La Chronique Agora

Dettes souveraines : et si on oubliait un peu l’Espagne… pour s’intéresser aux Etats-Unis ?

▪ Une hausse de 3,6% et un 5 sur 5 à la hausse pour le Dow Jones, qui progressait de 0,75% vendredi… Voilà qui semblait tout simplement surnaturel, à l’issue d’une semaine où les données conjoncturelles se sont toutes avérées plus décevantes les unes que les autres (le déficit commercial américain d’avril est ressorti à 50,2 milliards de dollars contre 48 anticipés).

Le pire, c’est que tous les espoirs d’intervention des banques centrales ont été déçus mercredi et jeudi. Quant aux rumeurs d’une initiative imminente de la BCE et de la Fed qui ont circulé mardi et mercredi, elles semblaient relever de l’intox plus que l’information objective.

Vendredi, la rumeur voulait que les Européens trouvent la solution miracle pour renflouer les banques espagnoles et soutenir Madrid sans mettre le gouvernement Rajoy au garde-à-vous face à Angela Merkel.

Les Européens n’avaient pas le choix : Barack Obama les avait exhortés à prendre des mesures de toute urgence.

Et les Européens ont obtempéré. L’Etat espagnol va recevoir 100 milliards d’euros pour recapitaliser ses banques. Certains commentateurs saluent une « bonne nouvelle » qui va rassurer les investisseurs et les détenteurs de la monnaie unique. Les forums boursiers s’extasient devant les 1,2% de hausse de l’euro, à 1,2660 $ — et 200 points de mieux sur le Dow Jones en transactions électroniques lundi matin).

▪ Une goutte d’eau dans un océan de pertes
Qui pense sérieusement que ces 100 premiers milliards vont permettre aux banques ibériques de faire face aux pertes qu’elles subissent dans le secteur immobilier (prêts aux particuliers et aux promoteurs) ?

Un simple calcul très basique — et qui ne retient que des hypothèses optimistes — aboutit à un total qui donne déjà le vertige : deux millions de logements saisis et inoccupés, d’une valeur moyenne à l’achat de 150 000 euros, cela représente 300 milliards d’euros de pertes latentes.

Les chiffres qui circulent dans les milieux financiers sont beaucoup plus alarmants : 50% des prêts accordés en 2007 et 2008 sont en défaut, trois millions de logements (résidentiels ou loisir) sont vides et la moitié sont invendables car non achevés, perdus dans un quartier ou une ville fantôme.

Il faut ajouter à ce total de pertes qui flirte avec les 400 milliards d’euros l’immobilier commercial — tours de bureaux désertes, milliers d’hectares de surface commerciale sans locataires dans la périphérie des grandes villes et dans les stations balnéaires. S’ajoutent encore à cela des infrastructures collectives que les municipalités et les régions sont incapables d’amortir : que faire d’une piscine non livrée, d’un stade sans gazon, d’une station d’épuration qui ne reçoit pas une goutte d’eau ?

Tout comme pour la Grèce, nos élites adoptent la règle des 20%. Ce n’est qu’au fil du temps que la vérité sera dévoilée, 20% par 20%… jusqu’à ce que le vrai montant de la facture soit constaté, les contribuables européens apportant leur garantie à « l’insu de leur plein gré ». Car dès que l’on double ou triple les aides (ou les cadeaux aux emprunteurs), il est trop tard pour faire marche arrière… et il n’y a plus qu’à signer des chèques et encaisser les pertes.

▪ Combien de temps les marchés vont-ils saluer l’heureuse nouvelle du week-end ?
Le CAC 40 a repris 3,4% la semaine dernière (il aurait pu en reprendre 4% sans les 0,6% de repli technique ce vendredi) uniquement sur l’anticipation d’une annonce concernant l’Espagne. S’il rejoignait les 3 120 points, il renouerait en six séances seulement avec l’ex-support oblique moyen terme enfoncé le 14 mai dernier — un signal baissier majeur en direction de 2 870.

L’annonce est faite… mais nous attendons de connaître les détails techniques du règlement. Il va falloir aménager les règlements du FESF car un prêt accordé à un Etat dans l’unique but de sauver des banques en faillite, c’est interdit.

