Il était l’un des derniers banquiers centraux partisan d’une monnaie saine et du capitalisme industriel plutôt que financier. Son départ vous concerne.
Jens Weidmann, président de la Bundesbank, la banque centrale allemande a donné sa démission. Qui peut lui en vouloir ? Moi. Certainement et fortement.
Même en partant, je considère qu’il a trahi.
Il a trahi ses idées, il a trahi le peuple allemand, il a trahi l’histoire allemande, il a trahi les traités européens, il a trahi ceux qui, en Europe, lui ont fait confiance pour résister à la dérive inflationniste voulue, sinon imposée, par les anglo-saxons.
Il a trahi le capitalisme rhénan, le capitalisme de production, il a accepté de courber l’échine devant le capitalisme d’écart, le capitalisme d’arbitrage, le capitalisme parasitaire. Le capitalisme financier, celui qui produit peu et joue beaucoup.
Quand il a démissionné, j’ai vraiment eu le sentiment d’être trahi, je le répète.
Je doute depuis longtemps de l’authenticité du courant conservateur allemand. Je doute de la réelle détermination des intellectuels allemands qui jouent aux rebellocrates.
Illusions et faux espoir
J’ai finalement accepté l’évidence : ces gens sont des alibis, des hommages du vice à la vertu, ils servent de caution à des politiques scélérates de destruction de nos sociétés.
Les rebellocrates, finalement quand on est objectif, voilà les ennemis : ils canalisent les oppositions et ils les émasculent en nous faisant vivre dans un monde d’illusions et de faux espoirs. La fonction des rebellocrates est, objectivement, de faciliter la mise en place de ce contre quoi ils font semblant de lutter.
Les rebellocrates vivent de leur statut, ils vivent dans un sale monde de drames et magouilles et de compromis alors que la situation est non pas dramatique, mais tragique.
J’aime Antigone, celle qui a la dimension tragique et résiste au pouvoir politique en s’écriant « je hais l’espoir, votre sale espoir ! »
J’avais conservé une petite estime pour Weidmann, elle vient de s’envoler.
Weidmann vient de se comporter comme un minable gauchiste au sens de Marx, et Lénine c’est à dire au sens de celui qui souffre de la maladie infantile du communisme. Il a baissé les bras et déserté.
Quand on n’est pas content, que l’on a une analyse imparable, de haut niveau, et que le combat est historique, on ne démissionne pas, on ne se suicide pas, on se bat. On meurt au front.
Sauf que, pour se battre, il faut exister, être à un poste visible, en vue, et il faut se servir de ce poste comme tribune. Une tribune dans notre société où la guerre est une guerre de la communication pour imposer sa vérité. Abandonner sa tribune, c’est fuir le champ de bataille.
Jens Weidmann a mené le bon combat. Ce fut un guerrier intellectuel supérieur, mais il fut submergé par les assauts de l’inflationnisme anglo-saxon véhiculé par les partenaires de la périphérie européenne. Weidmann, était un ancrage intellectuel, mais il n’a pas sauté le pas au point de devenir un point de ralliement ou un chef pour un combat. C’est la faiblesse des intellectuels, elle est organique cette faiblesse.
La mission du banquier central
Ce fut un homme à la stature d’homme d’Etat à une époque où il y a peu de monde pour jouer ce rôle, ou plutôt accomplir cette mission. Banquier central ce n’est pas un job. C’est autre chose, c’est bien plus que cela.
Ce fut une voix trop souvent solitaire. Peu à peu, tous les autres conservateurs allemands se sont tus, submergés par les européistes à courte vue et surtout par le business toujours avide de facilité monétaire pour doper ses ventes et ses profits.
Le départ de Weidmann signe, pour moi, la fin, la disparition du dernier partisan de ce que l’on appelait, avant, le cercle vertueux, celui de la monnaie saine, de l’investissement, de la compétitivité, de l’emploi, de la distribution de revenus.
Sous les coups de boutoir domestiques et externes en provenance des pays du sud et de Londres, l’Allemagne s’est ralliée au cercle vicieux de la facilité, de la dette et de la manipulation monétaire.
Sous cet aspect, le départ de Weidmann symbolise, signe la clôture de l’esprit nietzschéen en Allemagne. Il y a longtemps que l’Allemagne veut liquider les derniers nietzschéens et devenir conforme, esclave !
Weidmann nous laisse un monde d’absurdité monétaire. Pire : de mensonges érigés en vertu. Plus personne n’ose dire la vérité, à savoir que la monnaie actuelle est un outil de tromperie institutionnelle, un outil d’exploitation des braves gens au profit des canailles.
Le fondement du cadre analytique de Weidmann repose sur la morale : l’argent honnête. Ce qui, décliné, donne « l’argent stable ».
Draghi le voyou fossoyeur est honoré, Weidmann le saint, l’ascète, est vilipendé.
Voilà notre monde.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]