La Chronique Agora

Le défi de l’urbanisation chinoise

L’un des objectifs de Pékin à l’horizon 2030 est d’accélérer l’urbanisation des provinces… au quart de tours ?

L’enjeu du regroupement de la population dans de grands ensembles urbain est triple.

1/ Les villes rurales, caractérisées par un habitat individuel très majoritaire, s’étendent au détriment des espaces cultivables (c’est ce qui nous appelons en France « l’artificialisation des sols »). Regrouper dans des « cités nouvelles » les habitants non agriculteurs/éleveurs/maraîchers permet libérer de l’espace au profit de terres cultivable.

2/ Cela permet aussi d’optimiser le temps de déplacement pour « se rendre à la ville » (école/collège/lycées, hôpitaux/dispensaires, services publics, loisirs, shopping, etc.).

3/ Cela contribue à faciliter la surveillance (nulle part où se cacher en ville : tout est sous caméra, tous les lieux publics, la moindre arrière-cour, le moindre sous-sol…) et le contrôle de la population (en cas de pandémie, un quartier peut être bouclé en quelques minutes par les forces de sécurité).

J’ai moi-même été témoin en 2019 d’une tentative « d’urbaniser » les populations rurales dans le Xinjiang. Des quartiers résidentiels ont été bâtis dans des villes historiques, « remastérisées » à leur intention. Vu de l’extérieur, cela ressemblait à des lotissements de bonne facture, composés de petits bâtiments pour deux ou quatre familles, plutôt réussis esthétiquement, bien équipés (eau courante/climatisation/TV).

Donc, rien à voir avec des forêts de tours – souvent à moitié vides – construites au pourtour des grandes métropoles… mais « ça n’a pas pris », les locaux ne veulent pas quitter la maison de leurs ancêtres.

Et il y a plus…

Beaucoup de Chinois redoutent de ne pas habiter de plain-pied et se sentent très mal à l’aise de vivre en étage. Alors, imaginez leur réticence lorsque les autorités tentent de leur imposer de déménager au 36e étage de la tour n°14 de la tranche n°3 du quartier « Le Progrès », qui a surgi dans le secteur nord de Wuhan (des ensembles similaires ayant été construits à l’est, au sud et à l’ouest de la veille).

Le sentiment de déracinement est maximal pour tous ceux qui ont quitté la ferme familiale pour aller travailler en usine, où leurs possibilités d’évolution sont très réduites s’ils ne possèdent pas un diplôme reconnu – d’où la tentation de rentrer « au village » qui s’amplifie avec la baisse de l’activité économique et la hausse du chômage aggravée par la crise du secteur de la construction.

Il n’y a rien de plus déprimant que d’attendre de retrouver du travail, loin de ses proches, à 120 mètres du sol dans une carcasse en béton identique à des milliers d’autres… d’où un phénomène de retour au pays.

Il s’est amplifié après la traumatisante crise du COVID, durant laquelle des millions de Chinois se sont retrouvés confinés, certains littéralement incarcérés durant des semaines dans des tours dont les portes avaient été soudées pour interdire à leurs occupants de tenter d’aller chercher de la nourriture dans des centres-villes de toute façon « bouclés » et rendus « étanches » pour raison sanitaire.

Et c’est ce tropisme de « retour aux sources » que Pékin aurait décidé d’inverser en s’attaquant, officiellement, aux « logements insalubres » en milieu rural… le but étant de réurbaniser la population, dans des « villes du quart d’heure ». [NDLR : concept d’une ville où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou en vélo.]

Et cocorico, il s’agit de la remise au goût du jour, en 2015, d’un concept d’origine américaine des années 1900 (jamais expérimenté), par un urbaniste franco-colombien du nom de Carlos Moreno, dont les travaux ont séduit la maire de Paris.

Anne Hidalgo, qui adopté son modèle en janvier 2020, a décidé d’y soumettre la capitale… comme s’il s’agissait d’une ville champignon américaine du début du siècle dernier, où toutes les commodités (ou fonctions essentielles comme le lieu de travail, commerce, soins de santé, éducation et divertissement) se trouvaient de plus en plus éloignées pour les derniers arrivants s’installant en zone périphérique.

Or Paris est constitué d’une juxtaposition de quartiers très vivants où toutes les commodités se trouvent justement à moins de 15 minutes de marche ou de vélo pour les résidents.

Donc pourquoi y imposer le vélo, en supprimant la moitié de l’espace pour la circulation des voitures, ce qui transforme la capitale en un cauchemar pour ceux qui viennent y travailler depuis des banlieues où il n’y a pas forcément de transports adaptés ? Ce qui prenait 15 minutes en voiture dans Paris en prend désormais 30 ou 40… demandez aux chauffeurs de taxis ou aux artisans venant dépanner les ascenseurs des Parisiens ou réparer leur chauffe-eau.

En Chine, en revanche, repenser l’urbanisation en termes de fonctions essentielles et réhumaniser les ensembles de forêts de tour fait du sens. En effet, 500 millions de Chinois ne peuvent pas posséder – comme un Européen sur trois – un véhicule individuel (électrique ou thermique, peu importe), car il faudrait une seconde planète pour fournir les composants nécessaires à leur fabrication.

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