La dédollarisation va encore prendre du temps : même si le processus semble lancé, son utilité le protège… tant qu’il n’y a pas d’alternative.
Le dollar n’est pas faible. Il est contesté.
Le dollar est fort. Il est fort non pas parce qu’il est cher ou pas cher, non ; il est fort parce qu’il fait ce qu’il veut, il impose sa loi et les autres s’y adaptent qu’ils le veuillent ou non, comme c’est le cas de la Chine en ce moment.
On nous parle de dédollarisation un peu comme si le mot était magique. C’est un récit, mais ce récit n’est pas confirmé par ce qui se passe sur les marchés.
Par ailleurs, le récit mélange tout : le dollar utilisé dans les transactions, le dollar en tant qu’unité de compte, le dollar en tant que monnaie de réserve, le dollar comme simple liquidité, le dollar assurance, etc. Le dollar est et reste la pierre angulaire de la construction économique, financière et monétaire globale. Pour échapper à sa dictature, il faut s’isoler hermétiquement.
Le sentiment négatif envers le dollar est important actuellement. Ce n’est pas nouveau en soi, il y a eu de nombreuses périodes de doute ou de rejet du dollar dans le passé. Certains ont émis des jugements ou des prévisions définitifs ; ces jugements se sont – même pour les spécialistes les plus réputés – révélés erronés.
Le dollar se négocie presque toujours dans une dynamique de prix apparemment séparée des récits médiatiques ; je pense que ce sera encore le cas cette fois avec le roman sur la dédollarisation.
Le dollar s’autodétruit
Pour vous livrer le fond de ma pensée, la dédollarisation ne sera ni une décision humaine, ni une politique. Non : ce sera un processus naturel, endogène au système, un processus qui se développera selon sa propre logique, sa propre vitesse, et selon l’articulation… de ses mystères.
La monnaie en général est le mystère de notre époque, et le dollar en est le mystère suprême.
Les forces qui produisent la future dédollarisation sont internes : le dollar s’autodétruit par le développement de sa logique de monnaie de crédit/de monnaie fiat. Il a été créé pour que l’on puisse en émettre trop, et pour que l’on puisse abuser de son pouvoir. Dès sa création, le ver était dans le fruit et, progressivement, on a ôté tous les freins, tous les ancrages, toutes les limites qui pouvaient ralentir sa marche vers la destruction.
Le dollar « s’use » si on se sert de ce qu’il est :
- une monnaie fondante au plan domestique ;
- une devise d’échange inégal au plan extérieur ;
- et une arme de pillage au plan géopolitique.
Le dollar a son destin écrit dans son bulletin de naissance, et il est historique : il est destiné à mourir un jour.
Aucun contrôle
Ma conviction est que le prix ou le cours du dollar est imprévisible non parce qu’il évolue au hasard de façon irrationnelle, mais parce que c’est une matière et un sujet hyper complexe, et que toutes les théories et modèles sont des simplifications fausses et inadaptées.
Le dollar est une monnaie de réserve, et ce n’est même plus un équivalent des marchandises ; on en a besoin pour des tas d’autres choses, comme par exemple pour survivre au plan bancaire, indépendamment de son prix, comme on a besoin des bons du Trésor américain pour accéder à la liquidité. Les théories qui s’appliquent aux autres monnaies ne sont pas valables pour lui.
Le dollar est émis ; il constitue un stock colossal avec en plus des expositions acheteurs et vendeurs potentielles énormes. Personne ne peut entrevoir ce qui peut se passer par exemple au niveau des dérivés concernant le dollar. C’est opaque. Dans de nombreux cas, le besoin de « dollars » est totalement décorrélé de son prix.
L’interaction des effets de stocks et de flux, l’interaction des effets de bilan et de cash-flow, des politiques monétaires, des cycles économiques et des volontés humaines, de l’humeur mondiale plus ou moins frileuse ou angoissée, créent un système hautement complexe qui échappe à notre réflexion. Et à celles des autorités ! Souvenez-vous qu’elles ont voulu déprécier le dollar, accélérer l’inflation en créant beaucoup de dollars, et elles ont échoué lamentablement pendant des années et des années !
Les profits d’USA Inc.
J’ai trois convictions :
La première est que le dollar est un actif financier, un papier, et qu’à ce titre il est redevable de l’affirmation de Bernanke : tout ce qui est émis doit être détenu jusqu’à ce qu’il soit retiré. Le dollar est un mistigri.
Cela signifie que, les dollars étant émis, si l’on veut s’en passer ou s’en débarrasser, il faut pouvoir les vendre et les échanger ; c’est-à-dire que, la question centrale, c’est l’alternative. Quelle est l’alternative au dollar actuellement ? Je n’en vois pas.
La seconde est que tout ce qui est quantitatif est inadapté au raisonnement, car les masses ne signifient rien dès lors qu’elles peuvent circuler ou ne pas circuler, être stockées, neutralisées, dormir ; nous sommes dans les rapports humains de masse. Le catalyseur des échanges qu’est la monnaie est un mystère alchimique. La modélisation est une entreprise idéologique à durée de validité limitée pour tondre les gogos.
La troisième, c’est que d’une certaine façon, en tant que réserve, le dollar est une sorte d’action/part de la grande entreprise que constitue « USA Inc. ». Le dollar, c’est l’action de l’entreprise USA qui donne plus ou moins droit aux bénéfices, à une part du surproduit USA, ou plus exactement à une promesse de part ! Je précise promesse de part, car le porteur de dollar est sans cesse dilué, par effet Cantillon.
Il est dilué sans cesse et c’est une escroquerie, mais la rentabilité capitalistique américaine est la plus forte du monde, surtout bonifiée par le Ponzi et par la liquidité entretenue par le jeu spéculatif planétaire.
La monnaie de John Law était bonifiée par la rue Quincampoix… et le dollar est bonifié par la rue du mur, Wall Street.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]