** Ben Bernanke nous rend un fier service en se livrant, depuis Kansas City, à un exercice qui pourrait s’intituler "la crise pour les nuls".
Sous les caméras des plus grandes chaînes américaines, il décrit la situation actuelle comme bien pire et plus compliquée que la dépression des années 30. Il affirme en outre que le chômage n’atteindra pas son maximum avant un an.
Il finit également par convenir que le "trop gros pour s’effondrer" avait justifié le sauvetage du système bancaire via le recours massif à l’argent des contribuables. Ces derniers commencent d’ailleurs à juger cette doctrine, qui ne profite qu’à Goldman Sachs et JP Morgan, plutôt saumâtre.
Bernanke admet qu’il a orchestré, avec l’appui du Trésor US et du Congrès, une injection de liquidités gratuites dans des proportions qu’aucune crise économique de l’ère moderne n’avait justifié. Mais une fois encore, les généreux contribuables n’en voient guère la couleur : les dernières statistiques publiées ce lundi révèlent que le volume des prêts accordés aux particuliers et aux entreprises continue de se contracter (-3% en moyenne, -3,6% pour Bank of America) au deuxième trimestre. L’essentiel de la "production" — soit environ les deux tiers — est destiné à refinancer des emprunts hypothécaires qui asphyxient les ménages américains.
Un quart de l’offre correspond à des lignes accordées aux primo-accédants que la chute des prix immobiliers a rendus solvables. Les prêts correspondant à des investissements productifs ne représentent qu’une fraction très marginale, ce qui prouve qu’aucun redémarrage de l’économie n’est anticipé par les chefs d’entreprise… ni par les établissements de crédit.
** Ben Bernanke nous expliquera peut-être aujourd’hui comment résoudre ce paradoxe : le double langage tenu par les banques qui d’un côté justifient l’euphorie de la Bourse par l’anticipation d’un retour de la croissance… et de l’autre ferment le robinet des liquidités lorsqu’il s’agit de soutenir financièrement les forces vives de la nation.
La priorité accordée à l’assainissement des bilans, la multiplication des augmentations de capital massives pourraient passer pour de la saine gestion. La réalité est pourtant que le système bancaire est acculé dans les cordes. Il parvient difficilement à maintenir les gants levés pour parer autant que possible la grêle de mauvais coups qui pleuvent de droite (créances immobilières) et de gauche (défauts de paiement sur les cartes de crédit) — sans oublier les crochets au foie décochés par les LBO (leveraged buyouts) en déshérence.
La Fed a beau agiter frénétiquement la serviette pour rafraîchir l’atmosphère du ring et déverser des tonnes de crème hémostatique pour réduire le gonflement des pommettes et des paupières, le visage des banques commerciales reste fortement tuméfié ; chaque nouvel impact réduit leur champ de vision. Le gros problème, c’est que dans la forme de match de boxe auquel nous assistons, le gong ne retentira que lorsque l’un des protagonistes ira au tapis pour le compte.
A ce propos, pas moins de sept nouvelles banques américaines ont fait faillite ce week-end. Cela porte le total à 64 depuis le début de l’année, contre 25 pour l’ensemble de l’année 2008. Le score de 75 sera sans doute dépassé dès la fin de l’été et la barre des 100 devrait être allègrement franchie d’ici fin 2009.
Cette hécatombe n’impressionne pas Wall Street. Le secteur financier ne doute pas que les milliards de profits spéculatifs des champions du trading pour compte propre ont vocation à être réinjectés dans le système, via de nouvelles stratégies visant à conforter la tendance haussière des indices boursiers.
** Paris a aligné hier une dixième séance de hausse sur une série gagnante de 11. Le score du jour (+0,18%) a été acquis à la dernière minute : une légère consolidation avait amené le CAC 40 en territoire négatif durant une partie de l’après-midi et jusqu’à 17h29 et 59 secondes ! Pour la seconde séance d’affilée, le palier des 3 350 points a fait office de support ; la barre des 3 400 points s’est imposée comme résistance.
Le contexte général est demeuré clairement haussier. L’Euro-Stoxx 50 affiche +0,72% et l’Eurotop 100 +0,45% — la hausse avait même dépassé 1,5% en début et en fin de matinée. Les volumes d’échanges sont cependant demeurés estivaux, avec 2,5 milliards d’euros négociés à Paris.
La journée s’annonçait sous de bons auspices avec la hausse collective des marchés asiatiques (+1,45% à Tokyo et Seoul, +1,8% à Hong Kong et Shanghai) en ce début de sommet sino-américain.
Wall Street ne semble pas attendre grand-chose des rencontres entre Barack Obama et Hu Jintao, qui vont se dérouler à Washington au cours des prochaines 48 heures. Vu le contexte, toutefois, la Fed joue théoriquement sur du velours pour placer 235 milliards de dollars de T-Bonds à échéance courte et moyenne d’ici jeudi. Nous voyons mal les Chinois, actuels hôtes des Etats-Unis, bouder ostensiblement cette série d’enchères qui va se dérouler aujourd’hui et demain.
** C’était à prévoir après la publication d’une série de trimestriels calamiteux (Microsoft, AMEX, UPS) qui ont pourtant débouché sur un nouveau record annuel du Dow Jones : les opérateurs n’ont pas réagi de manière très enthousiaste à l’une des premières véritables bonnes surprises macro-économiques du mois de juillet. Les ventes de logements neufs aux Etats-Unis ont fait un bond d’une ampleur tout à fait inattendue, avec +11% au mois de juin ; les stocks d’invendus se contractent nettement à 8,8 mois, mais le prix médian des maisons recule de 12% sur un an.
Les spécialistes des marchés de taux prennent acte de cette embellie. Le rendement des T-Bonds US se tend à 3,75%… mais cela ne soutient même pas le billet vert qui glisse de nouveau sous 1,42/euro.
De son côté, le prix du baril avance de 0,5% à 68,3 $. Même si la demande réelle de "physique" demeure faible (la période de reconstitution des stocks est achevée, la driving season est entrée dans sa phase la moins gourmande en carburant), l’industrie mondiale tourne plus que jamais au ralenti en cette saison estivale.
En clôture, le Dow Jones grappille +0,15% et le S&P 500 +0,3%. Ces deux indices battent un nouveau record annuel à 9 123 et 982,2 points respectivement. Ils terminent également au plus haut du jour, ce qui démontre qu’il subsiste des réserves de vélocité ascensionnelle.
Que les marchés affichent une volonté de prolonger la surprise-party au-delà des 12 coups de minuit — et des 12 séances de hausse — n’est guère douteux. Pourtant, très curieusement, l’orchestre a beau jouer fortissimo comme s’il se produisait devant une foule immense, le nombre des convives (et les volumes d’échanges) demeure étrangement faible… Il continue même de décliner à l’heure où la fête devrait battre son plein.
Difficile d’imaginer de l’extérieur qu’une telle débauche de décibels provienne d’une salle de bal presque vide ! L’explication, c’est qu’il y davantage de musiciens que de danseurs.
C’est seulement lorsque la musique s’arrêtera que les médias oseront révéler que la fête était dès le départ un véritable fiasco. Remontez au premier paragraphe, vous verrez que Ben Bernanke ne disait pas autre chose lundi après-midi en direct de Kansas City, mais le raffut qui provient de Wall Street parvient encore à couvrir sa voix !
Philippe Béchade,
Paris