La Chronique Agora

Dormez braves gens, circulez y’a rien à voir, mais qu’est-ce que vous espériez ?

▪ Choisissez la formulation qui correspond le mieux à votre humeur du moment ; pour ce qui est des marchés, le mot d’ordre reste : « faisons semblant de rien ».

Le CAC 40 avait rouvert lundi à 3 770 points Il a clôturé à 3 768,50 et a repris 0,14% sur les 19% perdus vendredi, le tout dans un volume de 2,3 milliards d’euros. En résumé… « le grand sommeil ».

Wall Street avait ouvert sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les places européennes. Elles n’ont pas bronché puisque l’Euro-Stoxx 50 affichait +0,15% en clôture, contre +0,16% à l’ouverture.

Les indices américains n’ont pas davantage tressailli à la mi-séance lorsque le groupement d’économistes indépendants du National Association of Business Economists (NABE) a revu à la baisse sa prévision de croissance 2011 de 3,2% à 2,6%, sur fond de chômage à 9%. Sur ce dernier point, chacun pressent que ce sera plus proche des 10%… mais le taux « réel » continuera de grimper en direction des 20%, car même radié des listes, un chômeur de longue durée — et ils sont désormais 41% dans ce cas — reste un chômeur.

▪ Le déficit fédéral — toujours selon le NABE — demeurerait supérieur à 1 200 milliards de dollars. C’est précisément ce point qui continue d’alarmer les cambistes.

Après les avertissements de Dominique Strauss-Kahn et Tim Geithner vendredi dernier concernant les dangers d’une guerre des monnaies, les grands argentiers affirmaient que le G7 et le G20 réunis à Washington vendredi et samedi allaient débattre de la question. C’est au moins l’aveu d’une prise de conscience que la situation actuelle n’était pas tenable à court terme et qu’il faudrait remettre à plat l’architecture du système monétaire.

Jamais nous n’avons imaginé que la réunion de Washington accoucherait de la mise en oeuvre d’un grand chantier… mais peut-être d’une petite formule politiquement correcte — qui ne froisse aucune susceptibilité et n’engage personne à une action unilatérale — indiquant qu’il serait souhaitable d’envisager une trêve dans le processus de dévaluation compétitive de certaines monnaies.

Cependant, l’absence complète de commencement de rapprochement des points de vue ou de convergence sur une méthodologie prouve que les partenaires ne sont d’accord sur rien.

Il y a ceux qui préfèrent se taire pour ne pas envenimer la situation… Il y a ceux qui ceux qui s’échappent en courant à la première question embarrassante, cachés derrière leur téléphone portable… Et puis il y a ceux qui acceptent d’apparaître devant les caméras pour nous offrir une magnifique démonstration de déni de la réalité.

▪ Christine Lagarde a déclaré que cette formule de « guerre des monnaies » lancée par Guido Mantega (l’austère ministre des finances brésilien) est très exagérée. Elle réfutait également l’expression « crise des subprime » au printemps 2008 — puisque tout était sous contrôle aux yeux de Bercy et que le problème apparaissait strictement américain.

Elle revendique même le « droit de décevoir » de la part des gouvernements sur ce genre de questions délicates… lesquelles nécessitent plus d’approfondissement. Comprenez : les marchés vont avoir tout le loisir de dériver à leur guise avant qu’une riposte ne s’organise.

Après la « croissance négative » (traduction : une récession qu’il faudrait positiver), « l’accélération du processus de ralentissement de la dégradation de l’emploi » (traduction : c’est positivement moins négatif que si c’était plus catastrophique), voici le très provocateur « droit de décevoir » (traduction : préparez-vous au pire !).

Si vous espériez encore que les politiques et les banques centrales — saisis d’une prise de conscience admirable des vrais problèmes — allaient se résoudre à conjuguer leurs efforts pour sortir nos économies du pétrin… c’est bien vous qui n’allez pas être déçu !

Les Etats-Unis vont donc pouvoir continuer de détruire avec application le billet vert, les Japonais de créer de la dette, les Chinois de se hâter avec lenteur… et nous, les Européens, de boire le calice jusqu’à la lie.

Barack Obama affirmait vendredi dernier que « plus doit être fait pour soutenir la croissance ». Les déficits ne sont pas la priorité du moment, surtout à trois semaines des élections… même si un alourdissement de la fiscalité se profile à l’horizon 2011. En Europe, des conseillers d’Angela Merkel, qui balisent déjà le terrain pour l’après-Trichet, estiment dangereux de maintenir les taux trop bas trop longtemps ; difficile de ne pas y déceler la patte d’Axel Weber, le futur président de la BCE selon un consensus largement répandu.

Wall Street célèbre depuis déjà près d’un mois l’instauration imminente de taux zéro aux Etats-Unis sur fond de déluge de billets verts qui ne coûtent que l’encre et le papier chiffon nécessaires pour les imprimer.

C’est la voie officiellement choisie par le Japon depuis une semaine. Il semble déjà évident que cela ne fonctionne pas puisque le yen continue de battre record sur record face au dollar.

▪ Et à propos de record, c’est encore Christine Lagarde qui prend une option sur la déclaration qui va faire s’esclaffer le plus bruyamment monde de l’entreprise et des médias… et frapper de stupeur les demandeurs d’emploi.

Notre championne « ès perles » de Bercy félicite les trois nouveaux lauréats du Nobel d’économie (Peter Diamond, Dale Mortensen et Christopher Pissarides) « dont les recherches sur les processus de mise en relation des demandeurs d’emplois avec les entreprises ont notamment inspiré la fusion de l’ANPE et des Assedic au sein de Pôle Emploi ».

Ignorerait-elle de quel discrédit est frappé le Pôle Emploi, qui brille par une stupéfiante inefficacité dans le retour des chômeurs sur le marché du travail (toujours en vertu de ce même « droit de décevoir ») ? Il se distingue par le taux le plus élevé jamais atteint de radiation d’allocataires à une indemnité pour cause de pertes d’emploi (500 000 par an).

C’est grâce à cette forme très particulière d' »efficacité » que le taux de chômage officiel n’explose pas en France. C’est effectivement d’une utilité politique dont notre ministre n’a pas lieu d’être déçue !

Mais ce même procédé (toilettage des fichiers) est largement utilisé hors de nos frontières. Il serait injuste de blâmer nos seuls responsables hexagonaux : les Etats-Unis et l’Angleterre y ont largement recours. Cela maintient une pression à la baisse sur les salaires qui ne déplait pas à Wall Street ni à la City en ces temps de questionnement sur les marges.

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