De combien ces 100 milliards d’euros (et les suivants) vont-ils alourdir le déficit de l’Espagne ? A quand le premier versement ? A quel taux va être avancé tout cet argent ?

Il va falloir que le MES se refinance lui-même sur les marchés… et donc à quel taux, sachant que les 100 milliards d’euros en question ne sont que les premiers d’une longue série ? Et pourquoi les Irlandais n’auraient-ils pas droit rétroactivement à un tel plan de faveur ? Et les Portugais, et les Chypriotes ?

Sans parler des Italiens qui n’auront bientôt plus de ces fameux « excédents primaires », avec une économie qui s’enfonce dans la récession…

▪ Et si on s’intéressait aux Etats-Unis ?
Oui, les marchés ont déjà largement « pricé » le renflouement des banques ibériques — mais pas du tout les difficultés à résoudre ces prochains mois, à commencer par cette fameuse croissance qu’il faut soutenir… sauf que les Etats n’ont plus le moindre budget pour y contribuer.

Et puis il y a les déficits américains, abyssaux et sans solution politique depuis le printemps 2011. A l’image de Barack Obama vendredi, Angela Merkel devrait à son tour — par souci de réciprocité dans le registre des « prenez vos responsabilités » — prier les membres du Congrès US de réduire dans l’urgence les déficits et de rétablir les grands équilibres budgétaires.

Le monde ne s’en porterait que mieux… c’est même Ben Bernanke qui le dit ! Sauf que le blocage sur les questions fiscales est total depuis deux ans aux Etats-Unis. Les tractations du printemps puis de l’été 2011 avait été désastreuses et s’étaient soldées par un fiasco complet.

Fitch a promis de priver les Etats-Unis de leur Triple A si cela se reproduisait cette année. Le Tea Party, allié des républicains, a déjà fait savoir qu’il ne « lâcherait rien » face aux démocrates et ferait échouer tout projet de réforme aboutissant à une hausse globale de la fiscalité (surtout des plus riches).

Comment Wall Street parvient-il, dans un tel climat, à enchaîner cinq séances de hausse consécutives et jusqu’à 4% de hausse hebdomadaire pour le Nasdaq alors que la toile de fond conjoncturelle et politique plaide pour une poursuite de la consolidation (la Chine annonçait samedi des ventes de détail et une production industrielle inférieures aux prévisions en mai) ?

D’après certains spécialistes des marchés dérivés, c’est justement parce que tous les opérateurs dotés d’un bon sens « dans la juste moyenne » ne voient que des raisons — et elles sont innombrables — de vendre le marché.

▪ Un coup de poker pour les marchés
C’est quand apparaît un consensus aussi univoque qu’il y a des fortunes à faire en « faisant perdre la tête » aux vendeurs : ils ne comprennent pas pourquoi les cours remontent mais se retrouvent contraints de solder leurs positions quand les pertes potentielles deviennent trop importantes.

Ils ont raison sur le fond… mais pas les nerfs assez solides pour tolérer de lourdes pertes sur des marchés volatils où les appels de marge font mal au portefeuille. La frontière entre un rebond technique spontané dans un climat de survente et un mouvement haussier totalement artificiel (et parfaitement orchestré) est assez ténue !

Cela ressemble à un gigantesque coup de poker : les vendeurs ont de très loin la meilleure main — le problème c’est qu’ils trouvent en face d’eux des joueurs beaucoup plus riches qu’eux. Ces derniers font rapidement grimper les enchères au-delà de la valeur des jetons de leurs adversaires, sans même détenir ne serait-ce qu’une paire de deux.

Mais ils se comportent dès le départ comme s’ils possédaient une paire d’as, et si aucun as ne sort, ils doublent la mise comme si les trois trèfles sur le tapis leur procuraient en fait une couleur. Face à une telle hypothèse, tout le monde se couche… alors que leur main ne comportait dès le départ qu’un 10 de pique et un 7 de carreau.

C’est cela, la bourse de l’après-Lehman : une série de coups de bluff et de « flash krach », à la hausse comme à la baisse, qui mettent les adversaires psychologiquement K.O. alors qu’il n’y a aucune raison de douter de la valeur des cartes qu’ils ont entre leurs mains.

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