La Chronique Agora

Que dirait Clausewitz ? (Partie I)

L’industrie de l’armement américain prend d’assaut le Moyen-Orient, encore une fois…

« Personne ne se met en guerre – du moins, aucune personne sensée ne devrait le faire – sans avoir clairement en tête ce à quoi il souhaite parvenir par la guerre et comment il compte la mener. » 一 Carl von Clausewitz, stratégiste militaire prussien (1780-1830).

Ce n’est pas le meilleur moment pour prendre le ferry depuis l’Irlande vers la France. La plupart des ferrys à passagers ne circulent plus. La seule option est de se mêler aux conducteurs de camions polonais avec la compagnie Stena Line.

Une fois en plein Atlantique, la mer se déchaîne. Les nuages sont bas. Le vent est violent. Tout ce qu’il y a à faire, c’est rester allongé sur sa couchette et vous laisser bercer par le doux (ou pas si doux) ballottement du navire.

La nuit dernière, le restaurant à bord était presque vide. Les conducteurs de camion ont leur propre restaurant. Il y avait probablement 4 ou 5 passagers qui n’étaient pas des camionneurs, dont un monsieur plus âgé aux cheveux blancs en pagaille, qui ressemblait à Albert Einstein dans les dernières années de sa vie.

Nous n’avons pas pu trop traîner après le repas. Le bateau commençait à osciller trop violemment. Nous avons donc traversé le couloir, se heurtant d’un côté à l’autre, pour rejoindre nos cabines et nous nous sommes précipités dans nos lits.

S’allonger semblait être le meilleur moyen d’éviter le mal de mer. Si l’on faisait abstraction du fracas des vagues contre la coque et du grincement de chaque bout de métal au-dessus de la ligne de flottaison, on pouvait s’imaginer être sur un hamac doucement bercé par une brise d’été.

Finalement, nous sommes arrivés à bon port. Il fait toujours aussi gris et froid dehors. Mais il y a du boulot.

Présentez armes, en joue, feu !

Si vous voulez avoir une chance de comprendre et d’anticiper ce qui va nous arriver, vous allez avoir besoin d’un tableau sur lequel accrocher les boules et les guirlandes de l’actualité.

Par exemple, au cours des dernières semaines, CNN a publié ceci :

« La décision du Président Joe Biden de lancer une offensive contre 85 cibles en Irak et en Syrie vendredi en réponse à la mort de trois soldats américains la semaine dernière constitue un juste milieu : il ne s’agit pas de frapper directement à l’intérieur de l’Iran, ce qui déclencherait presque à coup sûr une guerre plus large, mais c’est l’action la plus étendue que les Etats-Unis aient menée jusqu’à présent, contre les groupes accusés de déstabiliser la région.

Savoir si les 125 missiles à guidage de précision tirés pendant 30 minutes vendredi soir auront pour effet d’empêcher d’autres attaques contre des Américains est une question à laquelle les autorités ne sont pas encore prêtes à répondre.

‘Je pense qu’il s’agit d’un moyen de dissuasion très efficace, a déclaré Tammy Duckworth, sénatrice démocrate de l’Illinois et vétéran de la guerre d’Irak. Nous sommes en train de dire : nous ne voulons pas entrer en guerre. Mais goûtez un peu à ce qu’on est capable de faire. Tenez. Quatre-vingt-cinq cibles. Et je pense que cela fait partie de l’exercice d’équilibre auquel nous devons nous livrer en ce moment.’ »

Quatre-vingt-cinq cibles ? Cent vingt-cinq missiles ? Leur montrer de quoi nous sommes capables ?

Prenons un moment pour souffler. Aux clowns actuellement inscrits sur les bulletins de vote dans tout le pays, il faut ajouter les rigolos qui dirigent la machine militaire américaine, alias l’industrie de l’armement. Entre eux, autorités civiles et militaires, ces décideurs ont les moyens de ruiner l’économie et de mettre l’empire à genoux.

