La Chronique Agora

Dette nationale et sacrifice au dieu soleil

▪ "Sommes-nous les derniers au monde à faire ça ?" avons-nous demandé à Sergio.

"Parmi les derniers" a-t-il répondu.

Marta, notre cuisinière et intendante, une jeune femme d’une vingtaine d’années au tempérament enjoué, était en train de verser du soda orange dans la bouche d’un veau. Ce dernier n’avait pas son mot à dire. Il était au sol, attaché. Son oreille droite avait déjà été coupée. Un "B" était marqué sur son arrière-train. Et un collier de pompons rouges et oranges était passé autour de son cou.

Le pauvre animal ne se rendait pas compte qu’il représentait la belle jeune fille sans défense de la marcada — le marquage du bétail : une offrande au dieu soleil.

A La Chronique, nous privilégions les causes perdues, les perdants et les marginaux. C’est peut-être ce qui nous a attiré dans cet endroit. Il est au bout du chemin. C’est là que les ancêtres de Marta — s’ils ont survécu — ont résisté aux conquistadors espagnols pendant encore un siècle après que le reste de la région eut abandonné. Aujourd’hui, c’est là que les vieilles coutumes et traditions perdurent.

Mais parlons d’un monde plus familier… le monde de l’argent. Nous reviendrons au ranch dans une minute.

Le Dow a du mal à reprendre du terrain. L’or reste au-dessus des 1 200 $. Il faut vous attendre à plus de rebondissements dans le futur. Les indices pourraient perdre 1 000 points… ou 2 000… en une seule journée.

Nous sommes d’avis que la panique et le chaos qui s’ensuivront seront pires qu’en 2008

Lorsque ça arrivera, nous sommes d’avis que la panique et le chaos qui s’ensuivront seront pires qu’en 2008.

D’abord parce que la dette est plus élevée aujourd’hui qu’à l’époque. Il y a six ans, la dette "nationale" américaine ne dépassait pas les 10 000 milliards de dollars. Elle est désormais aux environs de 18 000 milliards. Il en va de même pour la dette totale. De 50 000 milliards en 2007, elle frôle désormais les 60 000 milliards.

Il y avait certes plus de dettes hypothécaires subprime en 2007, mais nous avons désormais de la dette automobile subprime, de la dette étudiante subprime, de la dette gouvernementale subprime ainsi que de la dette d’entreprise subprime.

La crise de 2008 arrivait au plus haut d’un boom. Nous sommes aujourd’hui très loin d’une telle situation. Les gens épargnent leur argent, ils ne le dépensent pas. La Chine ralentit au lieu d’accélérer. Le commerce mondial décline au lieu d’augmenter. La vélocité de la monnaie — un indicateur clé qu’un boom est en cours — a commencé à chuter en 2007 et continue aujourd’hui.

Ces choses signifient que lorsque le krach arrivera, l’économie sera moins résistante. Déjà faible, elle s’enfoncera plus encore. Que fera la Fed ? Aura-t-elle le choix ? Ne sera-t-elle pas forcée de réagir de manière énergique et agressive ? Les réponses arrivent bientôt…

… Mais pour l’instant, retournons au ranch.

▪ Fête inca et descendants espagnols
"J’ai toujours entendu dire que c’était une fête inca. Une célébration de la moisson", déclara Sergio. "Mais ça n’a peut-être rien à voir avec les Incas. Peut-être que c’est uniquement les tribus locales qui le fêtaient".

Sergio assure le lien entre le ranch et le reste du monde. C’est-à-dire le monde qui se trouve à cinq heures de route de là, dans la ville de Salta. Sergio vit à Salta et rend visite au ranch une fois par semaine pour s’assurer qu’il y a tout ce qu’il faut. Ce n’est pas un "local".

La tribu locale était celle des Gualfines. Ils vivaient dans les collines et vallées de ce qui est aujourd’hui le ranch appelé Gualfin. Les habitants actuels des collines et les vallées en sont-ils les descendants ? Voilà qui est sujet à débat. Les locaux d’ascendance indienne disent que oui. Les gens comme Sergio, d’ascendance espagnole, disent "non, nous avons exterminé les Indiens qui étaient là au 16ème siècle".

Quoi qu’il en soit, les autochtones d’origine ont laissé de nombreuses traces. Des terrasses de pierre indiquent les lieux où ils vivaient et cultivaient leurs terres. Des poteries — richement ornées — montrent qu’ils étaient à peu près aussi avancés technologiquement que la Grèce en 5 000 av. J.C.

