▪ « Nous ne sommes pas sortis de la crise ».Voilà, c’est dit, sans fioritures, sans précautions oratoires, sans le moindre second degré… Et comme vous le supposez maintenant, cela ne sort pas de la plume d’un des rédacteurs des Publications Agora — mais bien d’un discours prononcé ce week-end par Jean-Claude Trichet, invité aux Etats-Unis par Ben Bernanke et ses acolytes.
Qu’est-ce qui peut pousser l’ex-patron de la Banque centrale européenne à contredire son successeur… et surtout sa nouvelle cour d’admirateurs qui ne savent comment le féliciter d’avoir créé informatiquement 1 000 milliards d’euros sous forme de prêts à trois ans pour repousser les problèmes du moment au printemps 2015.
Toutes les liquidités du monde ne sauraient cependant re-solvabiliser l’Espagne. Son déficit 2011 s’est élevé officiellement à 8,51%, contre 6% annoncés dans un premier temps, tandis que celui de 2012 est fixé à 5,3% après d’âpres négociations avec Bruxelles. Le retour à 3% promis pour 2013 est jugé totalement irréaliste compte tenu de la violence de la récession qui va frapper le pays cette année.
Inigo Mendez de Vigo, le ministre des Finances ibérique, a déclaré « nous allons le faire », devant un parterre d’économistes complètement sceptiques lors d’une réunion qui se tenait en Finlande ce week-end.
Les marchés manifestent également quelques doutes. Les taux longs espagnols à 10 ans se sont retendus jusque vers 5,5% la semaine dernière, passant largement devant les taux longs italiens qui repassent eux aussi au-dessus de la barre technique des 5%.
▪ Il n’y a pas que l’Espagne !
Mais les créances douteuses… l’Espagne n’en a pas l’exclusivité. La commission bancaire chinoise a en effet averti les banques commerciales que le risque lié aux prêts consentis aux gouvernements régionaux l’an passé (1 800 milliards de yuans, soit l’équivalent de 200 milliards d’euros) a été sous-estimé. Par ailleurs, une partie significative de l’encours (de 15% à 25% selon les régions) serait irrécouvrable.
Les gouvernements régionaux chinois ont beaucoup emprunté aux banques en 2009 et 2010 pour financer des grands travaux destinés à stimuler la croissance.
Le problème ne date pas d’hier : les Jeux olympiques de 2008 ont suscité de lourds investissements, et Pékin estimait fin 2011 que l’encours total des emprunts régionaux s’élevait à 11 000 milliards de yuans — soit 1 250 milliards d’euros.
Les analystes occidentaux pensent que 20% au moins de ces créances (soit 250 milliards d’euros) seraient en situation de défaut de paiement avéré.
Ajoutez à ce montant, comparable au volume de la dette grecque après restructuration, les prêts aux entreprises aujourd’hui déficitaires pour cause de surcapacité de production. Il faut également compter avec les prêts aux promoteurs immobiliers : des millions de logements construits ou en cours d’achèvement restent invendus, du fait de restrictions visant à contrer les achats spéculatifs des classes les plus aisées dans les plus grandes métropoles du pays.
Nous en sommes réduits au petit jeu des suppositions mais si les banques chinoises supportent l’équivalent de 500 milliards d’euros de créances douteuses, elles s’en tirent très bien.
▪ Côté marché américain, en revanche, tout va bien
Toutes ces inquiétudes n’ont pas trouvé le moindre écho à Wall Street vendredi soir, pas plus que les chiffres décevants publiés en Europe comme aux Etats-Unis depuis mercredi dernier.
Indifférents à la consolidation initiale des indices du Vieux Continent (Paris ou Francfort perdaient plus de 1% peu après l’ouverture de Wall Street), le Dow Jones et le S&P 500 se sont redressés entre 15h30 et 17h. Ils se sont ensuite stabilisés durant plus de quatre heures, comme si les opérateurs avaient pris leur après-midi pour aller faire un golf.
Les indices américains ont progressé de 0,3% en moyenne vendredi soir ; cela réduit leur repli hebdomadaire à -1% en moyenne, quand l’Euro-Stoxx 50 chute de plus de 3%. Le S&P 500 a renoué avec les 1 400 points, le Nasdaq a grappillé 0,15%.
Ces gains sont difficiles à relier aux derniers chiffres de la semaine, tombés vendredi à 15h aux Etats-Unis. Ils constituent une ultime déception, avec un recul de 1,6% des ventes de logements neufs (le consensus tablait sur une hausse symétrique), malgré des conditions météo très clémentes et un mois de février comptant 29 jours.
La confiance affichée par Wall Street reste inoxydable… Peu importe que le pétrole ait repris 1,6% pour finir la semaine au-dessus des 107 $ à New York.
Ce genre de comportement anachronique des indices américains — quand tout plaide pour leur repli — fleure bon le QE3 (planche à billets). Quand ça va mal, comptez sur la Fed pour que ça aille mieux… et allez vite faire un plein d’essence !