La Chronique Agora

La dégradation de l’Espagne aggrave la crise de la Zone euro

▪ Si l’inquiétude des opérateurs bat des records en ce qui concerne l’avenir de la Zone euro, personne n’ose plus prendre de paris sur l’évolution des marchés financiers au lendemain de ce week-end. Ceux qui avaient vendu le CAC 40 à 3 600 points ne se rachètent pas… Et ceux qui dressent la liste des titres affichant des « cours idiots » s’abstiennent de les ramasser, en vertu du principe qui consiste à ne pas rattraper un couteau qui tombe.

Mais ce n’est qu’une image, et le choix arbitraire du couteau fait que l’aphorisme pense « à la place » de celui qui l’entend.

Remplacez le couteau par un lingot d’or ou un vase Ming et l’image mentale se formant chez l’auditeur serait bien différente… à moins de mépriser profondément la « relique barbare » ou d’apprécier le bruit d’une porcelaine précieuse se fracassant sur un sol en marbre.

Cette image du couteau qui tombe est le plus souvent évoquée par les vendeurs à découvert qui apprécient au plus haut point son caractère auto-réalisateur. Ce n’est à la base qu’un dicton de bonne femme, à peu près aussi idiot que « neige en novembre, Noël en décembre » — mais il a valeur de formule magique dans la bouche d’un stratège travaillant pour une firme influente de Wall Street ou de la City.

Il constitue également une arme redoutable entre les mains du programmeur d’un logiciel de trading algorithmique convaincu de la pertinence de ce postulat : son robot vendra systématiquement un actif dont le prix baisse (le programmeur se fait un devoir d’ignorer pourquoi) et ramassera symétriquement celui dont le prix augmente (puisqu’il doit y avoir de bonnes raisons à cela… mais ce n’est pas de son ressort de les analyser).

Les robots, comme vous le savez, n’ont comme seule référence que le prix et rien que le prix. Les volumes d’échanges ne veulent strictement plus rien dire puisque les robots multiplient les transactions fictives et saturent les carnets d’ordres de millions de lignes d’achat ou de vente qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues.

▪ La notion d’excès est bien relative…
Les notions de survente et de surachat que nous évoquons souvent n’ont aucune valeur signifiante du point de vue du trading algorithmique. Autrement dit, il est devenu rationnel de passer à la trappe la notion d’excès… parce qu’elle relève du subjectif.

Mieux : l’excès est devenu la condition première du gain ! Un robot ne gagne pas d’argent sur un actif dont la valeur possède un caractère « évident ». En revanche, il devient une mine d’or à partir du moment où son cours se met à faire n’importe quoi.

La perte de repères, la panique ou l’euphorie maniaque sont les conditions premières du gain. Il convient donc d’identifier de telles conditions pour multiplier les trades gagnants, à raison de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’allers-retours par seconde.

Et plus de telles conditions sont nombreuses, plus le marché s’emballe pour échapper à l’entendement, plus l’investisseur doit s’en remettre à la machine… sachant qu’elle est programmée pour exploiter mais aussi pour générer de toutes pièces des niveaux de valorisation absurdes.

Pour exprimer notre point de vue très crûment : la capacité d’auto-régulation théorique du marché est l’ennemi du gain, son inefficience est la condition première des plus gros profits. La seule parade des régulateurs consiste à ralentir temporairement le rythme des échanges : c’est dire leur niveau d’impuissance face au trading algorithmique.

▪ Des marchés qui pourraient faire n’importe quoi
Nous ignorons quel sera le résultat des élections grecques du week-end mais les spécialistes de la cyber-bourse estiment que l’entame de séance de lundi constituera l’un de ces moments bénis où les cours peuvent faire n’importe quoi.

Cette conviction est si largement partagée que nous assistons à un effondrement des prises de position directionnelles depuis pratiquement un mois, ce qui induit un « effet ketchup » dont l’investisseur particulier a tout à redouter.

Les algo-traders ont déployé ces derniers jours des trésors d’ingéniosité pour que le marché parte dans tous les sens (comme lundi) pour finalement n’aller nulle part.

