La Chronique Agora

Des fantasmes partout

** Les analystes ne savent pas quoi penser des marchés boursiers. Avec autant de mauvaises nouvelles, on pourrait penser que le Dow réagirait à la baisse. Mais les commentateurs, dans leur ensemble,  tirent les mauvaises conclusions : les marchés nous disent de ne pas nous inquiéter ; l’économie se remettra "au deuxième semestre".

* Nous recommandons à nos lecteurs de s’inquiéter malgré tout. Ce que nous dit le marché, selon nous, c’est qu’il est la proie de forces conflictuelles. L’inflation d’un côté… la déflation de l’autre. Aucune n’est bonne pour les prix des actions. Mais l’inflation tend à soutenir les prix nominaux… tandis que les prix réels s’effondrent. Une action Google pourrait valoir 400 $ en 2010, par exemple. Mais il pourrait en aller de même pour une crème glacée.

* Les prix des actions dans les années 70, par exemple, avaient tendance à stagner, ou chuter un peu. En termes réels, cependant, ils ont beaucoup baissé. Il semblerait que nous nous trouvions dans une situation similaire, en ce moment — plus connue sous le terme de stagflation. L’économie sombre… tandis que l’inflation fait grimper les prix à la consommation.

* "Les baisses de taux de la Fed ne marchent plus", titrait le Los Angeles Times — en d’autres termes, elles ne stimulent plus l’économie américaine. Comme le disait Paul Volcker, la Fed a perdu le contrôle de la situation. Elle baisse les taux… mais ses efforts pour provoquer la "croissance" de l’économie ne provoquent qu’une croissance des prix — pour les matières premières, l’or, et le coût de la vie.

* Notre vieil ami Rick Ackerman en fait l’analyse suivante :

* "Les incroyables manoeuvres que la Fed a faites jusqu’à présent pour redynamiser l’économie s’adressaient presque intégralement aux prêteurs institutionnels plutôt qu’aux individus (nous ignorerons la remise d’impôts de 160 milliards de dollars, dans la mesure où elle ne représente qu’une goutte d’eau par rapport à la dette totale). Résultat : il n’y a eu que peu de stimulation économique visible — simplement une accumulation de réserves dans les comptes des prêteurs, sans demande de prêt en face (en fait, la demande de prêt diminue, et diminue rapidement)".

* "Ainsi, ce que ‘Hélicoptère Ben’ semble avoir réussi à faire grâce à des mesures que même nous, nous considérons hyperinflationnistes, c’est : rien. Les banques peuvent prétendre être solvables, à condition que les commissaires aux comptes soient dans le coup. Cependant, simplement donner l’apparence de la solvabilité aux prêteurs n’a absolument rien fait pour accomplir ce que la Fed voulait faire — c’est-à-dire relancer le boom de l’immobilier. En fait, alors que les taux hypothécaires ont baissé, les prêteurs ont subi une pression énorme pour resserrer leurs critères. Résultat : à l’équilibre, la demande des acheteurs immobiliers a continué à baisser".

* Tout de même, la Fed ne se rend pas sans combattre. L’argent intelligent parie que nous verrons une nouvelle baisse des taux ce mois-ci — de 50 points de base, ce qui mettrait le taux directeur à 2,5%.

** "La fête est finie", déclare Warren Buffett. Il parlait de la fête du secteur de l’assurance, où les marges fondent. Mais il faisait peut-être également allusion à une fête bien plus grande et plus folle. Dans sa lettre annuelle aux actionnaires, il déclare que la belle époque est terminée, pour Berkshire Hathaway. Il considère que la société est désormais trop grosse pour surperformer le marché comme elle le faisait par le passé. 

* Et il avait probablement l’économie US en tête également. On a éteint les lumières et rangé les bouteilles pour le marché immobilier, par exemple. Selon Buffett, les fêtards se sont laissé emporter par "des fantasmes". Les acheteurs pensaient que les prix de l’immobilier grimperaient éternellement. Idem pour les gens qui leur ont prêté de l’argent. Puisque les prix grimperaient toujours, inutile de se faire trop de souci quant à la capacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes — on pensait qu’ils n’auraient jamais à le faire.

* Autre objet de mépris pour le Sage d’Omaha : le miroir aux alouettes des fonds de pensions et des gestionnaires d’investissement qui imaginaient pouvoir produire des revenus bien supérieurs aux probabilités.

* Bien entendu, les fantasmes ont nourri le boom tout entier. Les Américains, par exemple, vivaient au-dessus de leurs moyens et pensaient pouvoir le faire éternellement. Cela a généré une curieuse situation, dans laquelle moins de 10% de la population de la planète — les USA — dépensaient plus de 80% de l’épargne mondiale. Les étrangers épargnaient… et prêtaient leur argent aux Etats-Unis, généralement sous la forme de bons du Trésor ou d’agences gouvernementales (comme Fannie Mae). Les Américains prenaient cet argent… et le dépensaient une nouvelle fois pour acheter des choses provenant de l’étranger. Peu à peu, les étrangers ont accumulé d’énormes piles de dollars US… qu’ils ont mis en partie dans des fonds souverains.

* Buffett avait aussi son mot à dire sur ces fonds. Les fonds souverains étrangers sont très critiqués aux Etats-Unis. Mais ils ne représentent pas un moyen détourné de voler les Américains, déclare Buffett. Ils sont plutôt la conséquence logique de dépenser plus qu’on ne gagne. C’était un fantasme, là aussi : on ne peut pas donner des morceaux de papier vert aux étrangers en s’attendant à ce qu’ils ne les dépensent pas.

* Pendant ce temps, ce week-end, la presse apportait de nouvelles preuves montrant que Volcker a raison ; les baisses de taux de la Fed ne marchent pas. La BBC annonce qu’HSBC va publier une perte de 16 milliards de dollars. Et le hedge fund Peloton laisse les investisseurs avec deux milliards de dollars de pertes.

** Alan Greenspan était de retour lui aussi. Il a déclaré que les états pétroliers du Golfe devraient désolidariser leurs devises du dollar. De bons conseils pour tout le monde. Mais une affirmation un peu bizarre venant de la personne qui a plus à voir avec le déclin du dollar que tout autre être humain dans l’histoire.

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