▪ La scène se passe un lundi, dans la salle du conseil du bâtiment Eccles qui abrite la Réserve Fédérale, sur Constitution Avenue. Trois présidents de la Fed, soit trente-quatre années de règne, sont présents — Paul Volcker, Alan Greenspan et Ben Bernanke. L’occasion ? Les cent ans de la signature du Federal Reserve Act. J’ai regardé toute la cérémonie, qui a duré une heure et quatre minutes, sur YouTube, ce qui vous épargne la peine de le faire.
Si chaque président a parlé à son tour, aucun n’a émis un mot critique ou méchant à l’égard de ses homologues :
"A mon époque", a commencé Paul Volcker, "les taux d’intérêt étaient à 20% et nous étions préoccupés par l’inflation. Le président Bernanke est sur le point de quitter ses fonctions avec des taux d’intérêt nuls".
Puis ce fut au tour de Greenspan. "La crise de 1987 fut, selon moi", déclara-t-il — comme si les années 1990 et le début des années 2000 n’avaient pas existé — "le moment où la [Fed] a fonctionné au meilleur de sa forme"…
Après lui arriva l’actuel président Ben Bernanke, qui entame aujourd’hui sa dernière réunion du FOMC (Federal Open Market Committee).
[Je pouvais à peine…*snif*… retenir mes larmes tandis que je l’écoutais discourir. Ces sept années sont passées si vite…]
"Etant donné les difficultés bien connues qu’ont les économistes à prévoir ne serait-ce que les quelques trimestres à venir", a-t-il déclaré d’un ton ironique devant un public hilare, "je me permets cependant d’établir une prévision sur 100 ans : je ne serai plus là pour expliquer pourquoi les prévisions ont été fausses"…
[La salle redouble de rires.]
Puis, continuant dans cet esprit "prévisionniste", Bernanke se projette dans 100 ans : "je peux avancer une prédiction qui je pense n’est pas trop osée", a-t-il déclaré. Les valeurs qui ont soutenu et servi la Réserve fédérale au mieux et lui ont permis de contribuer de façon essentielle à la santé économique de notre pays au cours du siècle passé continueront à bien la servir et à bien servir le pays pour le siècle à venir".
Vraiment… Nous prenons le pari opposé, merci beaucoup.
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Accumulation de taxes, mesures contradictoires, répression financière…
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En fait, voici ma prédiction : la Fed va laisser le dollar mourir aux mains des Chinois bien avant que le prochain siècle ne soit terminé.
▪ Voyons comment…
Ma prévision, comme la plupart des prévisions économiques, tire son origine d’un économiste aujourd’hui décédé, Robert Triffin. Ce dernier avait prédit que la Chine détruirait le dollar — nous étions alors en 1960. A cette époque, il avait alerté le Congrès US qui prévoyait tout sauf la fin du rôle du dollar en tant que monnaie privilégiée au niveau mondial. Triffin prédisait que toute monnaie de réserve était au final condamnée… A l’époque il citait les fissures qu’il avait déjà observées dans la fondation du système de Bretton Woods établi après la Deuxième guerre mondiale.
"A mesure que se développe l’économie mondiale", explique John Kemp de Reuters, "la demande d’actifs de réserve augmente. Ceux-ci ne peuvent être fournis aux étrangers que si l’Amérique entretient un déficit des comptes courants et émet des obligations libellées en dollars pour le financer. Si les Etats-Unis cessent d’entretenir les déficits de la balance des paiements et de fournir les réserves, le manque de liquidité qui en résulterait entraînerait l’économie mondiale dans une spirale récessionniste".
"Mais Triffin avertissait que si les déficits continuaient, la liquidité mondiale en excès risquait d’alimenter l’inflation. Pire, l’accroissement de dettes libellées en dollar inciterait les autres pays à douter que les Etats-Unis puissent maintenir la convertibilité avec l’or ou qu’ils soient obligés de déprécier".
Ce paradoxe économique est connu par les universitaires, les spécialistes politiques, les auteurs de lettres financières, les pros de l’économie comme les amateurs sous le nom de "dilemme de Triffin".
Pendant les 53 années qui ont suivi, Washington a choisi la dernière des deux options, c’est-à-dire inonder le monde avec des dollars. Triffin en prédisait le résultat inévitable, en quatre étapes…
Etape 1 : le système de Bretton Woods s’effondre alors que les autres pays échangent leurs dollars contre de l’or, asséchant le Trésor américain de ses réserves d’or. Effectivement, le président Nixon a "fermé la fenêtre de l’or" en 1971, coupant ainsi le dernier lien du dollar avec l’or.
Etape 2 : la perte de valeur du dollar s’accélère et les exportations américaines chutent fortement. Effectivement, "l’entreprise Japon" a donné au monde des appareils électroniques et des voitures bon marché dans les années 1980 et au début des années 1990 tout en achetant de l’immobilier américain de prestige comme le Rockefeller Center.
Etape 3 : les Etats-Unis ont des déficits budgétaires massifs, encouragés par l’impression monétaire de la Réserve Fédérale, provoquant au final une crise financière. Voyons… hmmmm… oui, c’est vrai… C’était la Panique de 2008, dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences.
▪ Alors… quelle est la quatrième étape ?
Eh bien, la Chine la met doucement en place. Elle permet au yuan de se renforcer petit à petit — 30% au cours des huit dernières années. Plus récemment, la banque centrale chinoise a annoncé qu’elle cesserait d’augmenter ses réserves en dollars, ce qui permet à sa monnaie de se renforcer encore plus. En même temps, le gouvernement se construit discrètement une grosse réserve d’or pour garantir le yuan. Le but est d’avoir un yuan "totalement convertible" aux autres monnaies mondiales d’ici 2015.
Au cours des deux dernières années, sept des douze plus grandes économies mondiales ont décidé de se passer du dollar dans leurs transactions avec la Chine. Même le Japon s’y est mis : malgré de forts litiges frontaliers, les deux Etats prévoient de commercer directement en yen et yuan.