’à souffler la bougie du premier anniversaire de l’éclatement de la crise du subprime.

Certes, la bombe systémique éclata officiellement le 26 février 2007 mais New Century Financial — qui dévoila alors sa situation de banqueroute — était déjà à l’agonie début février.

L’épicentre de la dégradation conjoncturelle américaine se situe en Californie, en
Floride et au Nevada. Le paradoxe, cependant, est que les indices boursiers de la zone euro — peu exposés à l’éclatement d’une bulle immobilière — ont perdu pratiquement deux fois plus de terrain que leurs homologues américains depuis le 1er janvier. Et même en corrigeant cette chute de « l’effet dollar » — les gérants américains matérialisent avec bonheur et sans le moindre effort des plus-values induites par la hausse de l’euro — le compte n’y est toujours pas !

Le propre d’un marché étant d’anticiper, il se pourrait que la rigidité de la politique monétaire de la BCE soit considérée comme un handicap pour nos entreprises en 2008. Même si la croissance est ailleurs — en Asie, en Russie ou au Brésil comme se plaisent à le marteler tous les experts — un ralentissement de la demande intérieure se dessine dans la Zone euro. Il risque bien d’affecter les performances des entreprises implantées sur le Vieux Continent.

Il ne faut pas se laisser prendre au discours de nombreux stratèges qui arguent que les valeurs européennes sont aujourd’hui bon marché. Les multiples seraient voisins de 14, c’est-à-dire très en-deçà de la moyenne historique de 16,8 selon des études circulant à Londres. Elles sont largement reprises par la presse économique qui éprouve parfois le besoin de rassurer le lecteur.

** Mais ce qui importe, ce sont les projections de bénéfices en 2008 et 2009. Et si les profit warnings continuent de se multiplier, les PER futurs apparaîtront beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont de manière instantanée. De plus, les multiples de 14 font référence à une période courte de l’histoire des marchés (20 ans), la moyenne longue étant plus proche de 12.

S’agissant du discours officiel, le président de la Réserve Fédérale de Richmond, Jeffrey Lacker, évoque une récession modérée aux Etats-Unis. Il est difficile d’imaginer que cela puisse être le cas compte tenu de l’effondrement de l’activité dans le secteur immobilier.

Les trimestriels publiés par Toll Brothers mercredi — et antérieurement par
Lennar, également spécialisé dans le haut de gamme avec des produits d’une valeur moyenne de un million de dollar — font état d’une contraction de 45% des signatures de contrats et de 40% en terme de maisons effectivement commercialisées. Le taux d’annulations de commandes frôle les 30% — c’était pire fin 2006 — et le prix unitaire par contrat chute de 15% en un an, déstockage oblige.

Un tout dernier chiffre publié mercredi pourrait inciter à entrevoir l’avenir sous un jour moins sombre. En effet, les demandes de prêts immobiliers ont explosé de 20% au mois de janvier. Du jamais vu depuis 2004. Mais il semblerait que cela soit dû au dépôt de multiples dossiers auprès de différents établissements de crédit par les mêmes solliciteurs, dans l’espoir que leur dossier finisse par passer.

Le taux de refus a lui aussi explosé. Mais de cela, vous en entendrez moins parler car les banquiers maintiennent un voile discret sur le durcissement de leurs critères d’attribution. L’un des biais les plus souvent évoqué, c’est le degré d’exposition d’un salarié à une potentielle perte d’emploi. Et vous savez quoi ? Ce sont justement les employés du secteur des services financiers et du BTP qui présentent le plus haut degré de risque, les enseignants et les personnels de santé le plus faible.

Nous ne serions pas surpris que ceux présentant un portefeuille de valeurs mobilières ou des stock options exerçables en garantie partent avec un handicap insurmontable cette année !

Ceci permet de mesurer la formidable étendue du champ d’action de la bombe systémique… qui au départ était présentée comme tout juste capable de faire sauter le couvercle d’une boite de popcorn en carton.

Philippe Béchade,
Paris

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