La Chronique Agora

Les déficits n’ont pas d’importance… quand ça arrange les autorités

▪ Nous vous avons parlé hier d’une théorie inquiétante du professeur Gerald Crabtree. Selon lui, l’espèce humaine se crétinise.

« Le professeur Crabtree, qui dirige un laboratoire de génétique à l’Université de Stanford, en Californie, a présenté l’idée iconoclaste qu’au lieu de s’accroître, l’intelligence humaine a atteint un sommet il y a plusieurs milliers d’années ; depuis, on constate un lent déclin de nos capacités intellectuelles et émotionnelles ».

« Bien que nous vivions désormais entourés des bienfaits technologiques et médicaux engendrés par la révolution scientifique, ceux-ci ont masqué un déclin sous-jacent de la matière grise qui devrait se poursuivre dans le futur, menant à l’abêtissement ultime de l’espèce humaine, selon le professeur Crabtree. Il fonde son argument sur le fait que durant plus de 99% de l’histoire de l’évolution humaine, nous avons vécu en communautés de chasseurs-cueilleurs dont la survie dépendait de l’intelligence, ce qui a mené à des humains au cerveau développé. Depuis l’invention de l’agriculture et des villes, cependant, la sélection naturelle sur les capacités intellectuelles a cessé, dans les faits, et des mutations se sont accumulées dans les gènes essentiels à ‘l’intelligence’. »

« ‘Je serais prêt à parier que si un citoyen moyen d’Athènes de 1 000 av. J.C. devait apparaître soudain parmi nous, il ou elle serait parmi les plus intelligents et les plus intellectuellement vivants de nos collègues et amis, avec une bonne mémoire, un large éventail d’idées et une vision claire des sujets importants’, déclare le professeur Crabtree dans un article publié dans le journal Trends in Genetics« .

« ‘De plus, je suppose qu’il ou elle serait parmi les plus émotionnellement stables de nos amis et collègues. Je ferais le même pari pour les anciens habitants d’Afrique, d’Asie, d’Inde ou des Américains, remontant entre 2 000 et 6 000 ans’, dit le professeur Crabtree ».

Deux petits mots montrent qu’il a raison : Thomas Friedman.

Mais il n’est pas besoin de lire l’éditorialiste du New York Times pour trouver des preuves d’imbécilité croissante. Même une lecture en diagonale des journaux apporte de nouveaux exemples.

▪ Illustration par l’exemple
Voici Anatole Kaletsky. Dans la catégorie des gens qui nient l’importance des déficits, il y a les idiots et il y a les intelligents. Kaletsky fait partie des intelligents. Mais même ainsi, il y a de quoi se poser des questions.

Les déficits sont-ils vraiment significatifs ? Dick Cheney a dit que non. Ronald Reagan trouvait apparemment qu’ils n’avaient pas d’importance, lui aussi. La dette fédérale géante d’aujourd’hui a connu sa première poussée de croissance durant le premier mandat de Reagan.

Mais voici Kaletsky avec une prévision. Quand les républicains réaliseront que la seule manière de réduire les déficits est d’augmenter les impôts, eux aussi seront d’avis que les déficits ne comptent pas.

Kaletsky déclare que les déficits américains actuels ne devraient pas causer le moindre souci. Ils ne sont pas si profonds. Et avec des taux d’intérêt aussi bas, ils sont faciles à gérer.

« Pourquoi les investisseurs sophistiqués sont-ils insensibles à la panique des déficits ? Parce qu’ils savent que les gouvernements, du moins en dehors de la Zone euro, sont loin de la banqueroute. En fait, les niveaux de dette ne sont pas dangereusement élevés. La dette nette du gouvernement américain devrait se stabiliser à 89% du PIB entre 2014 et 2017, selon le Fonds monétaire international, même en maintenant toutes les réductions d’impôt Bush et sans les réductions de dépenses imposées par la falaise fiscale ».

« Des niveaux de dette semblablement stables sont projetés pour l’Allemagne, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et même l’Espagne. Si l’on part du principe que les niveaux de dette se stabiliseront aux alentours de 85% à 100% du PIB, ils ne seront pas élevés de manière inquiétante. La dette nationale américaine a atteint un pic à 110% du PIB à la fin des années 40, et celle de la Grande-Bretagne était encore plus élevée. Mais personne ne s’inquiétait beaucoup de la faillite nationale après la Deuxième Guerre mondiale — et cette confiance s’est révélée justifiée. Parce que tant les Etats-Unis que la Grande-Bretagne ont connu leur performance économique la plus vigoureuse au cours des deux décennies après que leurs déficits ont atteint un sommet à plus de 100% du PIB ».

Personne ne s’inquiétait de la dette après la fin de la guerre pour deux raisons : d’abord parce que la guerre était terminée… et ensuite parce que les autorités avaient l’intention de rembourser !

▪ Nous ne sommes pas en 1945…
Aujourd’hui, les dépenses sociales et militaires continuent… et s’accroissent. On n’est pas près d’en voir la fin. Quant aux autorités — poussées par des gens comme Kaletsky –, elles n’ont pas l’intention de rembourser la dette. Elles souhaitent plutôt l’augmenter… et sont prêtes à imprimer de l’argent pour garder la lumière allumée.

Kaletsky continue :

« Les politiciens conservateurs, par nature opposés à tout gouvernement, ont profité des déficits pour exiger la réduction des dépenses gouvernementales tout en niant qu’une hausse d’impôts puisse jouer un rôle, quel qu’il soit, dans la réduction des déficits ».

« Maintenant, cependant, les rôles sont inversés. Après les élections du 6 novembre, la phobie du déficit n’implique plus une baisse drastique des dépenses publiques. Elle devient plutôt l’argument principal en faveur d’une hausse d’impôts — qui visera surtout les riches ».

« Une fois que cela deviendra évident, je m’attends à accueillir de nombreux membres du Tea Party et autres lobbyistes fiscaux parmi les rangs des personnes qui nient les déficits ».

Il a peut-être raison. Les républicains ont nié l’importance des déficits lorsque ça les arrangeait. Ils le referont. Comme les démocrates, en d’autres mots.

Mais ça ne signifie pas que les déficits n’existent pas… ou qu’ils ne causeront pas de difficultés à l’avenir. Kaletsky note que les gouvernements pourraient substantiellement réduire leur dette simplement en annulant ce qu’ils doivent à leurs banques centrales. Bonne idée !

Les banques centrales impriment de l’argent. Elles l’utilisent pour acheter des obligations au gouvernement. Ainsi, le gouvernement « emprunte » de l’argent qui n’existait pas jusqu’alors.

Si cette transaction vous semble louche, vous êtes déjà en bonne voie pour parvenir à la conclusion que l’espèce humaine devient effectivement plus bête. Il y a cent ans, les banquiers centraux n’auraient pas supporté ça. Pas plus que les gouvernements et le public qu’ils servaient.

Mais désormais, nous tenons pour acquis ce que nous trouvions autrefois absurde, stupide et criminel. Les banques centrales impriment de l’argent et le font passer pour du vrai. Quant aux gouvernements, ils accumulent des déficits de 10% ou plus de leur PIB national… et les comblent avec des billets tout droit sortis de la presse à imprimer.

Intelligent, non ?

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