▪ "C’est la fin du supercycle. C’est la fin du grand cycle de la dette", déclare Ray Dalio, nous ôtant les mots de la bouche.
Bill Gross rajoute un peu de contexte :
"Au cours des 20 ou 30 dernières années, le crédit s’est développé à de tels extrêmes, dans le monde entier, que les niveaux de dette et la capacité à rembourser cette dette sont en danger… Pourquoi le super-cycle de la dette ne continue-t-il pas de se développer ? Parce qu’il y a des limites".
Ni M. Dalio ni M. Gross… ni nous… ne savons précisément où sont ces limites. Mais tant les Européens que les Japonais semblent s’y précipiter.
En Europe, les taux d’intérêt sont plus bas qu’ils ne l’ont jamais été, avec 2 000 milliards de dollars s’échangeant en fait à des taux réels négatifs. Inutile de vous le dire : il n’est pas naturel — et même pervers — de la part des prêteurs d’accepter qu’on leur marche sur les pieds en remerciement de leur précieuse épargne. Ce n’est pourtant qu’une partie de la perversité du système actuel : aucune véritable épargne n’est impliquée. L’argent n’a jamais existé. Obtenir un rendement négatif semble presque approprié, bien qu’incompréhensible.
Aujourd’hui, les banques centrales créent "de l’argent" à partir de rien. Les exigences de réserve ne sont que de 1% — c’est-à-dire quasiment nulles. Elles peuvent donc créer autant qu’elles veulent. Pas de risque d’accident dans une mine. Pas besoin de transpirer ou faire des efforts. Pas de discipline ni de persévérance nécessaires. Les épargnants peuvent avoir le beurre — et les emprunteurs l’argent du beurre.
Lorsque les banques centrales achètent de la dette gouvernementale, elle est annulée, dans les faits… oubliée à jamais |
▪ Allez, on baisse encore !
Les économistes à qui il reste un peu de bon sens — s’il en existe encore — sont perplexes. Les plus bas taux de l’histoire… et voilà la BCE avec un plan pour les réduire encore. Quel sens cela a-t-il ? Personne ne peut l’expliquer. Ou plutôt, personne ne veut admettre que la véritable idée, c’est de soulager les grandes banques de leurs créances douteuses. Elles ont acheté la dette des gouvernements européens. Tout le monde sait que cette dette n’a aucune chance d’être remboursée. Lorsque les banques centrales achètent de la dette gouvernementale, elle est annulée, dans les faits… oubliée à jamais. La BCE imprime obligeamment l’argent avec lequel l’acheter avant que le public ne comprenne ce qui se passe.
Au Japon, pendant ce temps, le gouvernement accumule déficit après déficit depuis 25 ans, financés en grande partie par des salarymen japonais qui pensent économiser pour leur retraite. Quelle déception ce sera lorsqu’ils découvriront que cet argent n’a pas du tout été épargné… mais au contraire dépensé par leur propre gouvernement ! A présent, les dettes sont devenues si gigantesques que 43% des recettes fiscales sont requises rien que pour entretenir les engagements passés, sans parler des montants nécessaires pour les déficits actuels et à venir. Imaginez ce que ça donnerait si vous essayiez une telle manoeuvre à votre niveau. Tentez de vivre avec 57% de ce que vous gagnez (le reste allant à vos créditeurs)… tout en continuant de dépenser plus que vos revenus. Voyez combien de temps ça pourrait durer. Les Japonais sont trop polis pour en parler, mais leurs finances publiques sont condamnées. Ce n’est qu’une question de mois — allez, d’années, peut-être — avant que l’ensemble s’écroule.
Nous disons — depuis 2009 — que notre itinéraire serait probablement "Tokyo… puis Harare". Nous voulons dire par là que nous allions probablement vivre un ralentissement à la japonaise… puis une hyperinflation à la zimbabwéenne.
L’économie américaine croît, mais c’est la "reprise" la plus faible jamais enregistrée |
Nous en sommes désormais à la sixième année de ce voyage aussi agité que poussif. L’économie américaine croît, mais c’est la "reprise" la plus faible jamais enregistrée. Le peu de croissance effectivement enregistré a été acheté avec des mesures de relance sans précédent — 8 000 milliards de dollars. Peu de gens le réalisent, mais cette "relance" a en fait retardé la croissance économique réelle.
▪ Quand la relance ralentit…
Vous pouvez le constater par vous-même en observant la différence entre ce qui s’est passé sur les marchés financiers et ce qui s’est passé dans l’économie réelle. L’industrie financière continue de bouillonner. Mais le reste stagne. Les salaires réels, les dépenses de consommation réelles, les investissements réels — tous les critères qui témoignent d’une authentique prospérité sont aussi ramollis qu’une nouille tokyoïte. Pourquoi ?
La prospérité réelle dépend de l’épargne et de la formation de capital. Il faut consacrer des ressources réelles aux nouvelles capacités de production. Il faut embaucher des gens et trouver des méthodes nouvelles, plus efficaces, pour faire les choses. Sauf qu’en réalité, l’investissement des entreprises baisse aux Etats-Unis depuis 2007. Si l’on se base sur les chiffres du quatrième trimestre 2007 et 2014, annualisés, 400 milliards de dollars ont été investis dans le développement des entreprises en 2007 contre 300 milliards seulement en 2014.
Ces choses profitent aux 1% des 1%, les insiders qui connaissent les coulisses ; elles ne font rien pour l’économie réelle |
Parallèlement, les entreprises ont emprunté — en net — environ 3 000 milliards de dollars supplémentaires. Où est allé tout cet argent ? Il semble avoir été consacré au rachat d’actions, fusions/acquisitions, bonus, primes, honoraires et autres rémunérations spectaculaires. Ces choses profitent aux 1% des 1%, les insiders qui connaissent les coulisses ; elles ne font rien pour l’économie réelle, sinon la priver du capital dont elle a besoin pour faire de réels progrès.
En 2000, nous avions une bulle des valeurs technologiques. En 2007, nous avions des bulles dans la finance et l’immobilier. A présent, nous avons des bulles dans les obligations d’entreprises (14 000 milliards de dollars)… les prêts automobiles… et les prêts étudiants (1 200 milliards de dollars).
Pop… pop… pop… C’est ce qui va arriver à ces bulles. Et lorsque ce sera le cas, notre voyage à Tokyo prendra fin. En d’autres termes, c’est à ce moment-là que notre omnibus paresseux se transformera en un terrifiant accident ferroviaire.
Oui, la déflation de Tokyo avant d’en arriver à l’hyperinflation d’Harare.