▪ Il y a des anecdotes qui « font le buzz » le temps d’un week-end. Et puis il y a des concepts qui émergent du brouillard des idées circulant sur les marchés la semaine précédente… et qui rallient soudain tous les suffrages.
Il en est un qui rencontrait un vif succès ce lundi : après la splendide envolée boursière de vendredi, les opérateurs restés sur la touche par méfiance ou par défi sont plus proches que jamais de succomber à l’obligation de passer à leur tour acheteurs. Ils sont sous la pression de ceux qui n’ont aucune idée de la raison pour laquelle les cours montent mais qui ne supportent plus de voir tous ces gains qui s’accumulent leur échapper.
Une hausse aussi absurde qu’artificielle devrait donc connaître son apogée avec l’arrivée massive de « l’argent idiot ».
Mettez-vous à la place d’un gérant flairant un piège… mais qui devrait expliquer sa stratégie à ses supérieurs au soir du 30 septembre 2010 : je n’ai pas acheté un bout de papier au cours du mois où le Dow Jones a enregistré sa plus forte hausse depuis 71 ans !
Tous ses collègues qui pratiquent la gestion indicielle ont suivi le mouvement sans se poser de questions. Ses copains de fac, convertis aux vertus du HFT (trading à haute fréquence) ont passé leur temps à gonfler les carnets d’ordres à l’achat ; plus il y a de demande — même fictive –, moins il y a de vendeurs. Quant à la presse, elle fait campagne sur le thème de la bulle obligataire depuis la mi-septembre, insinuant que c’est le plus stupide et le plus dangereux des placements car les actions rapportent le double, sans le moindre risque apparent.
A 48 heures de la fin du trimestre, ceux qui ont le sentiment d’entendre les mêmes arguments qu’à la veille de l’effondrement des subprime vivent tout de même un grand moment de solitude.
Le discours dominant de l’époque, nous l’avons encore bien présent en mémoire : « n’écoutez pas les Cassandre qui dénoncent des actifs frelatés, une usine à gaz qui synthétise toutes les pratiques douteuses du monde de la finance ! Le marché immobilier américain a encore de beaux jours devant lui ! Les performances canon des CDO et des RMBS ne vous laissent pas d’autre choix que de faire comme tout le monde, sauf à passer pour un idiot et perdre votre poste de gérant obligataire avant la fin de l’année ».
▪ Les marchés ont décidément la mémoire courte et sélective. Ils comptent une nouvelle fois sur « l’argent idiot » (un parfait mélange d’avidité et de panurgisme) pour assurer la pérennité d’un mouvement de hausse frauduleux !
Car qui connaît dans le détail les stratégies informatiques permettant de manipuler les carnets d’ordre ? Qui connaît l’efficacité de certains programmes d’arbitrage permettant de « scalper » les positions long ou short dès qu’une des deux stratégies devient prédominante chez des opérateurs aux mains fragiles ? Une brusque hausse de la volatilité, même sans cause objective, provoque automatiquement le débouclage des positions.
Le tangage, lorsqu’il devient trop violent, provoque le mal de mer… C’est la même chose pour les cours de Bourse ! Il ne faut pas plus de quelques minutes pour voir le restaurant du navire se vider aux deux tiers, les convives abandonnant sur place leur assiette encore pleine, leur rond de serviette et leur bouteille de vin.
Le bateau, en réalité louvoie délibérément, juste ce qu’il faut pour incommoder les passagers. Il garde le même cap… et la forte houle de 20 h 00 a bon dos ! Le capitaine et son équipage — qui ont le pied marin, eux — n’ont plus qu’à enclencher le pilote automatique pour venir se régaler des retours en cuisine aux frais de « la croisière s’amuse ».
Wall Street, c’est un peu comme un bateau qui devient ivre au début des repas sans avoir rien bu — mais qui redevient sobre à l’heure du café après avoir vidé le bar. On a souvent l’impression que les indices marchent sur la tête !
Pauvres croisiéristes : ceux qui ont choisi la formule pension complète avec repas à heures fixes (au fameux service de 20 h 00) finissent, pour se restaurer un minimum, par se ruiner en snacks et en gâteaux hors de prix à la boutique du pont promenade.
C’est là une évidence que ceux qui ont su tirer les marrons du feu connaissent bien : Wall Street ne sert pas de repas gratuit… et lorsque la cloche retentit, ce sont les loups qui se mettent à table.
Et ceux qui n’ont pas été invités à s’y asseoir figurent sans le savoir au menu !