▪ Il y a la vérité, il y a les demi-vérités, il y a les mensonges par omission, les mensonges délibérés, les gros mensonges et puis il y a… le prétexte des accords de Bruxelles, accouchés aux forceps à l’issue de la nuit du 26 au 27 octobre dernier, pour justifier l’envolée de 6% du CAC 40 et de 20% des valeurs bancaires jeudi dernier.
Invité comme tous les vendredis vers 16h15 à dresser le bilan de la semaine sur BFM-Business en compagnie des journalistes Sébastien Coisnon et Grégoire Favet, je concluais notre quart d’heure de décryptage de l’actualité par cette prédiction à l’emporte-pièce : « la hausse de jeudi, avec six milliards d’euros échangés pour 6% de progression, techniquement cela vaut zéro ».
J’avais naturellement préparé le terrain en décrivant les aberrations techniques dont vous aviez pu retrouver la description détaillée dans ma chronique de mardi : un double cygne noir… en guise de camouflage d’une opération de manipulation de cours géante.
L’illustration parfaite du principe de « la queue qui remue le chien » que vous connaissez bien : créez de toute pièce un mouvement boursier absurde, excessif, et déconnecté de la réalité… et vous verrez les « idiots utiles » faire assaut d’imagination pour tenter de rendre crédible l’inexplicable auprès d’un auditoire trop prompt à se réjouir d’une telle aubaine.
J’ai soigneusement évité d’employer le terme « injustifiable » car justement, je suis persuadé que l’envolée de jeudi dernier partait d’une bonne intention. Il s’agissait de créer un « choc de confiance » (mais nous savons à quelle vitesse cette confiance peut s’évaporer), et probablement de mettre le maximum de distance entre les indices de l’Eurozone et des seuils de rupture graphique et psychologiques décisifs, comme 3 000 points à Paris ou 2 200 points sur l’Euro-Stoxx 50.
▪ Imaginez que le CAC 40 n’ait pas bénéficié d’un coup de pouce de 250 points et l’Euro-Stoxx 50 de 150 points jeudi dernier ! L’annonce d’un referendum qui s’apparente à un quitte ou double de Georges Papandreou aurait déjà précipité le CAC 40 sous les 2 950 points et l’Euro-Stoxx 50 sous le support déterminant des 2 200 points.
Graphiquement, la messe serait déjà dite avec une chute de 8,5% de ces deux indices en 48 heures — avec, au passage, la pire entame de mois boursier de l’histoire.
Les faits semblent donc me donner raison : la hausse du 27 octobre, cela vaut zéro, puisque l’on est revenu 2,5% en deçà des niveaux de clôture des 25 et 26 octobre.
En pratique, j’ai bien évidemment tort. En effet, la remise en cause presque totale de tout ce qui a été mis sur pied pour résoudre la crise grecque depuis le 21 juillet dernier — dans un climat délétère et au bout de négociations menées dans des conditions de tension extrêmes — ne suffit pas à précipiter les indices boursiers vers les récents planchers annuels.
▪ L’une des grandes interrogations de la séance de mardi concernait le degré de vulnérabilité de Wall Street aux turpitudes de la Zone euro.
Il n’est pas évident de délivrer un verdict sans appel ; chacun se fera sa propre opinion. Pas de scores fleuves à la baisse (comme à Milan ou Athènes avec des plongeons de -6% à -7%), mais des indices américains qui clôturent tous au plus bas du jour. La tentative de rebond de la mi-séance a fait long feu et le Dow Jones chute de 2,54% (-300 points) à 11 658.
Le bilan annuel demeure positif — d’un modeste 0,7% — pour les 30 industrielles. En revanche, ce n’est désormais plus le cas pour le Nasdaq qui plonge de 2,9% (à 2 622 points) et affiche -1,8% depuis le 1er janvier. Le S&P, qui lâche 2,8% à 1 218 points (avec 95% de titres en repli), est maintenant en recul de 3,15% sur l’année 2011.
L’entame de la semaine se solde donc par une perte cumulée de 5,5% — en moyenne — des indices US, ce qui efface la totalité des gains accumulés depuis le 25 octobre dernier.
Wall Street a de nouveau fortement décalé — à la baisse — au cours des cinq dernières minutes. C’est devenu une habitude depuis la mi-octobre, mais les habituels « tripatouillages » indiciels orchestrés par les robots algorithmiques ne sont pas en cause.
