La Chronique Agora

Dollar versus euro, la guerre des monnaies fait rage

▪ Bruxelles se fâche contre Moody’s… La dégradation de quatre crans de la dette portugaise est ressentie comme une provocation, même si officiellement, c’est le terme d’injustice qui l’emporte dans la plupart des commentaires.

Compte tenu du suspense qui entoure encore la validation du plan de sauvetage de la Grèce, invoquer un prochain sauvetage bis du Portugal équivaut à entériner le scénario d’une Europe condamnée à une peine préventive de renflouement des PIGS à perpétuité.

▪ Le ministre brésilien des Finances, Guido Mantega, ne se trompait pas ce mercredi en évoquant une poursuite de la guerre des monnaies. Cela fait neuf mois qu’il soutient la même thèse — depuis septembre 2010 et le début de la dégringolade du dollar liée aux anticipations de déclenchement d’un QE2.

A l’époque, le but recherché par la Fed était de restaurer la compétitivité de l’économie américaine par la dévaluation du dollar. Aujourd’hui, l’objectif est tout différent : la page du QE2 est tournée et le refinancement de la colossale dette américaine redevient le problème le plus préoccupant.

Comme il n’est pas possible de faire des émissions du Trésor un placement attractif, ni du dollar une monnaie qui inspire confiance, le plan B consiste à discréditer l’euro et à lui expédier torpille sur torpille en faisant tourner la thématique des difficultés quasi insurmontables des pays périphériques.

Nous pourrions nous amuser également à ce petit jeu avec la banqueroute qui touche 33 des 50 Etats de l’Union. Il y aurait évidemment une multiplicité vertigineuse de combinaisons, plus effroyables les unes que les autres et aucune solution de type roll-over à la clé : la plupart des créanciers savent que les finances des Etats-Unis sont à l’image de l’imbroglio grec, le tout multiplié par 50 pour respecter l’échelle.

Il s’agit de surcroît de déficits qui n’ont aucune chance d’être couverts par des plans d’austérité « à l’européenne » (au nom de la sauvegarde de la croissance) ou des hausses d’impôts touchant les plus gros contribuables potentiels. Cela fait dix ans qu’ils sont habitués à vivre comme à Monaco, mais dans des propriétés souvent dix fois plus grandes que le Rocher (dont la superficie fait à peine deux kilomètres carrés).

Les détracteurs de l’euro ont la partie belle avec une BCE complètement sous-capitalisée et une désunion européenne ubuesque en matière de politique fiscale. Pour remédier à cette situation, il faudrait modifier la Constitution européenne, allouer plus de fonds à la BCE, l’autoriser à racheter des dettes souveraines tout en apportant sa garantie à celles que détiendraient des créanciers privés.

▪ L’euro va continuer encore longtemps de souffrir de ses tares congénitales et de fournir des prétextes aux agences de notation pour pilonner sans relâche les dettes des PIGS. A chaque nouvelle salve de dégradation, le dollar reprend 2 ou 3%. Mais comme cela ne dure pas — la date butoir du 2 août se rapproche à grands pas, après ce sera le défaut partiel sur la dette américaine — il faut recommencer souvent.

Les agences disposent d’un imposant stock de munitions. Ce sont celles qui n’ont pas servi en 2007 et 2008 pour prévenir un krach systémique ; il y en même qui datent de la période Enron, Worldcom ou Parmalat (toutes notées « AAA ») et qui sont encore à l’état neuf.

A force ne jamais remettre en cause la notation des Etats-Unis ou de l’Angleterre, les agences ont perdu beaucoup de ce qu’il leur restait de crédibilité. Comme il est mal vu de l’écrire dans les colonnes des médias qui appartiennent aux plus grands groupes cotés à Wall Street, on ne dit rien… et on achète de l’or, du pétrole, ou des soft commodities.

▪ Le triple A des Etats-Unis existe toujours, sur le papier : celui qui sert à emballer les pièces et les lingots. Ce serait trop bête de les rayer, au risque de diminuer leur valeur marchande.

Barack Obama a bien conscience (plus que tout autre citoyen américain) que l’Amérique bénéficie du privilège exorbitant d’échapper à toutes les dégradations de notation dont écoperait n’importe quel pays présentant une situation comptable comparable à la sienne.

Mais personne n’est dupe ; un arrangement de dernière minute sur le plafond de la dette constituerait un mauvais message adressé au marché. Toute attitude de ce genre serait irresponsable, martèle le patron de la Maison Blanche : « le Congrès doit faire en sorte que la foi dans la capacité du pays à honorer ses dettes soit préservée ».

Trouver des expédients à courte vue — juste histoire d’éviter un défaut de paiement à la veille du 2 août — ne peut plus suffire à satisfaire les créanciers de l’Amérique. La Chine a clairement fait savoir qu’elle exigeait l’adoption de solutions de plus long terme.

Pékin a de son côté décidé d’aller jusqu’au bout dans sa lutte contre l’inflation. La Banque centrale annonçait dans un bref communiqué publié mercredi midi qu’elle procédait à un cinquième tour de vis monétaire de 25 points de base, ce qui porte son taux directeur à 6,56%.

▪ Wall Street s’en est à peine ému et les indices américains ont clôturé collectivement dans le vert. Le Nasdaq (+0,3%) aligne ainsi une septième séance de hausse consécutive, le Dow Jones (+0,45%) une sixième sur une série de sept.

Difficile de déterminer quel élément d’actualité a servi de catalyseur à cette hausse. Le renforcement du dollar n’est pas favorable aux valeurs exportatrices ; la hausse des taux chinois n’est pas favorable à la croissance mondiale. La publication de l’indice ISM non manufacturier pour le mois de juin aux Etats-Unis est ressorti à 53,3 (il était attendu en recul de 54,6 à 53), ce qui apparaît largement conforme aux prévisions.

Il nous reste alors quelques suppositions, comme une fuite concernant les chiffres de l’emploi américain vendredi, des anticipations positives concernant les résultats trimestriels qui paraîtront à partir de lundi. Mais la véritable explication, ce sont peut-être les traders sur instruments à effet de levier qui la détiennent.

Il reste encore quelques shorts (vendeurs à découvert) à lessiver car la hausse trop rapide de 6% la semaine dernière a suscité quelques velléités de prises de position spéculatives à la baisse.

Même si les vendeurs ont raison sur le fond, les « mains fragiles » pourraient jeter leurs cartes en attendant de toucher une paire d’as — c’est-à-dire constater une véritable amorce de correction et la cassure de quelques supports jugés déterminants.

Mais n’en doutez pas, ceux qui relancent à la hausse comptent beaucoup sur l’impact psychologique de ce coup de bluff. Ils soulignent que la spirale haussière pourrait se prolonger plusieurs semaines, comme cela s’est produit durant l’été 2008, 2009 puis 2010.

Ils ne vont pas tarder à nous refaire le coup des actions « qui ne sont pas chères » (par rapport aux cours qu’ils nous font miroiter pour la fin de l’année) et des rendements historiquement imbattables par rapport à des T-Bonds qui rapportent zéro pour un risque objectivement maximum.

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