Les grecs avaient leurs dieux. Les Gualfines avaient les leurs. Et c’est à leur dieu du soleil que nous offrions nos jeunes génisses.

La nuit précédente, Jorge, notre contremaître, avait tout planifié

La nuit précédente, Jorge, notre contremaître, avait tout planifié. Il savait que nous voulions aider à rassembler les bêtes. Il savait aussi qu’en tant que cow-boy, nous ne valons rien. Il nous a donc demandé de l’attendre au milieu de la prairie. Ainsi, nous aiderions à conduire le bétail depuis le réservoir d’eau jusqu’à l’enclos près de la maison.

D’une manière ou d’une autre, nous avons manqué le rendez-vous. Le troupeau nous a dépassé du côté nord de la vallée. Les distances sont si considérables que nous ne les avons ni vus ni entendus. Dans la mesure où il a plu récemment, il n’y avait pas non plus de nuage de poussière pour nous alerter du mouvement des bêtes.

Ce n’est que lorsque Pablo est venu en galopant vers nous… avec son béret rouge et son cheval péruvien, ressemblant à un personnage de roman à l’eau de rose… que nous avons réalisé que nous avions manqué le coche.

Nous avons galopé pour tenter de le rattraper, et nous n’avons pas tardé à retrouver le troupeau avec les autres cow-boys.

▪ "Aiiihuu"… "Yip, yip, yip"… "Vaca !"
L’idée était de hurler pour faire bouger le bétail. Cela ne semblait pas nécessaire : avec nous se trouvaient cinq ou six chiens qui aboyaient et mordaient les vaches aux jarrets. Le troupeau n’avait pas besoin d’autre motivation. Les veaux galopaient pour s’éloigner des chiens. Et les vaches galopaient pour protéger leurs veaux.

De temps en temps, une bête ou deux essayait de s’échapper. Elles remarquaient une zone sans protection et se ruaient vers la liberté. Ces tentatives d’indépendance étaient immédiatement punies par les chiens, qui contre-attaquaient sans attendre. Y sont-ils entraînés ou le font-ils instinctivement, nous n’en savons rien. Mais ils se précipitaient sur la fugitive et l’attaquaient si furieusement que le pauvre animal ne tardait pas à regretter sa décision, et choisissait de limiter les dégâts en revenant dans le troupeau.

Les veaux et les vaches étaient en forme. Les pluies tardives ont maintenu les pâturages pendant plus longtemps qu’à l’accoutumée. Les animaux étaient dodus.

L’un des petits veaux, cependant, avait la croupe en sang.

"Qu’est-ce qui ne va pas chez celui-ci ?" avons-nous demandé à Jorge.

"Oh… il a été attaqué par un condor. Quand ils sont tout jeunes comme ça, les condors essaient de leur arracher les yeux ou les entrailles. Cela arrive plus souvent dans les montagnes, mais ça peut se produire par ici aussi. Je vais lui mettre du désinfectant, peut-être qu’il survivra".

Le rassemblement s’est déroulé sans souci — du moins jusqu’à ce que l’un des taureaux s’échappe

Le rassemblement s’est déroulé sans souci — du moins jusqu’à ce que l’un des taureaux s’échappe dans le secteur que nous étions censé surveiller. Il a simplement quitté le troupeau et couru le long de la rivière, en direction des collines. Il était de notre responsabilité de l’arrêter. Nous sommes parti au galop, hurlant après lui pour qu’il change de cap. Mais l’énorme bête ne donnait pas signe d’obéir. C’est probablement à ce moment-là que nous sommes allé trop loin. Nous voulions essayer de le frapper avec le bout de notre bride, que nous utilisions comme fouet. Peut-être nous sommes-nous trop penché… le poussant peut-être à attaquer. La cause et l’effet tendent à se brouiller, quand on est en train de tomber d’un cheval au galop.

La selle devait être mal serrée. Elle glissa sous le ventre du cheval. Plutôt que de chevaucher la tête en bas, votre correspondant décida de se jeter dans le lit de la rivière, visant le sable plutôt que le rocher.

En l’occurrence, le sable a amorti notre chute ; nous nous sommes rapidement relevé, espérant que les cow-boy nous reconnaîtraient au moins le mérite de ne pas nous être brisé le cou.

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