▪ Ha, ha, ha, ha, ha, ha… Nous mettons deux fois la dose habituelle de rires sardoniques mais le marché les vaut largement.
Nous nous étions délecté avec le scénario incompréhensible des plongeons de fin de séance vendredi en Europe et à Wall Street. Nous pensions que les GM du marché (les Grands Manipulateurs) s’étaient fait un petit plaisir en prenant à contrepied un consensus haussier à 90% à la veille du week-end (les indices américains clôturant positifs 19 fois sur 21)… mais nous nous trompions.
Ils ont récidivé et mis une triple dose aux day traders. C’est du brutal, du vicelard, du « qui dégoûte de la bourse ».
Pour ceux qui n’auraient pas suivi les précédents épisodes, nous rappelons que les marchés sont assimilables à une table de poker. La Fed y distribue les cartes et approvisionne ses complices — ses actionnaires — en (faux) jetons de façon quasi-illimitée.
Les chances de gain de ceux qui ne font pas partie du cercle des initiés/renfloués sont très voisines des taux d’intérêt américains… c’est-à-dire de zéro.
Plumer les pigeons est d’une facilité déconcertante depuis la mise en place du QE3. Toutefois, mieux vaut le faire de façon discrète afin de ne pas trop alerter les joueurs qui espèrent encore se refaire… convaincus qu’ils sont juste victimes d’un manque de bol passager.
▪ Le croupier truque la partie
Pour les remettre en confiance et les inciter à miser un peu plus que la « blinde » minimum, les vendeurs se voyaient servir une paire d’as lundi à l’ouverture : un nouveau plongeon de 3,7% à Tokyo et un recul du PMI chinois — de 50,4 vers 49,2, un ralentissement beaucoup plus sévère que prévu selon l’estimation d’HSBC.
Comme certains se montraient encore méfiants, le croupier retournait un troisième as avec une tension des taux longs en Espagne, qui passaient de 4,38% à 4,50%. Parallèlement, les BTP italiens affichaient 4,16% contre 4,13% vendredi soir.
Avec cette main en or (un brelan d’as, l’antichambre du carré magique), il n’y avait plus de raison de faire preuve de retenue. Le CAC 40 n’a donc pas tardé à chuter de 1,3% pour inscrire un plancher de 3 890 points — soit un plus bas depuis le 6 mai dernier. Dans le même temps, l’Euro-Stoxx 50 dévissait de 40 points (-1,4%) jusque sur 2 730 points.
Bien entendu, comme à chaque fois que les vendeurs ont cru pouvoir dominer la partie, le croupier n’a retourné un as de carreau — puis un valet et un 10 — que pour compléter la quinte flush (cinq cartes de la même couleur qui se suivent : la seule combinaison imbattable au poker) de ses complices.
▪ Du grand art !
Il ainsi fallu à peine trois heures au CAC 40 pour repasser de 3 889 à 3 979. Ces 90 points de hausse étaient sortis de nulle part puisque le léger rebond des PMI manufacturiers en Europe (de 47,8 vers 48,3) était contrebalancé par l’effondrement des immatriculations de véhicules neufs (-10,3% en France en rythme annuel) au mois de mai.
Dès que le CAC 40 a retracé à 12h59 (l’heure de l’ouverture des grands journaux télévisés du matin aux Etats-Unis, ceux qui évoquent la tendance en Asie et en Europe) le seuil des 3 980 contre lequel il avait ricoché vendredi soir vers 17h15, l’indice a commencé à se dégonfler pour reperdre 0,75% deux heures et demi plus tard : du grand art !
Après avoir rassuré le bon peuple américain en faisant étalage de scores voisins de +0,7% en Europe, malgré la dégringolade de plus de 500 points de l’indice Nikkei (qui clôturait au plus bas du jour à 13 261 points)… les GM ont attendu que les vendeurs de la matinée aient achevé de se faire hara kiri au plus haut du jour pour faire rechuter les indices. Au final, le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 font jeu égal autour de -0,7%.
Cela peut vous apparaître machiavélique… Mais si vous décortiquez tous les mouvements de cours depuis vendredi 17h et que vous essayez de les rapprocher du fil de l’actualité économique ou politique, le marché est totalement incompréhensible.
Si vous ne vous intéressez qu’aux consensus de court terme et aux positions ouvertes en intraday, et que vous postulez que le jeu consiste à les prendre à contrepied… alors tout devient aussi limpide qu’une partie de poker truquée, lorsque qu’un « affranchi » vous met dans la combine.
▪ Côté statistiques…
En ce qui concerne les statistiques économiques du jour, certains bisounours vous expliqueront qu’il y avait de quoi y perdre son latin.
En effet, le PMI de Chicago (activité industrielle dans la région des Grands Lacs) avait enregistré une hausse fulgurante vendredi : +9,7 points entre 49 et 58,7. Mais dans le même temps, l’ISM manufacturier (activité industrielle au niveau national) a rechuté de 50,6 vers 49 (contraction), alors que le consensus tablait sur un score de 51.
Une reprise est loin d’être assurée aux Etats-Unis d’ici la fin du premier semestre !
En Europe, prévoyez encore six mois de marasme et de grisaille économique — à croire que la météo pourrie du printemps 2013 déteint sur la croissance. Mario Draghi a déclaré ce week-end qu’il pensait possible — et donc non certaine — une reprise « très graduelle » (comprendre infinitésimale ?) de l’activité avant la fin de l’année (ça nous mène à la mi-décembre ?).
Le patron de la BCE ne prend pas de risques. La consommation repart toujours un peu avant les fêtes et il est encore possible de bidouiller les estimations économiques dans le sens « qui va bien » jusqu’à Noël… puisqu’on pourra toujours les réviser à la baisse en janvier, quand tout le monde aura digéré la dinde.
Le problème, c’est que la bulle obligataire aura peut-être choisi d’exploser avant que la Fed et la BCE aient eu le temps de rédiger la prochaine liste de pieux mensonges destinés à nous rassurer avant de perdre un peu les marchés de vue cet été.