A la lumière d’un remaniement ministériel aussi insipide qu’inconsistant, quelques réflexions sur la déliquescence de notre monde politique.
Privilège de l’âge, j’ai été le contemporain des huit présidents de la Vème République (mais je n’ai commencé à comprendre leurs missions qu’à partir du troisième, Valéry Giscard d’Estaing) et donc des 24 Premiers ministres qui les ont accompagnés.
Il m’est plus difficile, par contre, de comptabiliser les remaniements ministériels. Sans doute parce que, dans le contexte d’un monde de surinformation (quantitativement et sûrement pas qualitativement), ce genre d’événement prenait de moins en moins d’importance, mais aussi et surtout parce que la fonction présidentielle en particulier et les fonctions de « responsable » politique ont perdu beaucoup de crédit depuis 1958.
Mélanges des genres
Nous pourrions écrire des pages et des pages pour en expliquer les raisons et nombre d’éditorialistes le font avec brio. Tout au plus pouvons nous dire que ce déclin a malheureusement commencé avec la peopolisation de la vie politique. Même si je ne suis pas passéiste et que tout n’était pas mieux avant, sur le sujet du sens de l’état et de la grandeur, au moins, c’était bien mieux avant en dépit des affaires de corruption qui existaient ici ou là et qui existeront toujours.
La peopolisation a notamment consisté, pour de plus en plus d’hommes et femmes dits politiques, à se commettre dans des émissions de téléréalité. Ce qui permet par ailleurs à des artistes ou sportifs intervenant dans les mêmes de se proclamer spécialistes des grands sujets d’économie, d’environnement, de santé et que sais-je encore (imités en cela par n’importe qui, n’importe quand et n’importe comment sur les réseaux dits sociaux).
Il n’est pas question d’enlever à qui que ce soit son statut de citoyen s’intéressant aux grands enjeux de son époque mais, de grâce, la parole d’un internaute sur le climat ne peut pas être valorisée de la même façon que celle d’un climatologue qui travaille depuis 40 ans sur les questions d’environnement.
Pour en revenir à la politique, admettons que ce monde est de plus en plus contaminé par la médiocrité. Voir évoluer une Marlène Schiappa au gouvernement (elle vient heureusement d’en sortir) en dit long sur le niveau de maturité politique de notre pays. De même, assister à la célébration d’un Gabriel Attal, qualifié dans les médias officiels de surdoué de la politique, en dit long sur le niveau des exigences requises.
Faire évoluer les mœurs politiques
On ne peut que créer un cercle vertueux de croissance économique, de progrès social et de cohésion nationale permis par une classe politique digne de ce nom. Nous avons une solution mais elle ne sera jamais expérimentée à grande échelle. Faire appel dans un gouvernement à des professionnels et intellectuels « désintéressés », avec un savoir-faire prouvé et démontré dans la société civile est une excellente chose. Mais, combien de ministres ont ce savoir-faire éprouvé dans le « nouveau » gouvernement français ?
Certes, l’ouverture à la société civile a rarement été couronnée de succès par le passé, mais elle a malheureusement surtout été surmédiatisée par le passage de quelques « célébrités ».
Les raisons qui militent pour l’ouverture plus forte à la société civile restent cependant pertinentes :
- cette présence constituerait un rempart contre la corruption, puisque, finalement, la politique ne serait plus un moyen de s’enrichir – et que, dans un monde idéal il ne faudrait plus qu’elle le devienne ;
- il y aurait une bien meilleure obligation de résultats et de prise de décision en fonction de critères économiques, financiers, et non plus seulement politiques.
L’exercice du pouvoir ne devrait plus conduire à la perspective d’une carrière à vie, mais serait une parenthèse civique dans le cadre d’une carrière professionnelle. La France, plus que d’autres pays, a créé une « caste » de professionnels de la politique composée très souvent de hauts fonctionnaires. Ceux-ci peuvent ainsi retourner dans leur corps d’origine en cas de défaite à une élection, alors que, dans des pays tels que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la Suisse pour ne citer qu’eux, les fonctionnaires sont tenus de démissionner définitivement de la fonction publique avant de se présenter à un mandat.
On se rappellera tous de cette réplique culte de Don Salluste interprété par de Funès dans la Folie des grandeurs : « Qu’est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! »
Courtisans et compétents
Au-delà d’une certaine moralisation de la vie publique et de la nécessité de poursuivre l’ouverture de la politique à la société civile, l’évolution des mœurs politiques dépend aussi et surtout de nous en tant que citoyens : si nous acceptions que les prérogatives de l’Etat ne s’étendent pas jusque dans les moindres recoins de notre vie quotidienne et que, en conséquence, l’on réduisait le nombre de ministres et parlementaires, les opportunités de fraude seraient bien moins nombreuses.
C’est là cher lecteur que vous voyez bien que je rêve et que je confonds le monde tel qu’il est et le monde tel que je voudrais qu’il soit.
Mon regretté père expliquait souvent, avec sa hauteur de vue et sa pluridisciplinarité, que les nombreux dysfonctionnements de nos sociétés correspondent très souvent à une situation de suprématie des courtisans sur les compétents. Il pensait non seulement aux régimes politiques africains en général – et aux turpitudes de la Guinée, son pays d’origine, en particulier –, mais aussi aux vieilles démocraties occidentales, à leurs grandes entreprises publiques et même privées.
Il avait bien raison et je faisais souvent avec lui le constat que nos sociétés souffraient de plus en plus de ces décalages entre la compétence et le savoir-faire des responsables politiques d’une part, et la complexité des problèmes d’autre part.
Comme nous le disions précédemment, l’ouverture à la société civile est non seulement un rempart contre la corruption (si l’on a eu une vie avant la politique et que l’on en aura une après, il n’est nul besoin de développer le clientélisme électoral), mais aussi un gage de plus grande efficacité.
On ne demande pas au ministre de trouver telle ou telle solution à un problème relevant de la compétence de son ministère (le cap est fixé en général par le président de la République), mais de pouvoir trouver les moyens et l’organisation pour parvenir à cette solution. Il ne s’agit pas de savoir ce qu’il faut faire, mais de savoir comment l’on va faire. En ce sens, l’apport d’un professionnel du domaine d’expertise concerné est précieux.
Je terminerai avec ces propos de Thomas Sowell que j’ai souvent l’habitude de citer et qui résume à merveille cet article : « Il est difficile d’imaginer une façon plus stupide ou plus dangereuse de prendre des décisions que de mettre ces décisions entre les mains de personnes qui n’en tireront pas les conséquences en cas d’erreur. »