La Chronique Agora

Le dollar, simple « tuyau » pour faire circuler les capitaux

▪ Depuis mai dernier, le tapering de la Fed a fait couler beaucoup d’encre dans les médias financiers. Ne vous inquiétez pas, nous n’allons pas en parler en détails ici… Simplement, nous avons beaucoup réfléchi au dollar et aux devises en général — et à ce qui détermine la valeur d’une devise.

Voyez-vous, nous sommes d’avis que toute cette histoire de tapering est une escroquerie. On veut vous faire croire que l’économie américaine s’améliore et que, par conséquent, les taux d’intérêt doivent se "normaliser".

Un élément aide à renforcer cette notion : le dollar, qui reprend de la vigueur. Les investisseurs voient le billet vert grimper par rapport à toute une gamme d’autres devises et croient que cela représente une préférence pour les actifs américains à cause de la santé de leur économie.

Nous pensons que c’est beaucoup plus compliqué.

Nous nous basons sur le point de vue selon lequel le capital coule à travers une devise, non dans une devise. Permettez-nous quelques explications, car cette idée est intéressante.

Les Etats-Unis sont la source d’une bonne partie des liquidités et des flux de capitaux dans le monde.

Pour commencer, il est utile de comprendre le flux général de capitaux dans le monde. Si l’on simplifie à l’extrême, les Etats-Unis sont la source d’une bonne partie des liquidités et des flux de capitaux dans le monde, par le biais de leurs déficits commerciaux de 500 milliards de dollars par an.

En d’autres termes, les Etats-Unis absorbent 500 milliards de dollars supplémentaires de biens et de services qu’ils n’en envoient dans le reste du monde, de sorte qu’ils doivent payer l’excédent en devise fiduciaire. En quelque sorte. En réalité, ils les paient en empruntant, ce qu’ils font en émettant des bons du Trésor.

Résultat, le capital s’écoule au travers du dollar (et dans le yuan chinois, par exemple) pour payer les biens et les services. Mais quasi-instantanément, les Chinois renvoient le capital au travers du dollar (pour maintenir leur lien avec le dollar) dans des actifs libellés en dollar comme les bons du Trésor US.

C’est ce flux constant et égal qui maintient la valeur du dollar. Quand plus de capital s’écoule vers l’extérieur que vers l’intérieur, le dollar s’affaiblit contre toute devise ne maintenant pas un flux équivaleur. Et quand le flux est plus conséquent vers l’intérieur que vers l’extérieur, c’est l’inverse qui se produit.

Ce à quoi l’on assiste en ce moment est donc un flux général qui revient vers les actifs libellés en dollar. Mais comme nous l’avons dit, c’est un peu plus compliqué que cela. Voilà ce qui se passe d’après nous…

Les flux de capitaux financiers "spéculatifs" jouent aussi un rôle majeur pour déterminer la valeur des devises.

▪ Le rôle de la finance spéculative
Les flux de capitaux basés sur le commerce international en biens et services ne sont qu’une partie de l’équation. Les flux de capitaux financiers "spéculatifs" jouent aussi un rôle majeur pour déterminer la valeur des devises.

Par exemple, le gouvernement américain émet des bons du Trésor pour financer son déficit, qui représente des dépenses en biens et services réels. Ces obligations, bien qu’étant ostensiblement une reconnaissance de dette gouvernementale, sont aussi des actifs financiers… grâce auxquels leur détenteur peut emprunter pour spéculer.

C’est-à-dire que si vous détenez un bon du Trésor, vous pouvez l’utiliser comme nantissement pour emprunter des dollars, puis utiliser ces dollars pour diversifier votre portefeuille grâce aux marchés émergents, par exemple. Lorsque le QE battait son plein et que les liquidités coulaient à flot, c’était un choix assez populaire.

Mais maintenant que le marché s’attend à ce que la fête de l’assouplissement quantitatif prenne fin, ou au moins diminue, ces flux spéculatifs s’inversent. Le capital spéculatif revient rapidement à sa source, au travers du dollar, faisant ainsi grimper la valeur relative du billet vert par rapport à toute une série de devises (notamment celles des marchés émergents).

