La Chronique Agora

On ne ramasse pas un couteau qui tombe ni des dettes coupantes comme des rasoirs

Nous avons vu beaucoup de coups de pouce opportuns propulser les indices boursiers vers des sommets de séance (ou annuels) à quelques secondes de la clôture depuis le 16 novembre dernier. Mais c’est bien la première fois en 11 semaines que nous les voyons être victimes d’un croche-pied en traître à quelques mètres de la ligne d’arrivée.

Le CAC 40 par exemple a subi un décrochage de 0,3% au moment du fixing de clôture. Il a chuté de 3 746 vers 3 732,6 points, c’est-à-dire à cinq points des plus bas du jour sans explication que l’on puisse relier à une actualité de dernière minute.

Le repli final de 0,87% n’est peut-être pas spectaculaire, mais il a ramené l’indice parisien à un niveau équivalent à celui de la clôture du 2 janvier (3 733 points). Quatre semaines de hausse viennent d’être effacées en 48 heures, le bilan du mois de janvier s’établit à 2,5% pour Paris contre 5% à Wall Street.

▪ Les indices américains toujours en apesanteur
Les indices américains n’étaient absolument pas en cause, puisqu’aussi bien à 17h30 que jusque vers la mi-séance, les indices affichaient une parfaite stabilité — le Nasdaq gagnait d’ailleurs 0,15%.

Si l’on s’intéressait à l’indice le plus large — le Russell 2000 –, c’était du vert vif avec 0,6% à 902 points (le record historique absolu datait de lundi, à 907 points).

Il n’était d’ailleurs pas difficile de trouver un prétexte pour soutenir les marchés américains en ce dernier jour du mois ! Les opérateurs pouvaient légitimement se réjouir de la hausse de l’indice PMI de Chicago qui grimpe à 55,6 contre 50 pour le mois de janvier 2013 — le consensus tablait sur 51.

Ils avaient découvert 90 minutes plus tôt une envolée exceptionnelle de 2,6% des revenus (la plus forte en un mois depuis près de 10 ans).

Mais cela provient du versement d’une avalanche de dividendes exceptionnels versés par les entreprises en prévision du changement de fiscalité sur les revenus de valeurs mobilières.

Il ne faut pas perdre de vue que ces dividendes sont allés gonfler prioritairement les revenus des 5% d’Américains qui possèdent 80% des actions aux Etats-Unis (comme nous l’expliquions dans notre Chronique d’hier).

Il convient donc de relativiser cet apparent enrichissement des Américains : il ne concerne au mieux que les 20% des plus fortunés et des mieux lotis en termes de portefeuille boursier et de participation aux profits de leur entreprise.

Pour les 80% restants, la hausse des actions améliore leur quotidien à peu près autant que la flambée de la cote des peintres de l’école de Pont-Aven (dont Gauguin fut l’un des plus illustres représentants) ou des néo-réalistes allemands.

Pour les 98% d’Américains qui se considèrent comme des citoyens ordinaires, le principal souci demeure la santé du marché de l’emploi. Et là, mauvaise surprise en cette fin janvier avec une brutale remontée du nombre de chômeurs en données hebdomadaires. Leur nombre progresse de 38 000 à 368 000, ce qui efface pratiquement toute l’embellie constatée depuis le début de l’année — de mauvais augure avant la publication des chiffres de l’emploi ce vendredi.

▪ La consommation allemande fait grise mine
En Europe, les Allemands sont peut-être très fiers de leur balance commerciale excédentaire et de la contraction des déficits (qui fait pâlir d’envie les pays du sud)… mais le quotidien manque un peu de fun outre-Rhin !

La consommation a plongé de 1,7% en décembre (ce furent les fêtes les plus moroses depuis 10 ans) et elle s’effondre de 4,7% sur l’année tandis. Pendant ce temps, le taux de chômage en « données brutes » a rebondi de 0,7% à 7,4% en décembre — même si après « retraitement », il ressort inchangé.

Voilà des chiffres de nature à relativiser le rôle de locomotive de l’Allemagne en 2013, même si Angela Merkel a habilement planifié la distribution de cadeaux électoraux (baisses d’impôts, incitations à l’augmentation des salaires) en vue de se ménager les bonnes grâces des électeurs pour le scrutin législatif de l’automne.

Mais comme continuent de nous l’écrire quelques lecteurs, les marchés se moquent bien des doutes et de la morosité d’une écrasante majorité de citoyens aux Etats-Unis et en Europe puisque les marchés sont « gouvernés par les flux ». Comprenez la fausse monnaie imprimée par les banques centrales… mais ce petit détail nous avait peut-être échappé.

Ces flux sont si abondants (sauf dans l’économie réelle bien entendu) que les taux vont demeurer éternellement bas (disons durant encore 18 à 24 mois pour une majorité d’économistes). Cela va déboucher sur une Grande Rotation des produits obligataires en faveur des actions en Europe.

Ce phénomène a déjà eu lieu il y a trois ans aux Etats-Unis. Facile, la Fed rachetait tout, et le faisait savoir.

C’est ainsi que Bill Gross, le patron de PIMCO — le plus grand fonds obligataire de la planète — a pu se vanter de s’être s’est débarrassé jusqu’au dernier de tous les bons du Trésor US sans que cela affecte le moins du monde le rendement de la dette américaine.

▪ Qui peut jouer le rôle de la Fed au sein de la Zone euro ?
Si nos institutionnels implantés en Zone euro vendent massivement (à la PIMCO) leurs Bunds et leurs OAT (pour acheter des actions évidemment !), qui va jouer le rôle de la Fed de ce côté-ci de l’Atlantique ?

Qui va racheter toutes les dettes se présentant sur le marché, empêchant ainsi les rendements de se tendre ?

Certainement pas la BCE dont le bilan (c’est-à-dire l’exposition sur les dettes souveraines européennes et notamment les pays du sud) est déjà supérieur à celui de la Fed sur les T-Bonds et les MBS.

Alors, quel investisseur providentiel (et pas trop regardant) va se dévouer pour cette noble cause ?

▪ Chypre risque de couler
Les Russes… qui ont déjà volé au secours de Chypre — ce qui alimente le fort soupçon de blanchiment d’argent à grande échelle ?

Car la question reste en suspens depuis juillet dernier. Que va-t-il se passer pour Chypre qui a besoin de 17,5 à 19 milliards d’euros pour éviter l’effondrement total de son système bancaire et de son économie ?

Le dossier apparaît tellement désespéré que même le FMI refuse de participer à un plan de sauvetage, les probabilités de remboursement lui apparaissant trop faibles… même avec une cure d’austérité « à la grecque » durant la prochaine décennie.

Et l’Espagne dont les taux longs sont retombés de 7,5% vers 5,2%, est-elle tirée d’affaire avec ses 350 à 400 milliards de créances douteuses non provisionnées ?

C’est facile de proposer des scénarios miracles et tellement évidents, sans réfléchir un seul instant aux conditions qui les rendraient possible.

Que se passera-t-il si nos centaines de gérants — qui récitent en coeur leur couplet sur le Grande Rotation — se mettent effectivement à vendre leurs stocks d’OAT, de Bunds en face de… personne ?

Parce que de la même façon que personne ne vend des actions qui n’arrêtent plus de grimper, qui irait acheter des emprunts qui ne peuvent que baisser tant la stratégie des vendeurs est de notoriété publique ?

On ne rattrape pas un couteau qui tombe… et encore moins des dettes souveraines devenues coupantes comme des rasoirs.

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