La désindustrialisation est un mythe. En revanche, la disparition des emplois liés à ce secteur est – comme pour l’agriculture en son temps – une réalité. La richesse d’un pays ne se mesure pas à sa population ouvrière mais à la capacité de ses habitants à découvrir de nouvelles opportunités.
Le spectre de la désindustrialisation hante les pensées des élites du monde occidental qui redoutent le déclassement au profit des pays émergents. C’est notamment dans ce contexte que Donald Trump a été élu. Le nouveau chef de l’administration américaine accuse la concurrence internationale d’avoir détruit les emplois manufacturés et les usines jadis implantées sur le sol américain. Il a promis de réagir en érigeant davantage de barrières contre la Chine et le Mexique, alors que ces pays comptent parmi les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis.
L’Europe connaît des discours similaires. L’idée que la désindustrialisation constitue un danger semble largement partagée au-delà des clivages partisans et des cercles politiques. L’industriel français Philippe Varin a d’ailleurs récemment donné une interview au Figaro à ce propos pour alerter sur le déclin du secteur secondaire en France. Il déclarait notamment qu' »une France sans usine serait une catastrophe ».
Ce discours alarmiste repose sur des définitions imprécises et des préjugés erronés. Il y a trois manières d’envisager la désindustrialisation : la baisse de la production industrielle en valeur absolue, la baisse de la part de l’industrie dans le PIB et la perte d’emplois industriels.
La baisse de la production industrielle est un mythe
L’évolution de la production industrielle a fait l’objet de nombreuses études. On peut citer celle de l’économiste Lionel Nesta qui, dans un article paru dans la revue Economie & Statistique de l’INSEE (numéro 438-440, 2010), s’est attaché à retracer cette évolution dans six pays développés.
Ces études montrent que les craintes liées à la désindustrialisation reposent sur des mythes. Tandis que cette menace est régulièrement évoquée depuis des décennies, on observe en réalité que la production industrielle ne faiblit pas. Il est donc faux de parler de « désindustrialisation » si, par ce terme, on entend une baisse continue de la valeur produite par le secteur industriel.
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Source : INSEE
Un secteur industriel effectivement plus faible en proportion du PIB
Les confusions sur la désindustrialisation proviennent sans doute du fait que le secteur industriel tient une part de plus en plus faible dans le PIB en dépit de la croissance de la richesse qu’il génère en valeur absolue.
Mais l’affaiblissement du poids du secteur industriel dans l’ensemble d’une économie ne dit rien sur sa santé. Les difficultés de la France ne doivent donc rien à cette évolution.
Lorsque l’agriculture a été mécanisée après la Seconde Guerre mondiale, des emplois ont disparu. Alors que 33% des emplois étaient agricoles en 1955, depuis 2000, ils représentent moins de 5%. Entre temps, les volumes de production, eux, ont plus que doublé (Maurice Desriers, SCEES du ministère de l’Agriculture et de la Pêche, L’agriculture française depuis cinquante ans).
Le dynamisme d’une économie s’apprécie en fonction de la capacité des populations à générer de la valeur. Or l’usine n’est pas le lieu exclusif de la création de richesses.
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Dans le cas des pays développés, le déclin de la part de l’industrie dans le PIB est simplement la conséquence du développement des services dans la plupart des économies occidentales.
Les destructions d’emplois industriels importent peu
L’inquiétude qui se dissimule derrière la notion de désindustrialisation est relative au déclin de l’emploi industriel. La diminution du nombre d’emplois industriels est pour le coup incontestable.
Mais là encore, il est incorrect d’imputer les difficultés de la France à ce phénomène. Le progrès économique a toujours consisté à détruire les emplois devenus inutiles pour les remplacer par des postes à plus haute valeur ajoutée. La sauvegarde d’emplois industriels n’est en rien une fin en soi.
Par analogie, la révolution industrielle qui s’est opérée en Europe deux siècles plus tôt a détruit beaucoup d’emplois dans l’agriculture. Mais personne ne regrette le temps où tout le monde travaillait dans les champs : la main-d’oeuvre s’est simplement spécialisée dans des tâches plus productives.
En l’espèce, la destruction d’emplois industriels s’explique parfois par des facteurs bénins : gains de productivité, automatisation, jeu des avantages comparatifs, externalisation, tertiarisation…
De la même manière que la santé économique d’un pays ne s’apprécie pas en fonction du nombre de ses usines, elle ne se détermine pas non plus en fonction du poids de sa classe ouvrière.
Vers une économie de services ?
La désindustrialisation et la prétendue menace qu’elle impliquerait sur la prospérité des populations relèvent donc de l’illusion. Ce n’est pas aux élites du monde politique ou à celles du monde des affaires de déterminer comment doit se dérouler la division du travail.
Cette appréciation doit être laissée au marché et aux préférences des millions d’entrepreneurs et de consommateurs qui le constituent. Il n’y a donc aucune raison de privilégier le secteur industriel au détriment des autres filières de l’économie.
La santé d’une économie dépend au contraire de la liberté laissée aux individus d’entreprendre dans les domaines de leur choix. L’hypothèse d’une économie française reposant exclusivement sur des services – bien qu’improbable – ne serait pas nécessairement dommageable.
Evidemment, la capacité d’entreprendre dépend également de la qualité du système éducatif pour nous permettre d’investir librement dans les compétences qui nous paraissent utiles.
Pour permettre aux gens de s’engager sur les nouvelles opportunités technologiques et commerciales, il faut donc en découdre avec un système éducatif monopolistique visiblement resté coincé à la première révolution industrielle.