La Chronique Agora

Des signes de guérison ?

** "Je crois que nous sommes plus proches de la fin [de la crise du crédit] que du début", a récemment déclaré en toute confiance Henry Paulson, secrétaire au Trésor US. La plupart des experts financiers dans et autour de New York — ou devant les caméras de télévision de CNBC — semblent être de son avis. Ces experts affirment également que le secteur financier se remet et que "le pire est passé".

– Pourtant, curieusement, le secteur financier "convalescent" ressemble énormément au secteur financier en crise l’automne dernier.

– Les revenus diminuent toujours autant, et les actifs des bilans se détériorent toujours eux aussi. Il n’est donc pas surprenant que les titans du secteur financier continuent à lever des quantités démesurées de capitaux neufs. Citigroup a obtenu à lui seul plus de 40 milliards de dollars pour jouer, tandis que la Bank of America, Merrill Lynch, Wachovia et Washington Mutual ont levé plus de 50 milliards de dollars au total.

– Ces institutions financières "convalescentes" semblent aussi pressées d’obtenir des capitaux neufs qu’elles l’étaient pendant les jours les plus noirs de la crise du crédit, à la mi-mars. Ces institutions semblent également impatientes de se débarrasser des actifs adossés aux créances hypothécaires en les donnant à leur nouvelle meilleure amie, la Réserve Fédérale. La Fed a AUGMENTE ses achats repo de titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) auprès des banques et des sociétés de courtage.

– La Fed semble avoir absorbé près de 25 milliards de dollars en titres MBS via des accords de rachat temporaires, avions-nous remarqué en octobre dernier : selon ces accords, le vendeur (en général une banque) vend des titres à un acheteur (en général la Fed) contre du liquide. Mais le vendeur (la banque) accepte de racheter les titres à l’acheteur (la Fed) à une date ultérieure. En règle générale, les banques utilisent des bons du Trésor US ou des obligations d’agences gouvernementales américaines comme nantissement. Pourtant, dernièrement, les titres adossés aux créances hypothécaires (MBS) sont devenus des nantissements de choix.

– Début 2007, la Fed se servait encore rarement des MBS comme repo. Il y avait des intervalles de plusieurs semaines entre chaque repo. Mais à l’arrivée du printemps [2007], ces opérations de rachat ont commencé à éclore les unes après les autres comme des pâquerettes dans une prairie. D’abord quelques-unes, puis plus, puis suffisamment pour absorber la totalité des titres à court terme de la banque…

– Ce nouvel intérêt que la Fed porte aux MBS contraste radicalement avec le désintérêt total des investisseurs de l’économie "réelle". Ce désintérêt de leur part n’est pas une surprise. C’est un secret de polichinelle parmi de nombreux gestionnaires de fonds de couverture : deux informations essentielles sont totalement dissimulées — jusqu’où s’étend le risque des MBS ? Qui se charge de ce risque ?

– Tant que ces questions ne recevront pas de réponses crédibles (et quantifiables), personne ne financera les entités [adossées à des actifs], hormis la Fed.

– Six mois ont passé depuis que la Fed a commencé à accélérer son activité de repo, et les détails du marché MBS sont toujours aussi troubles. Pourtant, très peu d’acheteurs privés vont financer l’achat de MBS. La Fed continue à remplir le rôle "d’acheteur de dernier recours". De fait, la Fed a augmenté ses achats de MBS. Quel spectacle surprenant dans un marché du crédit "convalescent" !

– Cette situation étonnante soulève une question évidente et préoccupante : si les marchés du crédit sont vraiment en train de se remettre, pourquoi la Fed augmente-t-elle le nombre de ses achats de capitaux hypothécaires douteux auprès des institutions financières ?

– Laissons le lecteur décider…

** Mais avant de le laisser décider, rappelons-lui que la santé du marché immobilier détermine largement la valeur des MBS que la Fed récupère sur son bilan. (Oui, nous savons. La Fed "n’achète" pas vraiment ces trucs ; elle les achète "temporairement". Mais si les MBS devaient perdre de la valeur, le temporaire pourrait devenir permanent. Pensez-y. Au beau milieu d’une crise du crédit, la Fed forcerait-elle une entreprise financière en difficulté à racheter des mauvais titres adossés aux créances hypothécaires ? Nous en doutons. Ce qui est plus probable, c’est que ces titres deviendraient la propriété de la Fed et qu’elle épongerait les pertes.) Et rappelons aussi au lecteur que la santé du marché immobilier n’est pas bonne.

– Un foyer américain sur 194, soit 650 000 propriétés, étaient en faillite au premier trimestre, selon RealtyTrac Inc. Pendant ce temps, le prix des maisons continue à chuter d’un bout à l’autre du pays. L’index du prix des maisons S&P/Case-Shiller a dégringolé de 12,7% en février d’une année à l’autre.

– Ce seraient là des signes de guérison ? Laissons le lecteur décider…

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