La Chronique Agora

Du peuple, par le peuple, pour le peuple

Le 4 juillet n’est pas seulement la date anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis.  

« Général, j’ai été soldat toute ma vie. J’ai passé ma vie aux côtés de soldats engagés dans des combats en binômes, escouades, compagnies, régiments, divisions et armées, et je devrais être en mesure de savoir de quoi les soldats sont capables. Mon opinion est que jamais quinze mille hommes préparés pour la bataille ne pourront prendre cette position. »
Le général Longstreet s’adressant au général Lee, 3 juillet 1863.

Hier, les Etats-Unis fêtaient l’anniversaire de leur déclaration d’indépendance… mais aussi le 160e anniversaire de la bataille la plus décisive de la guerre de Sécession. Aux Etats-Unis, on l’appelle généralement la « guerre civile », mais une guerre civile est une guerre où deux groupes se battent pour le contrôle d’un gouvernement, comme la guerre civile anglaise, la guerre civile irlandaise ou les nombreuses guerres civiles en Chine.

La guerre de Sécession était une guerre entre deux groupes, chacun ayant son propre gouvernement. Les Etats du sud, confédérés, voulaient suivre leur propre chemin – à la manière des régions du Donbass et de Lougansk dans l’est de l’Ukraine aujourd’hui, qui ont cherché à obtenir leur indépendance après le coup d’Etat de Maidan en 2014. Et, comme le gouvernement de Kiev aujourd’hui, Washington, à la tête de l’Union, voulait faire rentrer les Etats sécessionnistes dans le rang… par la force.

La guerre a commencé lorsque les sudistes ont tenté de prendre possession d’un fort tenu par l’Union et construit sur une île artificielle pour protéger le port de Charleston, en Caroline du Sud : le fort Sumter. Le commandant de l’Union ayant refusé de leur céder, les confédérés ont alors tiré au canon sur le fort jusqu’à ce que les nordistes se rendent.

Cet incident n’était probablement pas assez important pour déclencher une véritable guerre. Mais la guerre était dans l’« air du temps » et les deux camps s’armaient de plus en plus. En juillet 1861, les têtes brûlées des deux camps étaient enfin prêtes à passer à l’action.

Les nordistes ont envahi la Virginie, s’attendant à une victoire facile. Les habitants de Washington se sont même rendus à la bataille de Bull Run en calèches, avec des paniers de pique-nique, pour assister à la déroute attendue des « Johnny Rebs » [NDLR : surnom donné aux sudistes, diminutif de Johnny the Rebel, Johnny le rebelle], à quelques dizaines de kilomètres de la capitale.

Cela n’a pas fonctionné comme prévu et les observateurs se sont empressés de revenir à Washington.

« Mais une fois lancée – comme la construction d’un empire, l’inflation ou une histoire d’amour – la guerre suit son propre chemin. Les gens finissent même par oublier la raison pour laquelle ils se battent et ne se préoccupent que de la victoire. Ils utilisent ‘tous les moyens nécessaires’ – meurtre, chaos, mensonges, famine, poison… tout ce qu’ils peuvent inventer – pour battre leurs adversaires. »

En fin de compte, l’objectif est d’infliger tant de souffrances à l’ennemi qu’il finisse par laisser tomber. C’est pour cette raison que Richard Nixon a tenté de bombarder le Vietnam du Nord pour le « ramener à l’âge de pierre ». Et c’est pourquoi George W. Bush a attaqué l’Irak avec une campagne de « choc et d’effroi ».

Pour gagner la guerre, les Yankees devaient conquérir le Sud. Les confédérés gagneraient en ne se laissant pas conquérir. Mais les nordistes avaient des avantages décisifs sur leurs adversaires. Ils disposaient d’industries permettant de fabriquer des armes et d’approvisionner leurs armées. Ils disposaient d’une marine capable de bloquer les ports du Sud et de paralyser l’économie confédérée. Enfin, ils disposaient de milliers d’immigrants – dont beaucoup d’Irlandais débarqués à Boston, New York et Philadelphie pour échapper à la famine – qu’ils pouvaient enrôler dans l’armée.