Nouvelle illustration ce jeudi avec le CAC 40 qui s’est éloigné de la zone de rupture des 3 000 points, testée en début de matinée, pour en terminer à l’équilibre (+0,08%). Le CAC 40 a réussi pour la deuxième séance consécutive à préserver les 3 030 points, après avoir fléchi en début de matinée jusque vers 2 995 points, ce qui a permis de refermer le gap des 2 997 points.

Aucun signal technique ne s’est matérialisé en cette veille de séance des « Quatre sorcières », qui marque d’un point de vue technique la fin du premier semestre 2012. Même si les investisseurs ont une perception instinctive très négative du marché parisien depuis un mois, la réalité, c’est que le CAC 40 n’a perdu que 1% par rapport au 15 mai dernier.

La déprime ressentie provient du constat que les séances de repli ont été bien plus nombreuses que les hausses, et du fait que de nombreuses vedettes du SBF 120 enfoncent jour après jour des planchers historiques pour atteindre des niveaux de valorisation qui n’ont aucun sens, comptable ou économique.

Beaucoup de titres sont victimes de short systématiques. Cela permet de financer symétriquement l’achat d’autres titres qui sont littéralement « hors de prix » — il est commode de prétendre qu’ils ont peu de dette ou du pricing power pour justifier des PER de 20 tandis que d’autres affichent un PER de 5.

▪ L’Espagne reste une épée de Damoclès
Les marchés auraient-ils « pricé » le pire ? Une clôture en boulet de canon de la Bourse d’Athènes (+10%) et des hausses de 1,22% à Madrid et 1,47% à Milan (malgré des taux d’intérêt à leur zénith historique) semblent indiquer que le potentiel de baisse est épuisé.

Le rebond inattendu de l’euro vers 1,2610 $ semble traduire un retour de l’appétit pour le risque… mais ce pourrait être un piège. Même en imaginant que l’extrême gauche grecque soit battue par une coalition de centre droit (comme le président français l’a souhaité publiquement), il restera l’Espagne, avec des taux qui viennent d’atteindre 7% ce matin.

Madrid continuera de susciter la méfiance des investisseurs : après Fitch et Egan Jones, Moody’s a annoncé mercredi soir la dégradation de trois crans de la note de l’Espagne. Elle passe de A3 à Baa3, et l’agence place le pays sous surveillance pour une possible dégradation future (ce qui la placerait de facto dans la catégorie junk bonds)…

Là, nous rentrons de plein pied dans la prophétie auto-réalisatrice car les gérants de fonds de retraite n’ont pas le droit de prendre le risque d’un nouvel abaissement de notation : ils doivent vendre préventivement.

Ce faisant, ils font exploser les rendements des titres dont ils se débarrassent massivement. La flambée des taux ferme les marchés à l’émetteur qui perd sa capacité à se refinancer, ce qui induit le prononcé de sa faillite imminente et déclenche le vent de panique qui scelle sa perte… alors même que sa capacité de remboursement serait suffisante en temps normal.

C’est ce genre de péril qu’il convient de prendre très au sérieux et de circonscrire par tous les moyens.

Dont acte !

▪ Les banques centrales en mode coordonné ?
Il semblerait que les banques centrales aient décidé d’allumer des contre-feux. Wall Street a en effet brusquement doublé ses gains en quelques secondes à 21h04 (de 0,6% à 1,2% en moyenne), après qu’une dépêche de Reuters, citant des sources proches du G20, ait évoqué un accord en vue d’une action coordonnée des banques centrales (Fed, BCE, Bank of England) au cas où « la situation l’exigerait ».

Un G7 extraordinaire pourrait même se tenir en marge de la réunion du G20 qui débute lundi à Los Cabos, en Basse-Californie.

Ces annonces auront-elles plus d’effet que la promesse d’un prêt de 100 milliards d’euros à l’Espagne qui n’aura euphorisé les indices boursiers que le temps pour la spéculation de démolir la dette souveraine espagnole ?

La manoeuvre a peut-être atteint son but puisque les banques centrales commencent à dévoiler leur jeu. Et c’est là que nous dégainons l’un des aphorismes préférés de Wall Street : « don’t fight the Fed » [« Ne luttez pas contre la Fed », ndlr.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile