La Chronique Agora

Des dégâts collatéraux

Les gouvernements occidentaux ont utilisé l’arme monétaire et les sanctions pour tenter de contrer la Russie et détruire son économie. Résultat ? Des secousses se font très vite ressentir dans nos économies…

A l’instar des bombes et des missiles, les sanctions (prétendument très précises) tendent à faire plus de dégâts que prévu. Nous nous intéressons aujourd’hui aux débris qui jonchent le sol, parmi lesquels figurent les valeurs boursières les plus sous-valorisées au monde.

Une victime malencontreuse : les prix de l’énergie.

Prix moyen de l’essence ordinaire par gallon (environ 3,78 l) et par Etat américain. Source : Association américaine des automobilistes

Oui, très certainement, la hausse des prix et la récession vont appauvrir des millions de gens ordinaires. Peut-être que cela en réjouira certains. Ils se réjouiront de payer l’essence plus chère. La baisse de leur pouvoir d’achat leur procurera un sentiment de fierté. Après tout, ils livrent une guerre sainte aux Russes !

Des victimes sans rapport avec l’invasion

Comme dans toute guerre, les victimes, dans leur immense majorité, ne sont pas armées et n’ont rien à voir avec l’invasion de l’Ukraine. Un article de Bloomberg explique :

« Dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions ciblent les grandes banques, les grandes entreprises et les grandes fortunes russes. Ces sanctions ont des répercussions plus larges puisqu’elles pressurisent les Russes vivant à l’étranger.

Ces expatriés n’ont pas de jets privés ou de gérants de fortune. En revanche, ils ont l’habitude d’utiliser des services de banque en ligne, de convertir leurs devises à bas coût et de jouir de biens et de services allant et venant entre le pays qui les accueille et leur pays d’origine. Avec les nouvelles sanctions, le changement de cap brutal de la politique russe et l’effondrement de la valeur du rouble, ces liens ont été rompus. »

L’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman mentionne l’article de Bloomberg :

« Marina Gretskaya est une femme russe de 32 ans qui a déménagé à Londres l’an dernier pour travailler dans les télécommunications. Elle a gardé un compte épargne en roubles auprès d’une banque russe en ligne, Tinkoff.

Il y a deux semaines, son épargne valait 7 400 $. Lorsque le rouble a perdu plus de 30% de sa valeur face au dollar, la valeur de son épargne a fondu de 2 000 $ en une journée. ‘Cela représente un mois de salaire’, déclare-t-elle. »

Une nouvelle manière de faire la guerre

Il y a plusieurs années de cela, nous prenions un malin plaisir à nous moquer des écrits de Thomas Friedman. Puis il semblait avoir disparu des journaux. Mais il a de nouveau le vent en poupe. Et force est de constater qu’il fait une remarque intéressante dans l’une de ses dernières chroniques, parue dans le New York Times. La façon dont les États-Unis mènent cette guerre est nouvelle et dangereuse.

En revanche, s’il est une chose qui n’est pas nouvelle dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, c’est la façon dont le secteur privé se rallie à la grande cause. Les bien-pensants veulent donner l’impression qu’ils œuvrent pour le bien, sans avoir la moindre idée des conséquences de leurs agissements.

Est-ce vraiment une bonne idée de fournir des armes aux civils ukrainiens pour qu’ils puissent être tués par des troupes professionnelles russes ? Est-ce une bonne idée d’envoyer de l’argent à l’Ukraine, au risque de faire couler plus de sang et de causer plus de dégâts matériels ? Pourquoi, soudainement, ressentons-nous ce besoin pressant de protéger le gouvernement de M. Zelensky ? Comment pouvons-nous être sûrs qu’aucun autre leader ne ferait mieux ?

Mais cela ne sert à rien de poser des questions. Les Américains sont persuadés que ce conflit les concerne. Et les ménages (américains, européens ou russes), qui ne sont en aucun cas responsables de la guerre, en paient le prix.

Les investisseurs n’ont rien à se reprocher non plus. Ceux qui possèdent des actions de l’entreprise de grande distribution Magnit, par exemple, sont en train de perdre gros. Le titre, qui valait 15 $ en février, vaut désormais un cent.

La banque russe Sberbank affichait une valeur de près de 500 M$. Nul ne sait combien elle vaut désormais. Mais elle vaut très certainement plus que les 244 M$ qu’elle affichait lorsque le titre a vu sa cotation interrompue par la Bourse de Londres début mars. Un investisseur qui achèterait des actions Sberbank aujourd’hui réaliserait une affaire en or (si seulement il pouvait les acheter…).

Pareil pour Lukoil. L’entreprise affichait des actifs de 83 Mds$ en 2020, principalement sous la forme de réserves de pétrole (qui valent probablement bien plus aujourd’hui). Le 4 mars, un article révélait que l’entreprise valait désormais environ 500 M$, soit seulement 0,6% de sa valeur antérieure. Il s’agit là d’une autre formidable opportunité d’investissement spéculatif.

Que ce soit par solidarité ou par ignorance totale, les Occidentaux vendent à bas prix, lorsqu’ils le peuvent, et subissent des pertes considérables. Par exemple, le pétrolier BP a déclaré qu’il perdrait environ 25 M$ en se délestant de ses actifs russes.

A qui profite le crime ?

Mais un vent mauvais ne souffle que rarement pour le profit de personne. Alors, qui a le vent dans le dos, cette fois ? Qui est le gagnant ?

Imaginez que vous puissiez acheter une maison valant 300 000 $ pour 3 000 $ seulement. Imaginez que vous puissiez acheter une entreprise qui vaut 10 M$ pour seulement 100 000 $. Qui en sort gagnant ? L’acheteur ou le vendeur ? Qui obtient un actif valant des milliards de dollars pour une bouchée de pain ?

En d’autres termes, les investisseurs occidentaux absorbent les pertes, tandis que les oligarques russes (qui sont très probablement la contrepartie à la transaction) s’enrichissent. Il est probable que, sur le long terme, la victime collatérale soit le système financier libellé en dollars et le dollar lui-même, qui possède ce « privilège exorbitant » d’être la monnaie de réserve du monde.

Les sanctions poussent la Russie, l’Iran, la Chine et d’autres pays à se rapprocher pour trouver des alternatives. Peu de gens voudront garder leur épargne dans une monnaie qui peut être sanctionnée au gré de l’humeur des dirigeants du monde « libéral ».

Enfin, la hausse du dollar affaiblit l’économie américaine et appauvrit les gens, ce qui encourage ces derniers à chercher également des alternatives. L’once d’or valait plus de 1920 $ ce matin, après un pic au-delà des 2 000 $ plus tôt ce mois-ci. Au début du siècle, elle ne valait que 290 $.

C’est au prix de l’or que l’on mesure le déclin des Etats-Unis. Avec ses guerres inconsidérées, sa politique monétaire expansionniste consistant à faire tourner la planche à billets et des sanctions qui nous reviennent en plein visage, l’empire américain sont condamnés à poursuivre leur déclin.

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