Après deux ans de guerre, les confédérés ont prouvé leur élan combatif. Ils gagnaient des batailles, souvent contre des forces bien supérieures en nombre. Mais chaque victoire les rapprochait de la défaite. En effet, le Sud n’était pas en mesure de remplacer rapidement les soldats morts au combat, ou le matériel perdu.

La bataille de Chancellorsville, qui dura près d’une semaine en mai 1863, a démontré les talents de commandant du général Robert E. Lee. Les historiens militaires la qualifient de « bataille parfaite ». Le général de l’Union Joseph Hooker a tenté d’attaquer l’armée de Lee par l’avant et par l’arrière dans un « double enveloppement ». Lee, en infériorité numérique (plus de deux contre un), réussit pourtant à vaincre les deux armées de Hooker. Mais, au cours de la bataille, Lee perdit son « bras droit », le général Thomas « Stonewall » Jackson, qui fut accidentellement abattu par ses propres troupes.

La bataille de Chancellorsville de 1863 représentée dans une peinture apocryphe, Kurz and Allison, 1889

Lee a remporté une grande victoire à Chancellorsville. Un observateur avisé de son état-major a déclaré : « Plus de victoires comme celle-ci, et nous perdrons la guerre. » Ainsi, à la fin du printemps 1863, les confédérés ont décidé d’adopter une stratégie différente. Ils avaient besoin d’un peu de « choc et d’effroi » pour amener les Yankees à la table des négociations. De plus, ils avaient un besoin urgent de ravitaillement. Ils ont donc envahi le Maryland et la Pennsylvanie, ce qui a conduit à la bataille de Gettysburg.

Ce dont les confédérés avaient vraiment besoin, c’était de Stonewall Jackson. Il avait passé dix ans à enseigner la tactique à l’institut militaire de Virginie. Il avait étudié en détail les campagnes de Napoléon. Il avait également observé ses propres troupes capables de repousser les assauts les plus puissants de l’Union, en prenant des positions protégées et en laissant l’ennemi venir à elles. Il avait compris comment, grâce aux améliorations apportées aux armes à feu, il était presque impossible pour l’attaquant de déloger un défenseur bien positionné.

Et pourtant, à Gettysburg, c’est ce que l’armée de Lee a tenté de faire. Le 3 juillet, la bataille durait déjà depuis trois jours. L’armée de l’Union était sur les hauteurs. Désormais, sur son propre terrain, elle était le défenseur et non l’attaquant. Au centre de sa ligne principale se trouvait un muret de pierres à un endroit judicieusement nommé « Cemetery Ridge » (la crête du cimetière).

Jackson, le subordonné le plus fiable de Lee, était mort. Le général Longstreet s’opposait à l’attaque de la crête. Mais il n’a pas réussi à dissuader Lee. C’est ainsi que le 3 juillet 1863, dans l’après-midi, quelque 12 500 soldats confédérés, sous les ordres du général George Pickett, tentèrent de s’emparer de la crête. Ils devaient pour cela traverser un vaste champ, à découvert, où ils seraient la cible de tirs d’artillerie et de l’infanterie provenant de plusieurs directions.

Seule une poignée d’entre eux atteignit le muret de pierre, mais ils furent rapidement repoussés. La moitié des attaquants reposaient, morts, là où ils avaient chargé. Lee ordonna la retraite vers la Virginie. La guerre dura encore près de deux ans, avant que le Sud, épuisé, ne finisse par abandonner.

Comme l’a dit Lincoln lors de la consécration du champ de bataille de Gettysburg, cette guerre a été menée pour que « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre ».

Mais, en 1865, le peuple du Sud a fini par être gouverné par les armées de Lincoln.

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