La Chronique Agora

DSK : un scénario médiatico-judiciaire qui viole la présomption d’innocence

▪ C’est la première fois qu’un homme appartenant au premier cercle des puissants de ce monde (ou au septième cercle, selon la façon d’aborder ce classement) devient l’objet — et le sujet — d’un scoop hégémonique sur l’ensemble des chaînes de télévision occidentales.

Il ne nous appartient pas de juger de la solidité de l’accusation ni de la gravité des faits reprochés au patron du FMI (victime d’un complot ou en proie à une pulsion incontrôlable ?).

Toutefois, on ne peut qu’être confondu par l’immédiateté et l’ampleur de la publicité accordée à une arrestation motivée par une présomption de culpabilité établie avec une singulière célérité par la justice américaine. Cela avant même que des tests ADN aient apporté la moindre confirmation du scénario figurant dans l’acte d’accusation.

Imaginons un seul instant le scénario inverse. Si un membre éminent du FMI de nationalité américaine — de surcroît favori pour l’accession à la Maison Blanche — avait fait l’objet d’accusations similaires lors d’un passage à Paris, la police française se serait-elle empressée de battre le rappel de la presse après une interpellation à Roissy dans un avion en partance pour Washington ?

L’affaire serait certainement considérée comme trop sensible et le soupçon d’une machination trop important. On peut penser que le délit était clairement avéré aux yeux des enquêteurs, pour que la nouvelle soit lâchée dans les médias avant que tous les doutes soient levés… après que l’ADN ait « parlé ».

Par ailleurs, le souci de protéger temporairement l’institution (le FMI) et les relations franco-américaines supposerait un minimum de concertation avant de révéler ce qui ne saurait être étouffé plus de quelques heures au nom de la raison d’Etat.

Le déroulement de l’affaire DSK constitue l’antithèse absolue du principe de la présomption d’innocence en vigueur dans l’Hexagone.

Et que dire du principe de précaution consistant à refuser le versement d’une caution pour l’incarcérer préventivement afin d’éviter qu’il ne file à l’anglaise, déguisé en simple escroc venant vendre ses subprime et ses CDO pourris en Europe…

▪ En l’occurrence, la forme de l’arrestation pourrait être encore plus révélatrice que le fond. L’Amérique puritaine (qui réprouve beaucoup plus sévèrement les affaires de moeurs que les guerres scélérates) n’a pas pardonné le soutien de l’intelligentsia française à Roman Polanski.

Nous assistons à un véritable programme de télé-réalité qui abolit tout recul. La vision des menottes y équivaut — pour un public qui a coupé le son de la télé — à une preuve de culpabilité qui rend presque inutile le réquisitoire implacable d’un procureur habité par son intime conviction.

Une fois encore, j’ose à peine imaginer le ressentiment du peuple américain si la justice française infligeait une telle humiliation publique au favori de la prochaine élection présidentielle américaine : la forme l’emporte largement sur le fond.

Une telle forme ne nous serait jamais pardonnée par notre allié américain (au nom du respect pour la famille du prévenu, au nom d’une amitié historique, etc.) — quand bien même le dossier à charge serait aussi accablant que le mensonge officiel concernant les armes de destruction massive irakiennes.

Quelle que soit l’issue de l’affaire — imaginons même une disculpation –, c’est cette image d’un directeur du FMI menotté qui restera gravée dans la mémoire collective américaine. Les tabloïds (la presse caniveau américaine) se déchaînent sans retenue contre le président du FMI et nul ne se souciera des détails d’un procès appelé à durer des semaines.

Si jamais DSK devait être disculpé, cela empoisonnera les relations franco-américaines pour des décennies : rien de bon ne sortira d’un tel procès, quel qu’en soit le verdict.

▪ La thèse de la machination semble peu plausible (mais peut-on l’exclure formellement ?). Cependant, la récente fausse affaire d’espionnage chez Renault, les accusations calomnieuses dont fut victime Dominique Baudis ne surgirent pas en quelques heures. Les pseudo-faits délictueux en question remontaient à plusieurs semaines, voire à plusieurs mois… pas au dernier quart d’heure écoulé.

Mais une fois que les médias s’emparent d’un dossier, le déferlement des images et des témoignages plus ou mois orientés occulte cette question majeure : que sait-on vraiment ?

▪ Ce que les marchés savent déjà, c’est que le rapport de force vient de basculer entre la France et l’Allemagne dans les négociations visant au renflouement de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande.

L’implication du FMI (et de son patron) constituait la clé de voûte des divers plans de sauvetage à l’étude, dont certaines grandes lignes devaient être adoptées dès ce lundi 16 mai à Berlin.

La France vient de perdre une pièce maîtresse dans le dossier grec. Ce qui est probablement pire — alors que J.-C. Trichet achève son mandat fin octobre –, c’est qu’elle a également perdu la possibilité de placer un représentant influent à la tête d’une grande institution financière internationale avant très longtemps.

▪ Comment les marchés d’action ont vécu cette saga judiciaire, cela relève de l’anecdote. Il s’agit d’un simple fait divers qui apporte une part d’incertitude supplémentaire sur la gestion du dossier de la dette des pays périphériques.

Wall Street en a d’ailleurs relativisé l’impact durant la première moitié de la séance, avant de basculer de plus en plus franchement dans le rouge en seconde partie. Si le Dow Jones ne cède que 0,38%, le S&P lâche 0,62% et le Nasdaq décroche de 1,62% à 2 782 points pour en terminer au plus bas du jour.

S’il en avait été ainsi à 17h30, le CAC 40 (-0,72% au final) n’aurait certainement pas repris la moitié du terrain perdu au cours des deux dernières heures de la séance.

Parmi les causes potentielles du repli de Wall Street, citons deux mauvais chiffres : l’indice Empire State de la Fed de New York plonge de 21,7 vers 11,9 ; et le baromètre immobilier de la NAHB stagne sur son plancher historique de 15 pour le cinquième mois consécutif.

Mais nous savons bien que Wall Street a été bien plus perturbé par une annonce du Trésor américain qui planait comme l’épée de Damoclès depuis des semaines. Le gouvernement n’alimentera plus que partiellement les caisses de retraite de fonctionnaires, la limite légale de la dette publique américaine ayant été atteinte à la mi-journée lundi.

C’est donc un premier acheteur structurel d’action qui se retrouve contraint de lever le pied… et ce ne sera pas le dernier si les Chinois donnent un nouveau tour de vis monétaire pour maîtriser leur inflation.

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