Il y a des termes que les économistes n’emploient qu’avec des pincettes, et seulement quand il n’y a pas un politicien à proximité ! On nous a d’abord parlé de ralentissement économique, puis de crise, enfin de récession… Quel est le prochain mot sur la liste… "dépression" ?
Déprime, oui ; dépression, non
Un pays entre en récession quand il affiche deux trimestres consécutifs de décroissance. Il entre en dépression si le phénomène dure plusieurs années… Nous n’y sommes pas encore, mais la déprime actuelle des marchés boursiers, si elle perdure, pourrait bien annoncer une dépression économique. Selon certains analystes, le niveau actuel des indices "pricerait" une crise de deux ans (je ne tiens pas compte du rebond de 10% des indices hier). Rien de grave pour l’instant, pourrions-nous relativiser, en nous rappelant le marasme dans lequel se débat le Japon depuis les années 90.
On peut toutefois s’inquiéter de la tournure que prennent les choses dans les pays émergents
La Russie souffre de la baisse des cours du pétrole et du retrait des investisseurs suite à son coup de poing en Géorgie : le pays s’enfonce dans la crise. Le gouvernement brésilien vient d’annoncer que l’agriculture nationale subissait les premiers effets de la baisse de la demande mondiale et du resserrement du crédit. L’Inde pourrait moins souffrir même si elle est exposée à la conjoncture mondiale par le biais de son outsourcing et de sa position dans l’informatique.
Reste l’ombre chinoise
Ombre que l’on discerne de plus en plus mal dans cet horizon qui s’assombrit. Deux éléments sont venus confirmer l’hypothèse d’une "décélération post-olympique", que j’évoquais il y a plus d’un an.
La China Shipping Container Lines Co., deuxième compagnie de fret chinoise, anticipe une baisse du fret maritime chinois de 10% cette année. Il s’agirait du premier repli enregistré depuis plus de quatre ans… L’évolution du fret maritime est considérée, à juste titre, comme le signal avant-coureur d’un retournement de conjoncture.
Enfin, le gouvernement chinois a déclaré que la croissance du pays est passée sous les 10% en glissement annuel. Certains analystes évoquent un atterrissage en douceur de l’économie chinoise, avec une croissance autour de 8% ; d’autres, plus pessimistes, avancent 4-5%. Mais si c’était moins ?
Le ralentissement économique des pays émergents reviendrait nous frapper une deuxième fois. Le retour de bâton plongerait les économies occidentales dans une récession ressemblant de plus en plus à une dépression… On est toujours puni par là où l’on a spéculé. Quelles répercussions sur les matières premières ?
Vous le savez, cette situation est loin d’être favorable aux matières premières. Depuis un an, j’essaye d’éviter les secteurs trop sensibles au retournement économique : notamment les métaux de base et le pétrole. Rétrospectivement, il semble clair que nous étions en haut de cycle et que l’évolution des cours a dessiné une bulle spéculative.
L’explosion des BRIC est pourtant une réalité : mais l’hypothèse de croissance mondiale fulgurante qui a nourri l’engouement spéculatif sur les commos n’était pas soutenable à long terme. Nous payons aujourd’hui ces excès.
A plus court terme, la baisse est amplifiée par le retrait précipité des fonds
Ces derniers doivent faire face non seulement à leurs appels de marges, mais encore au départ de leurs investisseurs — notamment les banques — qui préfèrent la liquidité. La période est incertaine et propice au retour de la morale et de la politique dans les affaires… Les débouclages à tout prix se multiplient.
Selon une étude récente, l’encours des hedge funds a diminué de 11% au troisième trimestre, avec des retraits records avoisinant les 31 milliards de dollars. Ce phénomène, selon moi, pourrait durer jusqu’à la fin de l’année.
La hausse du dollar va se poursuivre
Enfin, et malgré la nouvelle solidarité économique et politique européenne, les cambistes continuent de parier sur l’efficacité de l’adaptabilité de l’économie américaine pour sortir de la crise. L’homme est une créature d’habitude, surtout en temps de crise… On achète donc des dollars au détriment des principales devises internationales : concernant l’euro/dollar, je pense que la parité descendra jusqu’à 1,21, soit 50% de toute la hausse. Ce qui n’est pas bon pour les matières libellées en dollars.
Le resserrement du crédit va impacter la prospection
Le tarissement du crédit va impacter les budgets de prospection des sociétés minières ou pétrolières. Le cycle classique d’ajustement devrait se mettre en place : les prix des matières premières toucheront un plancher avant de repartir dans leur tendance haussière de long terme. Sur un rythme moins élevé, mais surtout de façon plus sereine.
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au service des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières & Devises.