Des droits garantis… mais juste pour les ministres ?
Assurer à ses ministres l’exercice d’un droit fondamental tout en souhaitant l’interdire à ses administrés : voilà le grand écart dans lequel se lance notre gouvernement.
Dans une véritable cacophonie stratégique, le ministère de l’Intérieur s’est lancé dans une guerre contre les communications numériques chiffrées de bout en bout, comme Whatsapp ou Signal. A contrario, Matignon a enjoint ses ministres d’utiliser un nouveau système de communication encore plus sécurisé, pour éviter toute interception potentielle de leurs échanges.
D’un côté, le ministre de l’Intérieur regrette que les citoyens soient en mesure de communiquer sans que leurs échanges puissent être décodés par des tiers. Il tente donc, avec l’appui de certains eurodéputés, de faire purement et simplement interdire en Europe les messageries sécurisées.
De l’autre, la Première ministre juge que ces mêmes messageries, quoique sécurisées en théorie, possèdent potentiellement des failles de sécurité qui rendent possible la surveillance numérique. Elle préconise donc, pour tous les ministres, l’usage exclusif d’une application auditée et validée par l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information).
Dans une circulaire datée du 22 novembre, Matignon a demandé aux ministres d’opter pour une solution de messagerie française pour « remplacer toutes les autres ». Exit donc Whatsapp, Telegram et autre Signal : la seule solution retenue est la messagerie ultra-confidentielle Olvid. Et la transition doit être faite en urgence, puisque les membres du gouvernement n’avaient que jusqu’au 8 décembre pour obtempérer.
Derrière les discussions techniques et quelque peu rébarbatives qui ont eu lieu à ce sujet, se cache en réalité une question cruciale : le secret de la correspondance est-il encore garanti en France, ou au contraire interdit ?
Dans l’état actuel des choses, nous nous dirigeons vers un système à deux vitesses dans lequel les membres du gouvernement auront accès (même sans l’avoir demandé) à des messageries ultra-sécurisées, tandis que le vulgum pecus n’aurait pour sa part plus le droit d’utiliser des communications cryptées.
Après la « guerre contre le virus », qui avait été une justification toute trouvée pour limiter la liberté de circulation, de commerce, et de réunion comme jamais en temps de paix, c’est désormais votre droit au secret de la correspondance qui est compromis.
Un nouvel épouvantail pour vous retirer des droits
Au nom de la lutte contre la pédophilie, la cybercriminalité ou le terrorisme, le gouvernement n’a eu de cesse de lutter contre toutes les manières de communiquer à l’abri des grandes oreilles de l’Etat.
Depuis le début du siècle, la surveillance des échanges est passée à l’échelle industrielle. Oubliez les écoutes téléphoniques manuelles, et les lettres ouvertes dans les centres de tri de La Poste : l’interception des communications est aujourd’hui numérique.
La facilité apportée par les nouvelles technologies et une relative apathie des populations qui préfèrent échanger les libertés fondamentales contre une promesse de sécurité ont fait le reste. Les lois venant éroder le secret des correspondances se sont multipliées.
La loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II, a légalisé l’espionnage automatisé.
La loi relative au renseignement, promulguée le 24 juillet 2015, a prévu l’installation chez les opérateurs de télécommunications de dispositifs visant à détecter les « comportements suspects » à partir des données de connexion. C’était la première fois que notre pays se lançait dans la surveillance systématique de la population, en dehors de toute décision judiciaire nominative.
La justification de ce mécanisme était de protéger le secret des correspondances en ne regardant pas le contenu des messages échangés, mais simplement les habitudes de discussion des citoyens. La loi avait donné lieu à de houleux débats entre spécialistes dans la mesure où il était déjà établi, à l’époque, que ces méta-données étaient largement suffisantes pour tout savoir des habitudes et des orientations politiques des citoyens. La possibilité de capter ces méta-données lors de l’utilisation de Whatsapp est, justement, l’une des faiblesses structurelles qui a conduit Matignon à considérer cette messagerie comme non-sécurisée, malgré le cryptage du contenu des messages.
Mais cela ne suffit pas au ministère de l’Intérieur, qui travaille désormais à l’interdiction pure et simple des échanges cryptés. Il souhaite obliger les éditeurs de messageries à fournir un passe-partout numérique qui permettrait de déchiffrer tous les messages, ou à créer une porte dérobée dans l’algorithme de chiffrement.
Passons sur le fait que ce type de demande prouve l’ignorance technique de nos dirigeants. Tous les experts s’accordent sur le fait que ce type de faille intentionnelle serait immédiatement utilisé par les cybercriminels. Les échanges, aujourd’hui privés, seraient ainsi ouverts à tous les acteurs malveillants et aux Etats ennemis.
Le vrai problème de ce projet de loi est qu’il mettrait la France dans les pas des Etats totalitaires qui, effrayés par la capacité des citoyens à communiquer librement, interdisent les échanges privés.
Les citoyens lambda indignes de leurs droits fondamentaux ?
Le secret de la correspondance n’est pas un luxe, c’est un droit prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Signe de son importance capitale pour la bonne marche de nos démocraties, il figure entre le droit à un procès équitable et la liberté de conscience et de religion.
Le 16 novembre, il a fallu l’intervention du Conseil constitutionnel pour que soit retoquée la possibilité pour l’exécutif d’activer à distance la caméra et le micro d’un smartphone pour espionner un citoyen.
La circulaire d’Elisabeth Borne est venue rappeler que l’édifice sur lequel reposent nos communications numériques est déjà bien fragile et loin de garantir le secret des échanges. Il n’y a aucune raison que ce qui est vital pour nos ministres soit interdit aux citoyens.
Si vous êtes engagé dans la vie politique locale, entrepreneur, ou que vous souhaitez simplement discuter librement de vos opinions politiques avec votre famille et vos amis sans risquer de représailles en cas d’arrivée au pouvoir d’un gouvernement-voyou, il est primordial de pouvoir communiquer dans le respect de la vie privée.
Nos dirigeants ont enfin compris l’importance du secret des correspondances. Reste à leur rappeler que même les citoyens qui ne figurent pas au gouvernement y ont droit.