▪ Leur mise en route s’est peut-être avérée inutile : les cours ont subitement replongé lorsque les opérateurs ont appris par une dépêche en provenance d’Athènes qu’à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire, Georges Papandreou confirmait son projet de référendum si décrié et espérait toujours obtenir un vote de confiance du Parlement grec.
Un pari hautement risqué qui a été jugé avec une sévérité extrême par les marchés — en particulier par l’entourage d’Angela Merkel qui parle de « folie » et de « trahison » — car la majorité dont il estime disposer pourrait déjà ne plus exister.
Selon les dernières rumeurs en provenance d’Athènes, au moins trois députés de la coalition au pouvoir pourraient faire défection d’ici vendredi, jour du vote de confiance. Au lieu de 153 voix, le Premier ministre grec ne disposerait plus que de 150 voix sur 300, soit une marge de sécurité absolument nulle.
George Papandreou assume pleinement le risque de se voir désavoué… et peut-être appelle-t-il une telle issue de ses voeux depuis mercredi dernier : les accords de Bruxelles signifient également la mise sous tutelle de son pays.
Quel rôle pourrait-il désormais y jouer ? Quel jugement l’histoire portera-t-elle sur l’homme qui a accepté le démantèlement de la souveraineté de son pays par Bruxelles, le FMI et surtout l’Allemagne, sans le moindre espoir de retour de la croissance et de la prospérité avant — qui sait — une bonne décennie ?
De quelle légitimité dispose-t-il pour sceller le sort de son pays. Cela, ne l’oublions pas, va déboucher sur une période de privation, de moyen-âge social et de désespoir qu’aucune population sur cette terre n’accepterait si la démocratie l’autoriserait encore à dire non.
Consulter le peuple sur un choix d’avenir aussi crucial, ne s’agit-il pas précisément d’un bon usage de la démocratie, même si la date de l’annonce et l’effet de surprise (délibéré, et pour embarrasser qui ?) soulève beaucoup de questions ?
▪ Les marchés n’y vont pas par quatre chemins et rejettent aussi bien le principe que le timing.
Ils ne considèrent que le scénario catastrophe d’une Grèce privée de majorité d’ici 72 heures, devenant ingouvernable et sombrant dans le chaos social. Cela déboucherait mécaniquement sur une faillite : mise en échec des accords de Bruxelles et risque de contagion de la crise des dettes souveraines à l’Italie, où les taux à 10 ans ont franchi le cap des 6,3% mardi.
Il est à peu près certain que Christine Lagarde, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy tentent encore — au moment où vous lisez ce paragraphe — de dissuader M. Papandreou de mener à bien son « projet fou » de vote de confiance et de référendum. Cependant, le communiqué publié mardi soir vers 21h50 démontre qu’il n’a pas l’intention de faire machine arrière et assume par avance les règles du jeu démocratique qui peuvent le mener à une démission à la veille du G20.
Voilà le genre de cadeau d’adieu dont les participants au sommet de Cannes — et son hôte, Nicolas Sarkozy — se passeraient volontiers.
▪ Wall Street tente de prendre la mesure des incertitudes immenses qui pèsent une fois de plus (une fois de trop ?) sur la Zone euro. Elles se sont traduites par une envolée du VIX de 18%, à 35,25, contre un score de 25 48 heures auparavant — soit une envolée de 40% depuis la veille du week-end.
Les risques pour la cohésion de la Zone euro et la croissance mondiale sont bien réels selon Fitch. Par ailleurs, la faillite de la Grèce serait un indiscutable « évènement de crédit » pour l’ensemble des agences de notation, ce qui entraînerait le déclenchement automatique des CDS.
Ce serait la pire des hypothèses pour le secteur bancaire, déjà assommé la veille par la faillite de MF Global… laquelle pourrait en précéder de nombreuses autres.
Nous pouvons parier que la thématique des nationalisations ne va pas tarder à revenir sur le devant de la scène économique… ainsi que celle des Eurobonds dont l’Allemagne ne veut toujours pas entendre parler.
Mais nous faisons le pari qu’elle pourrait changer d’avis si la Grèce décidait de s’exclure de la Zone euro… bien convaincue que l’Allemagne a tout fait pour l’acculer à cette solution !
Le sommet de Cannes va-t-il ouvrir les yeux de ceux qui croient encore à l’irréversibilité des traités mais également de la construction européenne ?