La Chronique Agora

Du CAC 40 à Wall Street, c’est comme si la crise de la dette n’avait jamais existé !

▪ La bourse de Paris a gagné en un jour ce qu’elle gagne très rarement en un mois ! Une hausse de 6% en moyenne des places européennes (l’Euro-Stoxx 50 affiche +6,05% à 2 478 points), cela ne survient qu’une poignée de fois par décennie — et, jusqu’à présent, uniquement au lendemain de phases de capitulation abyssale des marchés, suite à une prise à contre-pied d’un consensus uniformément baissier.

Ce n’était certainement pas le cas cette fois-ci. Plus singulièrement encore, les accords de la longue nuit de mercredi à jeudi sont strictement conformes aux attentes des analystes… avec une bonne part de flou qui aurait pu justifier une prudente réserve des marchés.

Il n’y a pas eu de divine surprise, pas de perle dans l’huître. Certains commentateurs évoquent une hypothétique contribution de la Chine à un fonds de secours qui serait supervisé par le FMI : ce n’est pas glorieux.

Bref, en l’absence d’un heureux coup de théâtre de dernière minute venant sauver une situation qui paraissait désespérée, nous avons beaucoup de mal à cerner l’essence du miracle boursier de ce jeudi 27 octobre.

S’agit-il d’un scénario soigneusement prémédité et qui illustrerait le principe évoqué la veille : « lorsque c’est la queue qui remue le chien… il se trouve toujours quelques idiots pour affirmer que l’animal est heureux d’avoir pris un coup de pied dans l’arrière-train plutôt qu’un coup de chevrotine » ?

Une des interprétations possibles, c’est que la hausse devait donner l’impression que les marchés y croient. Il fallait probablement que l’envolée soit explosive et hors norme pour que l’opinion publique pense que tous les problèmes de dette ont été — ou vont être — résolus. Un accueil tiède aurait entretenu le soupçon qu’il subsiste de larges zones d’ombre.

Ce qui semble évident, c’est que les opérateurs institutionnels qui avaient déserté les marchés depuis vendredi dernier ont soudain ressorti des liquidités de leurs tiroirs. Ils ont réactivé les robots algorithmiques, ceux qui tracent des canaux haussiers d’une splendide perfection géométrique : aucun retour en arrière, le degré zéro de la psychologie boursière.

Difficile d’invoquer, après un rebond de 20% en cinq semaines, un excès de pessimisme qui aurait entraîné les indices vers une zone de survente, comme au tout début du mois octobre. D’inhabituellement brillant, le mois d’octobre 2011 pourrait devenir, avec un score cumulé de +13%, le plus haussier de l’histoire. La dernière envolée comparable remonte en effet à octobre 2002, avec +13,4%… mais le CAC 40 partait justement de très, très bas.

▪ Le CAC 40 a bondi de 6,3% (+200 points d’indice), et pulvérise le zénith du 1er septembre (3 295 points) pour revenir au contact de la MM100 qui gravite vers 3 368 points. Ce sont les valeurs financières qui ont mené le rally, avec des gains moyens supérieurs à 17%, une performance jamais observée depuis la présentation du plan Paulson un certain 19 septembre 2008.

Le marché à franchi allègrement la frontière qui sépare la bouffée d’euphorie du vent de panique à la hausse. Les investisseurs ont oublié très soudainement la peur d’une récession pour basculer dans la peur de ne pas être « dans le marché ».

Les stratèges ne cessaient d’affirmer que le sommet de Bruxelles se solderait au mieux par un fait accompli ; et voilà qu’il ouvre des perspectives mirobolantes aux banques françaises ! Comment ces mêmes stratèges avaient-ils pu ignorer que le Crédit Agricole aurait besoin de… zéro euro de recapitalisation ?

Cherchant désespérément à acheter quelque chose, les opérateurs se sont rués en fin de séance sur les valeurs cyclique, réconfortés par une croissance américaine mesurée à 2,5% au troisième trimestre. Ce chiffre est à confirmer lors de la prochaine estimation, et jusqu’à présent, cela s’est toujours opéré à la baisse cette année !

C’est ainsi que GDF Suez ou Vallourec — dont plus personne ne voulait 48 heures auparavant — ont bondi de 7%. Alstom a pris 9%, Arcelor Mittal 12,3%. Ces quatre valeurs ont toutes été victimes d’abaissement de recommandation et de réduction d’objectifs de cours ces trois dernières semaines.

Ceci trahit en théorie un manque total d’anticipation de la part des stratèges. Cependant, personne ne pouvait anticiper un cas de figure ne s’étant jamais produit… au lendemain d’un évènement dont tous les tenants et aboutissants semblaient déjà dans les cours.

▪ Et comment nier que Wall Street avait largement « pricé » un succès du sommet de Bruxelles ? Les indices américains avaient déjà repris 10% en quatre semaines.

Avec un gain supplémentaire de 3,5% jeudi, c’est désormais le meilleur mois boursier de l’histoire. Le Dow Jones, qui flirte avec les 12 200 points, n’a jamais gagné plus de 11,5% en un mois en 115 ans. Il revient d’un plancher de 10 400 points début octobre, soit +17% en ligne droite.

Le Nasdaq (+3,5% à 2 745 points) reprend 19% sur ses planchers (2 300 points) du 4 octobre et teste les 2 735 points, revenant ainsi au niveau du 29 juillet dernier. La crise des dettes souveraines — qui n’est résolue que sur le papier, sinon dans nos rêves les plus fous — n’a du point de vue de Wall Street jamais eu lieu, pas plus que la perte du Triple A de la dette américaine.

Cependant, gagner 6% en une séance de bourse, n’est-ce pas un scénario de type « même pas dans nos rêves les plus fous » ? Et comment bâtir une stratégie d’investissement reposant sur le couple « risque-récompense »… lorsque le succès dépend de cas de figure survenant une fois sur 10 000, voire d’un scénario jamais observé en un siècle d’histoire ?

Cela revient à commander une douzaine d’huîtres à la brasserie du coin, sans un sou en poche, en faisant le pari que l’une d’entre elles contiendra une perle de 6,3 millimètres de diamètre !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile