L’euro est l’un des grands perdants de la guerre des devises qui fait rage depuis le début de l’année. Si des théories économiques expliquent que cela profitera à nos exportations, la réalité pourrait bien s’avérer moins réjouissante.
Les mouvements sur le marché des changes sont particulièrement violents depuis le début de cette année. D’un côté, une forte tendance haussière a profité au dollar contre toutes devises. De l’autre, des devises émergentes ont aussi gagné en valeur rapidement, principalement celles qui très liées aux évolutions des prix des matières premières.
Parmi celles-ci, ce sont surtout celles des pays producteurs et exportateurs de matières premières stratégiques, comme le pétrole en particulier, qui ont beaucoup progressé. A l’inverse, assez logiquement, les devises des pays importateurs ont vécu une importante dépréciation.
Ces forts mouvements de change sont déterminés essentiellement par des facteurs psychologiques.
Déjà, l’aversion au risque, qui, à tort ou à raison, provoque un afflux de capitaux sur les actifs libellés en dollar. Mais aussi les réinvestissements massifs des revenus supplémentaires par les pays exportateurs de pétrole et de gaz naturel (hors Russie évidemment) sur des actifs libellés en dollar. Cela tend mécaniquement à provoquer une forte appréciation du dollar, les entrées de capitaux aux États-Unis n’étant pas annulées par un déficit extérieur du secteur énergétique américain (les Etats-Unis important aujourd’hui très peu d’énergie).
Les banques centrales entrent en jeu
En revanche, les fondamentaux macroéconomiques structurels n’expliquent que très peu ces mouvements. Tout au plus, il existe des phénomènes transitoires ou conjoncturels, comme les anticipations de politique monétaire. Ainsi, si l’on s’intéresse à la parité euro-dollar, des différentiels de taux courts anticipés entre le dollar et l’euro peuvent avoir un impact.
Dès lors, on peut s’interroger longtemps sur le fait de savoir si après de tels mouvements, il y a surévaluation ou sous-évaluation de telle ou telle parité de change, et donc s’il faut la corriger via des interventions des banques centrales sur le marché des changes.
En situation de forte appréciation de sa devise, une banque centrale peut émettre sa propre monnaie pour la vendre sur le marché des changes si elle la juge surévaluée (c’est ce que fit la Chine entre 2000 et 2014).
Ou, au contraire, elle peut utiliser ses réserves de change pour racheter sa propre monnaie si celle-ci est attaquée pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Ce fut par exemple le cas lors des crises du SME entre 1992 et 1995. Mais nous pouvons aussi considérer ici les interventions fréquentes de banques centrales de pays émergents pour stopper la chute inexorable de leur monnaie. Des politiques sans grand succès, comme la médiatisation des crises du peso argentin ou de la livre turque l’a montré.
Dévaluer pour plus exporter ?
Quoi qu’il en soit, cette guerre des devises implicite ou explicite selon les cas illustre ce que l’on appelle en économie un équilibre non coopératif. Elle pose trois types de problèmes que nous allons examiner dans cet article.
Le premier de ces problèmes concerne le débat sur la baisse de la valeur de la monnaie d’un pays, qui serait sensée rééquilibrer miraculeusement les comptes extérieurs. En effet, l’argument est que cette baisse de valeur la monnaie découragerait des importations devenues plus chères. En pratique, encore faut-il pouvoir y substituer de la production domestique.
Dans l’autre sens, cette dévaluation encouragerait des exportations devenues plus compétitives. Là aussi, encore faut-il être positionné sur les secteurs d’activité pour lesquels la demande étrangère est soutenue. De plus, il est essentiel que le coût du salaire réel ne progresse pas plus vite que la productivité, dans ces secteurs exposés à la concurrence internationale.
En somme, la théorie traditionnelle est souvent défiée par la réalité.
Mais il y a plus dramatique. On applique ces prétendues recettes de politique économique lorsque l’on conseille à des pays au stade de développement peu avancé des politiques de dévaluation de la monnaie nationale, destinées à soi-disant restaurer la compétitivité et l’efficacité de l’économie nationale. Peu de responsables économiques de ces pays sont en mesure, ou en capacité, ou les deux, de résister à la stupidité de ces conseils du FMI ou d’ailleurs (dont les conseillers ne sont jamais ceux qui payeront la note finale).
Deux balles dans le pied
Quand on demande à un petit pays (rien de péjoratif à cela) de dévaluer, on dit au ministre de l’Economie ou au gouverneur de la banque centrale locaux que cela va attirer des capitaux et accroître les exportations d’une part, et réduire les importations d’autre part. Pour démontrer cela, on fait tourner des modèles économétriques pour impressionner – pour ne pas dire mystifier – son auditoire.
Pourtant, pas besoin de modèles complexes pour démontrer que la dévaluation ne fait que modifier le rapport entre les prix intérieurs et les prix extérieurs. Or, côté exportations, il n’y a pas lieu de s’attendre à une amélioration, puisque les prix sont fixés hors des frontières (matières premières pour ceux qui en produisent), et puisque les marges des entreprises sont souvent trop faibles (c’est d’ailleurs même le cas de pays non émergents comme la France). Donc la sensibilité des volumes de produits exportés à leurs modifications de prix est ridicule.
Côté importations, les prix augmentent, mais on ne peut les réduire, parce qu’il faudrait produire sur place. De plus, celles-ci sont souvent le fait de la commande publique, et chacun sait que l’Etat est l’agent le moins rationnel économiquement. Ce faisant, il se moque totalement de payer plus cher ce qu’il achète.
Un peu de bon sens : l’état réel de l’économie d’un pays ne peut s’analyser au travers de statistiques et d’indicateurs auxquels l’on peut faire dire ce que l’on veut. Cet état réel ne peut être différent de la vraie économie, celle où les agents économiques cherchent à créer de vraies richesses et donc cherchent à acheter un produit ou un service bon marché et à le vendre plus cher.
Pas besoin de macroéconomie « sophistiquée » : nous réservons cela pour notre troisième problème, que nous aborderons dans la seconde partie de cet article, pour comprendre que moins vous achetez cher et plus vous vendez cher, plus vos profits seront élevés.
En pratique, sur le plan du commerce extérieur, la dévaluation que tout le monde recherche est seulement un signe d’appauvrissement : lorsqu’un pays dévalue, il va acheter plus cher tout ce qui vient de l’étranger et vendre moins cher tout ce qui repart à l’étranger.
Et nous verrons dans la suite de cet article comment les manipulations des banques centrales n’arrangent rien à l’affaire.