Qu’est-ce qu’on va faire d’eux ? Ne s’agirait-il pas d’un moyen naturel, comme la moisissure sur le yaourt, de transformer un dessert sain en une substance visqueuse et écoeurante ?

Une maxime militaire

Quelle est la probabilité que les mêmes génies qui ont manqué les attentats du 11 septembre et les attaques du Hamas aient maintenant scruté le coeur sombre des « terroristes » dans 85 endroits différents ? Où est le calcul risque/récompense qui nous dit que ce serait une bonne idée de les tuer, au risque de se mettre à dos les survivants qui deviendront des ennemis jurés pour la vie des Etats-Unis ? Où, dans la Constitution, est-il permis à un président de commencer une guerre de son propre chef ?

Et qu’aurait dit l’officier général Clausewitz ? Où est le plan ? Quels sont les objectifs de cette guerre ? Est-ce qu’on a pesé le pour et le contre avec les représentants du peuple ?

« Si vous tirez sur tout ce qui bouge, vous n’atteindrez aucune cible. » C’est une maxime militaire qui peut s’appliquer à tous les domaines de la vie. Si vous cherchez à tout faire en même temps, vous finirez par ne rien accomplir du tout.

C’est pourquoi Clausewitz a été si populaire auprès des écoles de commerce. Le commerce, comme la guerre, est compétitif. Le compétiteur qui essaye d’être tout pour tout le monde ne va nulle part. Les vainqueurs sont ceux qui savent où frapper et qui le font avec précision. La puissance militaire, aussi, doit être concentrée sur des objectifs précis et atteignables. Elle n’est pas censée être déployée à tout va en menaces gratuites/bon marché, un samedi dans un bar.

Les attaquants intelligents ne dispersent pas leur puissance de feu, ils la concentrent en plusieurs points spécifiques, pour des raisons spécifiques : pour couper les vivres à l’ennemi, capturer (ou détruire) un pont vital, éliminer une petite force avant qu’elle ne rejoigne les autres et ainsi de suite. Comme l’expliquait Clausewitz, il y a de « l’émotion » dans la guerre. Et de la chance. Mais ils sont tempérés et guidés par la raison. Où est la raison dans le barrage de missile de Biden ?

Les guerres perpétuelles

La logique derrière la guerre du généralissime Biden est très certainement d’envoyer un message à l’Iran. Mais c’est le même genre de pensée idiote qu’avaient les Etats-Unis quand ils bombardaient à mort le Laos et le nord du Vietnam, menaçant de les « renvoyer à l’âge de pierre ».

Cela n’a rien donné. Au Laos, les bombardements ont décimé un dixième de la population. Il n’y a eu aucun avantage. Au Vietnam, « l’ennemi » surgissait de nulle part et esquivait les attaques, dans une sorte de stratégie militaire en « rope dope » à la Mohamed Ali.

Robert McNamara, le comptable amateur du Pentagone, peut procéder à tous les décomptes de corps et à toutes les évaluations de la douleur qu’il souhaitait. Mais à la fin, les Etats-Unis n’avaient aucune autre alternative que fuir, avec une sortie de scène disgracieuse en hélicoptère depuis le toit de l’ambassade américaine de Saigon.

Et quiconque pense que les « terroristes » vont maintenant rebrousser chemin, en état de choc et de stupeur face à la puissance de feu américaine, n’est juste pas assez attentif.

Les Irakiens ont eu bien plus qu’un échantillon de la puissance de feu américaine, ils ont en eu tout un plat quand les Etats-Unis avaient mené une guerre pour les libérer du terrorisme. Maintenant, ils veulent que les Etats-Unis dégagent.

Et les Houthis sont pris pour les héros du monde musulman tout entier… et d’une grande partie du reste du monde. Ils essuient des tirs « entrants » de fabrication américaine depuis 20 ans. Ils ne vont pas s’arrêter maintenant que ces tirs proviennent directement des Etats-Unis et non plus de leurs mandataires en Arabie saoudite.

Quel est le résultat probable ? Que dirait Clausewitz ?

A suivre…

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