La Chronique Agora

La déflation vue du Japon

▪ Arrivé au Japon vendredi dernier, j’ai exploré Tokyo avec Calvin, mon fils de 16 ans.

En début d’année, j’ai écrit une chronique sur le refroidissement déflationniste qui affecte les marchés américain et européen. J’avais utilisé la métaphore d’une ère glacière, empruntée au regretté Barton Biggs. Et j’avais décrit à quoi cela ressemble de vivre dans une ère glacière financière et comment y investir.

Le Japon est le point zéro à partir duquel on étudie comment une déflation bouleverse toutes les hypothèses économiques classiques que nous pouvons avoir.

Prenons l’argent. La monnaie japonaise est le yen (que les Japonais prononcent en). Dans son ouvrage Bending Adversity: Japan and the Art of Survival [Faire face à l’adversité : le Japon et l’art de la survie, NDLR], David Pilling prend l’exemple d’une famille qui stocke des yens dans son réfrigérateur :

"Du fait de la déflation qui ronge les prix depuis le milieu des années 1990, plus longtemps on laisse les yens dans leur coffre au frais, plus ils permettent d’acquérir des biens. Si, par exemple, une personne avait déposé 100 000 yens dans son frigo en 1995, en 2012, son pouvoir d’achat avait augmenté à 112 000 yens".

Aucun Américain ne penserait à conserver 10 000 $ dans son frigo pendant 17 ans

C’est un monde étrange, à l’envers, où la valeur de la monnaie s’apprécie. Aucun Américain ne penserait à conserver 10 000 $ dans son frigo pendant 17 ans. Au Japon, cela se fait depuis longtemps, ce qui n’est guère étonnant.

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Selon Pilling, un économiste a calculé qu’une valeur d’environ 300 milliards de dollars de billets en yen, "grosso modo le poids économique du Danemark, avait tout simplement disparu au fond des placards des Japonais et sous leurs matelas".

▪ Refroidissement déflationniste et chute des prix
Dans un refroidissement déflationniste, vous vous attendriez également à ce que votre revenu ne varie pas en termes nominaux. Il n’y a pas de sentiment de droit à une hausse annuelle des salaires au Japon. En fait, comme l’écrit Pilling, "même si le salaire d’un employé diminue, il peut malgré tout se sentir plus riche".

La déflation n’incite pas à emprunter, puisque la chute des prix (et la possible chute des revenus nominaux) rendent les dettes plus difficiles à rembourser.

Un refroidissement déflationniste de longue durée vous oblige également à repenser les concepts d’investissement de base, comme le montre l’investisseur Larry Robbins.

Avant de me rendre à Tokyo, j’ai lu la lettre annuelle de Robbins aux investisseurs de son Glenview Opportunity Fund. Robbins a récemment parlé à la Japan Society à propos des marchés et de l’investissement dans un monde sous pressions déflationnistes. Dans sa lettre, il reprend plusieurs points de sa conférence.

Il évoque également l’autre principale caractéristique d’un refroidissement déflationniste : des taux d’intérêt extrêmement bas voire inexistants. En fait, ils pourraient passer en négatif. Robbins donne quelques exemples dans les marchés actuels :

"Les obligations d’Etat danoises, suisses et allemandes s’échangent toutes avec des rendements négatifs sur plus de cinq ans (et la Suisse sans discontinuité pendant 10 ans).

Dernièrement, Nestlé a placé 500 millions d’euros d’obligations qui s’échangeaient à des rendements négatifs — inutile de manger un Crunch pour compenser votre perte de principal sur l’investissement.

Un total de 3 000 milliards de dollars de dettes en Europe et au Japon s’échangent à des taux d’intérêt négatifs".

Un monde aussi bizarre conduit à des "concepts ésotériques sur lesquels nous pouvons gloser mais qui sont très difficiles à comprendre".

▪ Il faut réfléchir différemment…
Par exemple, les fournisseurs ont intérêt à retarder les échéances de règlement. Mais les acheteurs ont intérêt à prépayer les marchandises. "La gestion des fonds de roulement est à l’envers", écrit Robbins.

Les banques ressemblent de plus en plus à des unités de stockage de monnaie.

Toutes les formules apprises dans les écoles de commerce deviennent caduques

Valoriser les actions et les actifs devient plus difficile parce que beaucoup des modèles existants ne fonctionnement pas. Robbins écrit :

"Toutes les formules apprises dans les écoles de commerce deviennent caduques. Bonne chance pour calculer un modèle d’actualisation des dividendes [lorsque le dénominateur est négatif]… De toute évidence, la croissance pourrait être pressurisée dans un environnement déflationniste mais beaucoup d’entreprises conserveraient le pouvoir absolu de fixation des prix et ont donc [en théorie] une valeur infinie".

Le refroidissement déflationniste signifie également qu’il faut réfléchir différemment à propos des statistiques économiques. Les gens aiment décrire comment l’économie japonaise stagne depuis 20 ans. A première vue, cela semble être le cas.

Mais si prend en compte la déflation, l’image est différente. Comme l’écrit Pilling : "les revenus japonais ont peut-être chuté mais les prix de tous les biens et services, du journal au coiffeur, de l’immobilier aux sushis, sont restés aux niveaux de 1981".

Nous verrons la suite dès lundi.

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