▪ Après le joyeux Noël boursier — avancé d’une semaine — survenu mercredi soir, Wall Street a marqué le pas… mais sauvegardé l’essentiel du terrain gagné la veille. Suite à la folle volatilité du créneau 20h/20h07 mercredi soir, un calme plat s’est instauré sur le Nasdaq ; il a évolué au sein d’un corridor de 0,2% durant sept heures hier, avant d’en terminer en repli de 0,3%.
Le S&P 500 ne s’est guère montré plus turbulent avec une lente, très lente progression qui a ramené l’indice de -0,4% vers 16h à -0,04% au final. Le Dow Jones a eu quant à lui la bonne inspiration de battre au finish un nouveau record historique de clôture : +0,07% à 16 180 points.
Nous plaisantons… Bien entendu, cette clôture record a été soigneusement planifiée et parfaitement exécutée. Elle fournit aux médias de quoi plastronner par procuration avec des Etats-Unis où les citoyens s’enrichissent, où les entreprises n’ont jamais affiché des taux de profitabilité aussi élevés.
Dommage : ce résultat s’obtient au mépris des salaires toujours revus à la baisse pour les nouveaux entrants depuis 2008… et au mépris de l’investissement puisque l’essentiel de l’argent dépensé est consacré à des rachats de titres.
▪ Sorcières et tapering
Mais vous ne lirez demain que des gros titres se focalisant sur le zénith du Dow Jones. Voilà qui arrange tout le monde en ce vendredi d’expiration de l’échéance décembre, bien connu sous l’appellation de séance des « Quatre sorcières ».
Depuis 48 heures, les indices américains surfent sur l’approbation apparente d’une amorce de tapering (de -10 milliards, à 75 milliards de dollars) dès janvier prochain. Mais cela, c’est ce que les analystes nous balancent presque par réflexe, parce qu’ils ne peuvent faire part de leur scepticisme devant les micros. S’ils osent mettre en doute la logique et la pertinence des réactions du marché, ils passeront pour des idiots.
Alors ils feignent d’avoir tout anticipé, de comprendre le marché « comme s’ils l’avaient fait »… sauf qu’on frôle l’imposture intellectuelle.
Ils occultent totalement un épisode pourtant crucial, survenu entre 20h et 20h01. Les indices américains ont plongé mercredi soir de -0,3% en quelques dixièmes de secondes — afin de déclencher les stops à la vente.
Puis, quelques secondes plus tard, le Dow s’envolait de 100 points en moins de temps qu’il n’en faut pour rafraichir le graphique. Il prenait ensuite carrément 220 points en cinq minutes : les vendeurs — ceux qui avaient programmé des shorts sous le seuil technique des 15 800 — se sont fait littéralement déchirer.
L’essentiel s’est joué en moins d’une minute. Aucun oeil humain n’avait eu le temps de lire ne serait-ce que le premier paragraphe du communiqué de la Fed que le Dow Jones avait déjà repris 1,5% sur ses plus bas.
Cela avant même que Ben Bernanke ne se présente pour la dernière fois devant la presse, avec la ferme intention de ne rien dire qui soit perçu comme déplaisant. Un exercice dans lequel il excelle… et l’arrachage à la hausse des cours s’est poursuivi jusqu’à la clôture, comme si tout avait été soigneusement planifié.
Pourtant, dès les toutes premières minutes qui ont suivi le communiqué de la Fed, c’est bien la hausse des cours qui a conditionné le discours des analystes (qui ne connaissaient alors aucun des détails du texte publié à 20h) — et non le discours de la Fed 40 minutes plus tard… puisque techniquement, tout était déjà plié.
▪ Des chiffres mitigés
Wall Street pouvait toutefois difficilement prolonger le rally haussier de la veille car les chiffres américains de jeudi n’étaient pas flamboyants. Il y a eu notamment un repli de 4,3% des ventes de logements neufs en novembre (troisième baisse consécutive) à un rythme annuel de 4,9 millions — contre cinq millions attendus.
L’indice Philly Fed se hissait vers un score mensuel de 7 : il rate assez nettement l’objectif des 11 attendu par le consensus.
Les inscriptions hebdomadaires au chômage progressaient encore, à 379 000 mi-décembre, confirmant la nette dégradation de la semaine précédente… Cela constitue une « bonne nouvelle » puisque cela éloigne le risque de voir le chômage décroître trop rapidement vers 6,5%.
Par ailleurs, un taux de chômage supérieur à 7% (et 17% dans la « vraie vie ») garantit une modération salariale qui fait bien les affaires des entreprises américaines… jusqu’à ce qu’elles réalisent qu’il ne suffit pas de sauvegarder les marges : il faut à un moment ou un autre trouver des acheteurs solvables.
Peu importe alors que la Fed revoie à la hausse son estimation du PIB américain (la fourchette est rehaussée de 2,8% à 3,2% contre 2,9% à 3,1% en septembre). En effet, cette croissance ne sera créatrice ni d’emploi ni de chiffre d’affaires pour les entreprises : le scénario qui se profile pour 2014 ressemble de plus en plus à de la déflation.
Et avec 20 ans d’historique de crise de croissance au Japon, nous savons une chose de façon certaine : le recours massif à planche à billets, ça fonctionne peut-être lorsqu’il s’agit de gonfler des bulles obligataires… mais ça ne marche pas contre la déflation.