Nicolas Perrin
La réforme de 1973 concernant les modalités de financement de l’Etat français lorsqu’il ne souhaite pas immédiatement lever des impôts est vue d’un très mauvais oeil.
Les amateurs de complot y voient une manoeuvre de la banque Rothschild qui s’assurerait ainsi d’énormes profits sur le dos de notre pauvre petite République innocente et confrontée de force au terrible monde de la finance.
D’autres y voient la griffe d’un ultralibéralisme sauvage, arrachant notre pauvre petite République des bras d’un amant bon, généreux et désintéressé, le gouverneur de la Banque de France.
La désinformation sur ce sujet abonde. Un ami m’a envoyé le lien vers la page Wikipédia consacrée à la Banque de France et le paragraphe traitant de « La réforme de 1973 : refonte des statuts (loi no 73-7 du 3 janvier 1973) ».
En voici le contenu sous forme de capture d’écran car, comme dit l’autre, « il faut le voir pour le croire » :
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Wikipédia étant le septième site le plus consulté au monde, il me semble que des commentaires sur ce texte présentant des biais flagrants sont utiles.
Un texte d’amateur
Les articles de la loi ne « stipulent » pas, ils « disposent ». Seul le contrat engage deux ou plusieurs parties qui se promettent (stipulo en latin signifie promettre par stipulation, c’est-à-dire oralement) de faire ou de ne pas faire quelque chose ; pas la loi.
Les Inconnus ont montré dans le film Les Trois Frères qu’ils maitrisent ce niveau de vocabulaire juridique. N’est-on pas censé pouvoir en attendre au moins autant d’un contributeur Wikipédia ? Cet extrait n’a pas pu être rédigé par un juriste, à moins qu’il ne s’agisse de Jean Sarkozy.
Complotisme et compagnie
« En pratique, cela signifie qu’on oblige la République à emprunter sur les marchés à obligation contre taux d’intérêt ». Difficile de faire plus orienté, comme formule, chaque terme étant discutable. Quelles forces obscures se cachent donc derrière ce « on » ? La loi dont il est question « oblige »-t-elle illégitimement ou bien fixe-t-elle une règle de manière démocratique ?
Qu’est-ce que « la République » (qu’on s’imagine évidemment frêle et innocente) vient faire là-dedans, alors que ce sont les gouvernements qui présentent des budgets en déficit à des parlementaires qui les votent pour qu’in fine, des fonctionnaires dépensent l’argent, tout cela au nom de l’Etat ?
On aurait pu rédiger ainsi : « en pratique, cela signifie que les gouvernements sont enfin remis devant leurs responsabilités s’ils veulent dépenser plus d’argent qu’ils n’en collectent et, par conséquent, augmenter la masse d’impôts futurs ».
L’objection « oui, mais si on laisse la banque centrale imprimer, on règle le problème par l’inflation ! » ne tient pas : qu’est-ce que l’inflation, sinon un impôt qui ne dit pas son nom ?
Historiquement faux
Avec cette loi, les gouvernements ne sont pas « mis » mais « remis » devant leurs responsabilités. En France, avant la Révolution, le suzerain contractait des dettes, souvent personnelles, auprès de personnes fortunées et de banquiers privés (le marché de l’époque).
Par la suite, c’est l’Etat en tant que tel qui a financé ses déficits grâce à l’épargne privée, au moins depuis la Révolution et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale. Durant ce conflit, le marché ne suffisant pas à financer un effort de guerre colossal, la « République » ne fit pas figure d’exception.
L’après-Deuxième Guerre mondiale, qui signe l’entrée dans une économie d’endettement, voit les déficits budgétaires systématiquement monétisés. Pour reprendre les mots de Yannick Colleu, contributeur de la lettre Crises, Or & Opportunités : « l’histoire du financement de la dette publique de la France directement par la banque de France était une anomalie historique héritée de la période d’après guerre ». Point de « catastrophe » en 1973, donc.
Guillaume Nicoulaud, gestionnaire d’actifs, enseignant et blogueur libéral, a dégonflé d’autres baudruches à propos de cette loi, notamment les fausses idées suivantes :
– « Avant, l’Etat se finançait gratuitement auprès de la Banque de France mais la loi de 1973, en interdisant cette pratique, l’a obligé à avoir recours aux marchés financiers« , ici.
– « C’est par cet article que le gouvernement — Giscard, Pompidou — a interdit au Trésor d’emprunter de l’argent à la Banque de France et, partant, a créé les conditions de notre dette publique actuelle« , là.
Clairement orienté pro-étatisme
Les articles de la version française de Wikipédia sont en général orientés « étatistes » (au sens de « en faveur de l’interventionnisme étatique tous azimuts »), et ce contrairement à la version anglaise. Cet extrait en est caractéristique à l’extrême. Franchement, n’éclatez-vous pas de rire à la lecture du paragraphe suivant ?
« A partir de 1973, c’est la catastrophe car la France n’a plus sa Banque pour lui avancer de l’argent à taux zéro par le mécanisme classique du crédit. Les dettes publiques partent réellement de cette loi, une loi libérale ».
Pour le rédacteur, il n’y a donc aucun lien entre les dépenses éhontées de la classe politique et le stock de 2 100 milliards d’euros de dette étatique. Dans son esprit, l’ennemi, c’est « le libéralisme », quasi-systématiquement personnifié par un individu arborant cigare et haut de forme par la propagande étatiste, ce qui contribue à perpétuer la confusion entre libéralisme et capitalisme de connivence. N’aurait-il pas été plus raisonnable de rappeler la date du dernier budget voté en équilibre (1974) ?
Si vous avez lu l’intégralité de ce qui précède, inutile que je commente la conclusion de notre contributeur, à savoir que « la fin des 30 Glorieuses est gravé dans le marbre de la loi de 1973 ». Et non, ça n’est pas moi qui ai fait une faute de grammaire en recopiant cette phrase.
Il est affligeant que des adultes écrivant sur Wikipédia puissent croire que l’argent gratuit existe.
Meilleures salutations,
Nicolas Perrin
Pour la Chronique Agora