La Chronique Agora

Droits de douane, juges et Constitution : l’arbitrage final

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Le programme de Trump reste enlisé dans un purgatoire juridique et politique, entre déni de droit, frustration autoritaire et paralysie institutionnelle.

« Le gouvernement peut se montrer un peu cruel. » – Donald Trump

Synopsis : les tribunaux fédéraux ont statué que l’administration Trump ne pouvait pas faire ce qu’elle espérait faire. Mais peu importe… elle ne comptait pas vraiment le faire, de toute façon.

La Constitution stipule expressément que « les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux Etats-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux Etats, sont conservés par les Etats respectivement ou par le peuple ».

Mais depuis l’ère Roosevelt, les tribunaux se montrent remarquablement indulgents face aux empiètements du pouvoir fédéral. A tel point qu’il ne semble plus y avoir de limite à ce que le gouvernement fédéral – ou plus précisément le président des Etats-Unis – peut entreprendre.

Il est pourtant clairement établi, par exemple, que le Congrès a seul le pouvoir de « déclarer la guerre, d’accorder des lettres de marque et de représailles, et de fixer les règles relatives aux prises sur terre et sur mer ». Alors comment les Etats-Unis ont-ils pu s’engager dans cinq guerres majeures depuis 1945 sans l’aval du Congrès ?

Ainsi, lorsque l’administration Trump a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles, rien ne garantissait que les tribunaux lui ordonneraient de faire marche arrière, ni même que cela changerait quoi que ce soit.

Un juge a statué, il y a deux semaines, que le DOGE (Department of Government Efficiency) n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’il avait fait. Mais Trump avait déjà coupé l’herbe sous le pied d’Elon Musk et de l’équipe du DOGE. Aucune de leurs propositions ne s’est retrouvée dans le « grand et beau projet de loi » des républicains. (Le pauvre Elon n’avait pas réalisé à quel point le gouvernement pouvait être « cruel ».) Les économies générées par cet effort seront probablement dérisoires et temporaires.

De même, un panel de trois juges – dont l’un nommé par Trump lui-même – a rappelé au président que les Etats-Unis ont toujours une Constitution. Et nulle part ce texte ne confère au président le pouvoir d’instaurer des taxes ou des droits de douane sans l’accord explicite du Congrès.

Voici ce que dit la loi suprême du pays : « Le Congrès aura le pouvoir d’établir et de percevoir des impôts, des droits, des taxes et des accises. Il aura également le pouvoir de réglementer le commerce avec les nations étrangères. »

Le projet de Trump visant à instaurer des droits de douane « importants et réciproques » a donc été suspendu par les tribunaux. Mais il avait déjà été stoppé par les marchés : les droits de douane ont été abandonnés peu après un krach boursier.

Désormais, l’interdiction est à la fois de jure et de facto.

Nous avons eu la preuve éclatante que l’équipe Trump n’était pas au fait du droit constitutionnel lorsque la reine de l’ICE, Kristi Noem, a comparu devant le Congrès le 19 mai. Son département de la Sécurité intérieure a procédé à des expulsions sans respecter la moindre « procédure régulière ». Naturellement, les esprits curieux du Congrès ont voulu savoir ce qu’elle comptait faire. Le principe de l’Habeas Corpus n’aurait-il pas dû être appliqué, ont-ils demandé ?

Il est rapidement apparu que Mme Noem, pourtant chargée de faire respecter la loi, ne la connaissait pas et s’en moquait complètement. Et apparemment, le reste de l’équipe de Trump, aussi.

Aujourd’hui, M. Trump est furieux contre la Federalist Society, qui l’a incité à nommer des juges conservateurs ayant lu la Constitution, et furieux contre ces juges eux-mêmes, pour avoir osé la lui rappeler. Il voulait des laquais qui obéissent au doigt et à l’œil… pas des magistrats qui prennent leur mission au sérieux.

Par ailleurs, ses propres juristes lui avaient dit ce qu’il voulait entendre : que le Congrès autorisait le président à agir seul en cas d’urgence économique. La loi de 1977, l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), confère au président le pouvoir de « faire face à toute menace inhabituelle ou extraordinaire ».

Mais qui peut dire que l’immigration clandestine constitue une « urgence » ? Et qu’en est-il du déclin industriel ?

Les immigrés affluent aux Etats-Unis depuis leur création. Le commerce y prospère depuis toujours. Qu’y a-t-il d’inhabituel ou d’extraordinaire là-dedans ? Rien qui exige une réponse d’urgence. Que le président agisse aujourd’hui ou que le Congrès intervienne la semaine suivante, cela ne change pas fondamentalement la donne.

Mais c’est précisément dans ce flou que les esprits pointus du pouvoir judiciaire trouvent leur utilité. Car si l’IEEPA permet au président de définir lui-même ce qui est inhabituel, et si une « urgence » peut être tout ce qu’il décrète, alors le Congrès a, en réalité, modifié la Constitution de sorte qu’elle ne fixe plus aucune limite au pouvoir exécutif.

Or, le Congrès n’a pas le pouvoir de modifier seul la Constitution. Et si celle-ci ne limite plus les prérogatives du président, à quoi sert-elle ? N’est-elle plus qu’un vestige du passé, un artefact historique, comme le crâne d’une espèce disparue ?

Aujourd’hui, les partisans de Trump (et du mouvement MAGA) s’en prennent eux aussi aux système judiciaire. Yahoo! rapporte :

« Le chef de cabinet adjoint Stephen Miller a qualifié de ‘tyrannie judiciaire’ la décision du panel de trois juges suspendant les tarifs douaniers ‘réciproques’ de Trump.

La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a dénoncé une ‘tendance troublante et dangereuse des juges non élus à s’immiscer dans la prise de décision présidentielle’. »

On ne sait pas où cela va nous mener. Mais puisque tout le programme MAGA est déjà paralysé, peut-être que la seule conséquence sera que la justice devra porter le chapeau.

Pour l’instant, le projet de Trump flotte dans une sorte de purgatoire… Ni mort, ni tout à fait vivant, mais pas encore descendu aux enfers non plus.

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