La Chronique Agora

Du bon usage des orages indiciels…

** Les orages de la nuit de mardi à mercredi derniers sur l’Ile-de-France et les pluies diluviennes qui les ont accompagnés — lesquelles n’avaient rien à envier aux douches tropicales qui vont commencer à traverser régulièrement les Caraïbes tout au long de la période estivale — semblaient avoir lavé le marché parisien de lourdes tensions psychologiques qui pesaient sur les cours depuis une huitaine de jours.

Le CAC 40 a rapidement gagné 1% dès le milieu de la matinée dans le sillage d’un baril de pétrole retombant sous les 127 $. Il a ensuite doublé la mise un peu après 14h30, sous l’effet de commandes de biens durables aux Etats-Unis. « Hors transports », ces dernières sont ressorties en hausse de 2,5% (le chiffre brut s’établit à -0,5%), déjouant un consensus baissier (-2%) pour le mois d’avril.

Mais l’or noir n’a pas tardé à enregistrer un rebond technique aussi spectaculaire que l’avait été sa dégringolade sous les 130 $ au cours des dernières 48 heures précédentes. Le baril se négociait mercredi soir entre 130,25 $ et 130,75 $ et Wall Street n’a pas tardé à s’enfoncer dans le rouge. Le Dow Jones a lâché 0,4% tandis que le S&P s’effritait de 0,2% dans le sillage des financières ; le Nasdaq a de son côté baissé de 0,5%, ce qui effaçait un tiers des gains de mardi.

Cela a un peu freiné les velléités haussières du CAC 40. Cependant, avec une progression de 1,3%, la bourse de Paris s’est maintenue en tête du classement européen, montant sur la seconde marche du podium, juste derrière Amsterdam — qui s’adjugeait 1,65% — alors que Madrid se contentait de +0,35% et Londres ou Milan d’un modeste +0,18%.

** Y aurait-il eu quelques bonnes nouvelles économiques dont nous soyons les heureux et uniques bénéficiaires ?

La lecture des principales dépêches économiques du jour nous a plongé dans la plus profonde perplexité : comment en effet expliquer la surperformance de l’indice CAC 40 alors que, selon l’enquête de l’INSEE publiée mercredi matin, la confiance des ménages français chute de trois points supplémentaires, à -41 points ?

L’indice synthétique, dont absolument toutes les composantes se dégradaient ces dernières semaines (inflation, emploi, épargne, projets d’investissement), aligne de surcroît un cinquième plancher historique consécutif alors qu’une stabilisation était anticipée au mois de mai.

Et que dire de la chute de 28% des ventes de logements neufs dans l’Hexagone au premier trimestre 2008 ? C’est peut-être moins pire que les -38% observés en Espagne, auxquels nous faisions allusion hier. Les banques espagnoles enregistrent un effondrement de 42% de la production de prêts hypothécaires en un an mais cela cadre mal avec le portrait d’une économie française affichant fièrement un rythme de croissance annuel de 2,6%.

La conjoncture économique tricolore n’est guère plus porteuse depuis l’entame du second trimestre 2008 qu’elle ne l’était début janvier. Nous cherchons à déterminer, tel un comptable appliqué, ce qui va mieux… mais nous avons du mal à garnir la colonne des actifs depuis fin mars.

Dans la colonne du passif, nous avons noté la flambée du gaz et du pétrole (respectivement +6% et +4% en un mois), l’inflation réelle qui dépasse 5% en rythme annuel, la chute de la consommation des ménages français au mois d’avril (-0,8% après -1,7% au mois de mars).

Sur les quatre premiers mois de l’année, la consommation chute de 1% dans l’Hexagone et elle ne progresse plus que de 0,4% sur les 12 derniers mois : du jamais vu depuis fin 2003.

A l’échelon planétaire, nous notons le pessimisme de la Fed, la grogne des pays riches face aux propositions de l’OMC, la non-coopération de l’OPEP — que l’Indonésie se prépare à quitter — avec les Etats-Unis, les mésententes sur les programmes de production agricole et la sous-évaluation du yuan. Cependant, les récents tremblements de terre qui ont dévasté le centre de la Chine éclipsent temporairement les séismes diplomatiques qui secouent de longue date les rapports entre Washington et Pékin au sujet des parités de change, du protectionnisme de l’Empire du Milieu et des contrefaçons.

Chez nos principaux partenaires et voisins, nous relevons de multiples signaux de récession en Europe du Sud — toujours en Espagne, mais également au Portugal et en Italie –, des retards dans les prises de commandes d’avions par les compagnies aériennes et la quasi-faillite d’Alitalia.

** Et n’oublions pas que le titre Air France-KLM est l’un des trois seuls à avoir perdu du terrain hier alors que le CAC 40 gagnait en moyenne près de 1,5%.

Air France-KLM a été le grand perdant de la semaine passée avec une chute de 18,4%. Le groupe a été victime de trimestriels décevants, d’un tassement anticipé de son chiffre d’affaire — il se situerait 30% en dessous des projections des analystes — et de la hausse du coût des carburants qui lamine les marges malgré la « surcharge kérosène ». Les compagnies aériennes américaines, quant à elles, s’effondrent de 33% en moyenne depuis la mi-mai.

Est-il besoin de rappeler que le secteur aérien constitue un concentré de l’ensemble des problématiques économiques que nous décrivons à une plus large échelle ? Le trafic aérien ne ment pas : le ralentissement de la croissance se traduit d’abord par une baisse des déplacements de la clientèle affaires et la profitabilité des vols s’effondre lorsque ces derniers renoncent à voyager en première classe ou en classe affaires.

Pire, la psychose sécuritaire qui engendre la multiplication de simulacres de contrôles –inefficaces et humiliants –, aboutit à des pertes de temps dépassant souvent la durée du vol sur des destinations transeuropéennes ou d’état à état s’agissant des Etats-Unis.

La clientèle des voyageurs intensifs — qui ne connaît pas la crise — a décidé d’en finir avec la galère des aéroports et des procédures tatillonnes : les fabricants de jets privés engrangent des commandes par dizaines d’appareils. Ces avions bénéficient de rayons d’action comparables aux gros porteurs mais avec une souplesse d’horaires inégalable… sans oublier la possibilité d’atterrir sur des aérodromes situés plus près des centres-villes (comme à Paris, Londres, Milan, New York, Seattle, San Francisco) ou au plus près de « l’argent discret » (Nassau, îles Vierges, Saint-Martin, Jersey, Guernesey, îles Caïmans, c’est-à-dire les paradis fiscaux insulaires les plus fréquentés de la planète).

** Ne trouvez-vous pas que le secteur du transport aérien constitue la métaphore d’une planète à deux vitesses ? Elle se divise entre un monde qui « n’a plus les moyens » mais qui ne peut échapper au paiement des taxes (notamment la TVA) et un monde « qui les a » mais qui, de surcroît, délocalise sa richesse pour échapper à l’impôt.

Il y avait cinq paradis fiscaux recensés au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il en existe 73 à présent. Ils offrent toute la palette des services en matière d’exonération de taxes ou d’impôts. Près de 12 000 milliards de fortunes privées y auraient trouvé refuge, et le chiffre — difficile à connaître officiellement — serait encore plus astronomique s’agissant des entreprises multinationales : souvenez-vous d’Enron, de Parmalat, de leurs centaines de filiales et des multiples sociétés écran immatriculées offshore.

Devinez duquel des deux mondes précités les marchés s’inspirent lorsqu’ils s’avisent qu’il serait profitable de réintroduire une note d’optimisme dans un lamento indiciel ?

Philippe Béchade,
Paris

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