Il y a donc deux flux de capitaux à prendre en compte. L’un qui concerne le commerce en biens et services réels, et l’un qui est lié aux transactions financières et spéculatives.

▪ Une faiblesse majeure… et cachée
Pour l’instant, nous pensons que la vigueur du dollar est plus liée au côté spéculatif du marché, les flux financiers. Si nous avons raison, cela masque en réalité une faiblesse structurelle majeure dans le dollar.

Pourquoi ?

A cause de ce qui se passe côté commerce. Les Etats-Unis génèrent toujours un déficit commercial annuel d’environ 500 milliards de dollars (c’est-à-dire un flux extérieur de dollars servant à payer les biens). Pour que le dollar reste stable (en ignorant le côté financier des choses pour l’instant), les étrangers doivent combler ce fossé en renvoyant le capital à travers le dollar pour acheter des actifs libellés en dollar.

Sauf qu’en ce moment, les créditeurs étrangers des Etats-Unis ne font rien de tel. L’appétit pour les actifs US de long terme — et plus précisément pour les bons du Trésor US — se réduit… comme peau de chagrin. Ce n’est pas franchement sain pour le dollar mais pour l’instant, un renversement des flux de capitaux spéculatifs vers les Etats-Unis (passant par le dollar pour y arriver) masque ce souci structurel qui menace.

▪ Les étrangers ne financent plus les déficits américains
Quant à la promesse de tapering de la Fed, elle empire la situation. Actuellement, la Réserve fédérale achète environ 35 milliards de dollars de bons du Trésor US par mois, ou 360 milliards par an. Cela suffit largement à couvrir le déficit commercial, mais il n’est guère recommandé que votre banque centrale finance 100% de vos excès de consommation !

En fait, c’est même dangereux. Au lieu que les étrangers s’en chargent — ce qui implique de vendre des devises étrangères pour acheter des dollars –, la Fed crée dans les faits plus de dollars pour acheter des actifs libellés en dollars.

Cela peut sembler compliqué… alors voyons cela plus en détails. Lorsque les étrangers financent les déficits américains, cela représente une véritable demande de dollars (ou un mouvement de capital au travers du dollar). Lorsque c’est la Réserve fédérale qui le fait, cela représente une augmentation des dollars par rapport aux devises étrangères. Ce n’est pas bon pour la valeur du dollar à long terme.

Le stock de dette fédérale américaine détenue à l’étranger est énorme.

Et tous ces "dollars", ou actifs libellés en dollar, sont toujours en circulation. Environ 30 ans de déficits commerciaux accumulés reposent dans des banques centrales du monde entier sous forme de bons du Trésor US. Le stock de dette fédérale américaine détenue à l’étranger est énorme. En d’autres termes, il y a une très grande quantité de dette libellée en dollar à l’extérieur des frontières américaines.

Comme vous le savez sans doute, les prix se font à la marge. Le vendeur (et l’acheteur) d’une seule unité du gigantesque stock libellé en dollar fixe le prix.

De sorte que si un détenteur étranger veut vendre et qu’aucun autre étranger ne veut acheter, il y a des chances que la Fed devienne acheteur marginal. Une telle transaction est négative en dollar puisque, dans les faits, elle crée un dollar pour acheter un dollar.

Ce sera donc en fin de compte négatif pour la valeur du billet vert par rapport aux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Cela fera à son tour augmenter le prix des importations, ce qui pourrait faire grimper la valeur nominale du déficit commercial et aggraver la situation. Ou les Etats-Unis pourraient décider de moins consommer, ce que la hausse des rendements obligataires pourrait les contraindre à faire.

Qui sait ? Mais les problèmes que présente l’excès de dette circulant dans le système financier international sont de plus en plus clairs. Le tapering, les flux de capitaux spéculatifs, la hausse des rendements obligataires et la réduction des financements étrangers du déficit commercial US sont tous liés.

Les prochaines années devraient être vraiment très intéressantes. De nombreux scénarios peuvent encore se dérouler — mais une reprise économique américaine durable n’en fait pas partie.

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